Influence du stress perçu par le parent
Bien que certains auteurs aient fait ressortir l’importance du réseau social pour le développement de l’adolescent (Brown & Orthner, 1990; Pittman & Bowen, 1994; Segal, 2008), d’autres ont davantage mis l’accent sur la relation parent-enfant et son impact sur l’adaptation du jeune en raison du rôle important que joue le parent, qui procure stabilité, sécurité et structure (Orthner et al., 1989). C’est le cas de Morris & Age (2009), qui ont examiné, entre autres, la santé mentale de 65 jeunes de familles militaires âgés de 9 à 15 ans, en lien avec les mécanismes d’adaptation utilisés. Ils ont démontré que le soutien maternel perçu était associé à moins de troubles de comportement chez les garçons et les filles, ainsi qu’à moins de symptômes émotifs chez ces dernières. Les jeunes qui rapportaient un niveau de soutien maternel élevé rapportaient également moins de symptômes de troubles comportementaux ou psychologiques. Les auteurs en ont conclu que le soutien maternel était un facteur de protection important des problèmes de cette nature.
Pour Finkel et al. (2003), qui ont étudié 86 dyades mère-enfant de familles militaires, le stress perçu et les symptômes dépressifs de la mère étaient corrélés avec les troubles de comportement de l’enfant ainsi qu’avec des sentiments de tristesse, d’anxiété et de retrait chez ce dernier. Finkel et ses collaborateurs en déduisent que la relocalisation en soi n’est pas aussi importante que d’autres facteurs dont, entre autres, le fonctionnement de la mère. D’ailleurs, plusieurs autres études portant sur les familles militaires et le déploiement ont également conclu que la santé mentale du parent donneur de soins ou son niveau de stress était significativement associé aux difficultés comportementales et émotionnelles de l’enfant (Barker & Berry, 2009; Chandra et al., 2010; Jensen et al., 1996; Lester et al., 2010).
Objectifs de l’étude et hypothèses de recherche
Outre le déploiement, sujet largement étudié et bien documenté, les relocalisations font elles aussi partie du mode de vie militaire. Toutefois, les études traitant de ce sujet sont peu nombreuses, parfois obsolètes et présentent des résultats souvent contradictoires. De plus, à notre connaissance, aucun chercheur ne s’est intéressé aux conséquences de ces relocalisations sur les familles militaires canadiennes.
La présente étude souhaite apporter une contribution originale sur cet aspect spécifique du mode de vie militaire, en s’intéressant plus particulièrement aux adolescents provenant de familles militaires canadiennes. Les résultats permettront d’évaluer si le fait d’être constamment déplacés nuit à l’adaptation de ces adolescents, et ce, en fonction de différents indices d’adaptation. La récence du déménagement sera prise en compte, ainsi que le stress ressenti par le parent donneur de soins, puisqu’il s’agit de deux variables souvent mentionnées dans la littérature comme ayant un impact sur la vie des jeunes qui ont été relocalisés.
Plus spécifiquement, les objectifs de l’étude sont : 1) d’estimer la mobilité des adolescents de familles militaires canadiennes; 2) d’évaluer si ce taux de mobilité a un impact sur différentes variables utilisées pour mesurer l’adaptation (rendement académique, suspension ou expulsion du milieu scolaire, diagnostic de trouble de santé mentale; rencontres de groupe pour un tel trouble; prise de médication psychotrope; problèmes externalisés, problèmes internalisés; difficultés de socialisation ; 3) d’évaluer les effets du taux de mobilité sur l’adaptation des adolescents en considérant également la récence du déménagement (+/- 12mois) et le stress parental.
Sur la base des recherches antérieures, les hypothèses de recherche suivantes ont été formulées:
1) Un taux de mobilité élevé sera négativement corrélé avec le rendement académique (résultats scolaires);
2) Un taux de mobilité élevé sera positivement corrélé avec :
– une suspension ou une expulsion du milieu scolaire;
– un diagnostic de trouble de santé mentale dans les douze derniers mois;
– une prise de médication pour un trouble de santé mentale;
– une rencontre avec un professionnel de la santé (médecin, psychologue, infirmière, travailleur social, etc.) au sujet d’un trouble de santé mentale;
– des rencontres de groupes relatives à un trouble de santé mentale;
– plus de comportements externalisés ou internalisés;
– moins de comportements prosociaux.
3) Les effets relatifs à un taux de mobilité élevé seront temporaires, c’est-à-dire qu’ils seront de magnitude moins importante ou non significatifs chez les adolescents vivant depuis plus de 12 mois dans la même communauté.
4) L’augmentation du stress chez le parent donneur de soins sera associée à plus de problèmes d’adaptation chez l’adolescent.
Méthodologie
Déroulement de l’étude
Cette étude a été parrainée par le Directeur des services aux familles des militaires des FAC, en poste au moment de la cueillette de données, le Colonel Russell B. Mann, qui a agi comme facilitateur et comme contact privilégié au sein des FAC. L’étude a été approuvée par le Comité d’examen de la recherche en sciences sociales (CERSS) de la Direction générale Recherche et analyse – Personnel militaire (DGRAPM) qui a donné une autorisation officielle pour effectuer la recherche (approbation no. 1096/12-F). Une approbation éthique a aussi été obtenue du Comité d’éthique de la recherche de l’Université du Québec à Chicoutimi.2
Les questionnaires (en français et en anglais) ont été disponibles en ligne sur la plate-forme FluidSurveys du 5 septembre 2012 au 25 février 2013, soit environ 6 mois, permettant ainsi que des familles provenant de toutes les bases/escadres/unités à travers le Canada et même hors du pays (pour les familles militaires qui vivent une affectation en Europe ou aux États-Unis) puissent participer à l’étude. Cette période a été choisie puisqu’il s’agit d’un moment relativement calme pour les familles militaires, soit une période où la relocalisation est généralement complétée, s’il y en a eu une.
Un formulaire de consentement détaillé expliquait aux participants les buts de l’étude, les désagréments qui pouvaient être associés à la participation et les organismes qui pourraient leur venir en aide si nécessaire. Ils y retrouvaient également les coordonnées des chercheurs et des organismes qui avaient approuvé l’étude. Afin d’être
en conformité avec les lois canadiennes concernant le consentement des jeunes, ceux-ci devaient obligatoirement obtenir le consentement parental pour participer à l’étude, faute de quoi leurs réponses étaient retirées des données recueillies. Les participants qui souhaitaient avoir des questionnaires papier étaient invités à communiquer directement avec les chercheurs, afin de recevoir une copie sous pli confidentiel, accompagnée d’une enveloppe de retour affranchie.
Le recrutement des participants a été fait en collaboration avec les chaînes de commandement militaire et les Centres de ressources pour les familles des militaires (CRFM), qui ont été sollicités par le parrain de l’étude et par les chercheurs. Parmi les moyens qui ont été utilisés pour rejoindre la population, soit les familles militaires canadiennes ayant des enfants âgés entre 13 et 18 ans, il y a eu l’envoi de courriers électroniques, l’ajout de liens sur des pages Facebook ou des sites Internet dédiés aux familles militaires canadiennes pour accéder à l’étude, des annonces dans les journaux des CRFM ou sur les babillards des bases/unités/escadres ainsi que de l’affichage publicitaire dans des milieux de services. Les chercheurs ont personnellement envoyé par courriel, à trois reprises et à deux mois d’intervalle, à tous les directeurs de CRFM et responsables de la section jeunesse de ces centres, des invitations à participer à cette étude.
Description de l’échantillon
La population à l’étude est constituée d’adolescents âgés de 13 à 18 ans ayant au moins un parent membre des FAC, en service actif, dans la force régulière (employé à temps plein) ou la force de réserve (employé à temps partiel). Les membres des FAC ainsi que leur conjoint(e), qui ont des enfants de cet âge, ont également répondu à des questionnaires sur l’adaptation de leur adolescent.
Nous n’avons pu établir le taux de réponse de l’étude, considérant que le nombre exact de familles militaires ayant des jeunes âgés entre 13 et 18 ans n’était pas connu et qu’il n’était pas non plus possible de savoir quelle population avait été effectivement rejointe par les questionnaires en ligne. Toutefois, les données disponibles indiquent qu’en 2012, plus de 64 000 enfants de moins de 18 ans avaient un parent qui sert dans les FAC (DND, 2012). Le nombre de réponses reçues apparait donc faible, non seulement en regard de ces chiffres mais également en fonction de ce qui était attendu lors du devis initial de recherche, soit une centaine de dyades parent-adolescent. Le nombre total de réponses complètes reçues de parents d’adolescents a été de 134, tandis que seulement 54 jeunes ont répondu au questionnaire (et 25 dyades parent-adolescent(s) parmi ceux-ci). Par ailleurs, étant donné le très faible pourcentage de répondants faisant partie de la Force de réserve (4,3%, N = 8 sur les 93 parents ayant répondu à cette question), il n’a pas non plus été possible de faire un comparatif de celle-ci avec la Force régulière. Finalement, considérant la petite taille de l’échantillon d’adolescents, les analyses statistiques ne porteront que sur l’échantillon des parents.
Ainsi, cet échantillon était constitué de 134 adultes (62,7% de femmes; 37,3% d’hommes), dont l’âge variait entre 30 et 56 ans (M = 42,1 ans, ET=5,8). Ces adultes ont répondu aux questionnaires pour 187 adolescents dont l’âge moyen est de 14,4 ans (ET = 3,82). La majorité des répondants parlent anglais à la maison (93,3%), tandis que 5,2% parlent le français et 0,7%, soit une seule autre famille, parle le Cri (langue autochtone). En ce qui concerne leur niveau d’éducation, 63,6% des répondants ont affirmé avoir une formation pré-universitaire (diplôme d’études secondaires: 27,3% ; école de métier spécialisé: 8,3% ; collège (cégep) : 28,0%). Au niveau de la formation universitaire, 24,2% des répondants détiennent un baccalauréat, 7,6% ont une maîtrise et 1,5% un doctorat. Finalement, 3,0% de l’échantillon déclare avoir un autre type de diplôme que ceux mentionnés dans les choix de réponses. Le revenu familial annuel de l’échantillon semble plus élevé que ce que l’on retrouve généralement. En effet, seulement 16,2% des répondants gagnent moins de 60 000$ par année, tandis que 64,7% ont un revenu se situant entre 60 000 et 130 000 dollars par an. De même, 19,1% des répondants ont un revenu familial brut de plus de 130 000$ annuellement. Le nombre moyen de relocalisations expérimentées par les jeunes de cet échantillon au cours de leur vie est de 3,94 (ET=2,25). Ils vivent dans leur communauté actuelle depuis 43,0 mois (médiane de 33,0 mois), quoique cela soit extrêmement variable d’un répondant à l’autre, comme le démontre l’écart-type de 56,4 mois (étendue de 2 à 504 mois). D’autre part, 26,2% des répondants ont déménagé au cours de la dernière année.
Instruments de mesure
Questionnaire sociodémographique
Outre les informations sociodémographiques traditionnelles (âge, revenu, scolarité, etc.), le questionnaire comprenait des questions permettant de mesurer le nombre de déménagements (« Combien de fois chacun de vos enfants (âgé entre 13 et 18 ans) a-t-il déménagé depuis sa naissance? ») et la récence du déménagement (« Depuis combien de temps habitez-vous dans votre communauté actuelle? »). Le nombre de déménagements vécus a été divisé par l’âge du jeune afin d’obtenir le taux de mobilité.
Quant à la récence du déménagement, celui-ci est considéré comme récent si le répondant a déclaré résider dans sa communauté actuelle depuis moins de 12 mois.
Plusieurs questions ont permis d’évaluer l’adaptation des adolescents selon différentes dimensions. Pour chaque dimension, le parent devait répondre aux questions pour chacun de ses adolescents.
Deux questions ont permis d’évaluer le rendement et le fonctionnement académique :
« Par rapport aux autres élèves du même âge, comment se classe votre enfant (âgé entre 13 et 18 ans) en ce qui concerne son rendement scolaire? »
« Au cours des 12 derniers mois, l’un de vos enfants (âgé entre 13 et 18 ans) s’est-il fait expulser ou suspendre de son milieu scolaire? »
Quatre questions ont permis d’évaluer la présence de problèmes psychologiques ou émotionnels :
« Au cours des 12 derniers mois, l’un de vos enfants (âgé entre 13 et 18 ans) a-t-il rencontré un/e intervenant/e (psychologue, travailleuse sociale, infirmière, médecin, personnel scolaire ou autre) pour un problème psychologique ou émotionnel? »
« Au cours des 12 derniers mois, l’un de vos enfants (âgé entre 13 et 18 ans) a-t-il participé à des rencontres de groupe pour un problème psychologique ou émotionnel? »
« Au cours des 12 derniers mois, l’un de vos enfants (âgé entre 13 et 18 ans) a-t-il reçu un diagnostic de problème psychologique ou émotionnel? »
« Au cours des 12 derniers mois, l’un de vos enfants (âgé entre 13 et 18 ans) s’est-il fait prescrire des médicaments par un médecin pour traiter un problème psychologique ou émotionnel? ».
Adaptation des adolescents
L’instrument psychométrique utilisé pour mesurer l’adaptation des adolescents et dépister les troubles psychopathologiques est le Strengths and Difficulties Questionnaire (SDQ) de Goodman (1997), version française (Questionnaire Points forts – Points faibles). Il a été rempli par le parent, pour chacun des adolescents vivant sous son toit. Il s’agit d’un instrument relativement nouveau, mais qui est déjà largement utilisé dans de nombreuses études épidémiologiques ainsi que dans d’autres types d’études (Van Roy, Grøholt, Heyerdahl, & Clench-Aas, 2006).
Le SDQ est composé de 25 items, positifs et négatifs, où les répondants doivent exprimer leur degré d’accord avec chacun des énoncés à l’aide d’une échelle de type Likert (« pas vrai », « parfois ou un peu vrai » et « très vrai »). Le SDQ est composé de cinq sous-échelles comportant chacune cinq items : une échelle qui mesure les troubles émotionnels (anxiété et dépression), une échelle de troubles comportementaux, une échelle d’hyperactivité-inattention, une échelle de difficultés relationnelles avec les pairs, ainsi qu’une échelle de comportements « prosociaux ». Les quatre premières échelles s’additionnent pour donner un score total indiquant les problèmes d’adaptation chez le jeune tandis que l’échelle « prosociale » indique davantage ses forces et les facteurs de protection. Le questionnaire existe en trois versions : une version remplie par le parent, une autre par l’enseignant, et une dernière, auto-rapportée.
Le SDQ a été validé à partir d’un échantillon épidémiologique de 10 438 enfants britanniques, âgés de 5 à 15 ans : la validité et la fidélité de l’instrument ont été jugées adéquates (Goodman, 2001). Les alphas sont de 0,82 pour l’échelle totale de difficultés, tandis que pour les sous-échelles, les alphas sont de 0,66. Ces alphas moins élevés pourraient être expliqués par le faible nombre d’items par sous-échelle (Achenbach et al., 2008). De plus, même s’il est conçu pour les jeunes de 11 à 17 ans, le SDQ a également été validé pour des jeunes jusqu’à 19 ans (Janssens & Deboutte, 2009; Van Roy, Grøholt, Heyerdahl, & Clench-Aas, 2006).
De même, les scores du SDQ et du Child Behavior Checklist (CBCL) d’Achenbach, l’une des mesures les plus souvent utilisées dans les études sur la santé mentale de l’enfant, sont hautement corrélés : coefficients de corrélation variant de 0,59 pour l’échelle de difficultés avec les pairs à 0,87 pour l’échelle totale de difficultés (Goodman & Scott, 1999). Le SDQ a d’ailleurs été utilisé comme instrument de mesure dans une étude récente de la santé publique portant sur la santé socio-affective des enfants du Québec (Renaud, Comeau, & Caux, 2012). Il a également été utilisé par Morris & Age (2009) afin de mesurer l’adaptation d’enfants et d’adolescents provenant de familles militaires américaines.
Afin de vérifier les propriétés psychométriques de la version française du SDQ, D’Acremont & Van der Linden (2008) ont utilisé la version cotée par l’enseignant sur un échantillon de 557 adolescents de langue française. Ils constatent que la consistance interne des sous-échelles est bonne ou très bonne (alphas de Cronbach variant de 0,77 à 0,90), à l’exception de la sous-échelle « Difficultés avec les pairs », qui a une fidélité acceptable (alpha = 0,64). De plus, les analyses effectuées confirment que la structure factorielle de la version française de l’instrument est semblable à la version originale en langue anglaise.
Par ailleurs, toujours en ce qui concerne la version française, d’autres chercheurs (Shojaei, Wazana, Pitrou, & Kovess, 2009) ont examiné la fidélité de la version « parent » du SDQ. Leur échantillon comptait 1 348 enfants francophones âgés de 6 à 11 ans. La consistance interne des sous-échelles a été jugée acceptable avec des coefficients de Cronbach variant de 0,46 (« Difficultés avec les pairs ») à 0,74 (« Hyperactivité/Inattention »).
Pour la présente étude, un modèle de structure à trois facteurs a été utilisé. En effet, Dickey & Blumberg (2004) ont réalisé une analyse factorielle sur les données provenant d’un échantillon de 9 577 jeunes américains âgés de 4 à 17 ans, dont les parents avaient rempli le SDQ. Après des analyses factorielles exploratoires à l’aide de rotations VARIMAX puis confirmatoires, à l’aide de rotations PROMAX sur un modèle à trois facteurs, les auteurs ont constaté que ce dernier modèle permettait de mieux rendre compte des données observées. Selon Dickey & Blumberg, lorsque les parents remplissent le SDQ pour évaluer le comportement leur enfant, ils le font sur la base de trois dimensions sous-jacentes distinctes, mais corrélées, que l’on peut transposer en sous-échelles soit : une échelle de problèmes internalisés, une échelle de problèmes externalisés et une échelle prosociale. La structure à trois facteurs fait preuve d’une bonne validité discriminante et convergente dans une étude portant sur 18 222 questionnaires complétés par des parents britanniques (Goodman, Lamping & Ploubidis, 2010). De plus, ces auteurs soutiennent que pour des études épidémiologiques, les échelles de problèmes internalisés et externalisés sont plus appropriées et qu’elles pourraient potentiellement réduire l’erreur de mesure du fait qu’elles contiennent davantage d’items.
Stress du parent
Le questionnaire standardisé utilisé pour évaluer le stress du parent est le Perceived Stress Scale (PSS) de Cohen, Kamarck, & Mermelstein (1983), version française (Échelle du stress perçu). Le PSS est l’un des instruments les plus utilisés pour mesurer la perception du stress. Pour chaque item, le répondant se situe sur une échelle de type Likert en 5 points (jamais; presque jamais; parfois; assez souvent; souvent) sur ce qu’il a pensé ou ressenti pour une période donnée (ici, au cours du dernier mois). Plus le score du participant est élevé, plus le niveau de stress perçu l’est également. Le PSS mesure en fait le degré perçu de contrôle, de prévisibilité et la capacité d’adaptation que les répondants considèrent avoir sur leur vie. La version à 10 items est celle qui a été utilisée ici, considérant que les auteurs eux-mêmes l’ont recommandée pour l’utilisation en recherche, puisque sa structure factorielle était plus cohérente et que les coefficients de fidélité étaient légèrement plus élevés que la version originale à 14 items (Cohen & Williamson, 1988).
En ce qui concerne les qualité psychométriques du PSS, l’étude de Cohen, Kamarck, & Mermelstein (1983) a permis de le valider à partir de trois échantillons différents (deux d’entre eux provenant de jeunes de niveau collégial et un autre d’une communauté plus hétérogène), totalisant 332 personnes. La fidélité de l’instrument a été jugée adéquate, les coefficients alpha variant de 0,84 à 0,86 dans les trois échantillons, tandis que le coefficient de fidélité test-retest variait de 0,85 (2 jours) à 0,55 (6 semaines). La fidélité de la version à 10 items a également été confirmée ultérieurement par une autre étude (Cohen & Janicki-Deverts, 2012) composée de deux échantillons de répondants américains, l’un contenant 2387 personnes (alpha de Cronbach de 0,78) et l’autre de 2000 personnes (alpha de 0,91). De plus, le PSS démontre une bonne validité convergente, étant corrélé avec différentes mesures dont le nombre d’évènements vécus dans la dernière année, la dépression, les symptômes physiques, les symptômes de dépression, l’utilisation des services de santé et l’anxiété sociale (Cohen, Kamarck, & Mermelstein, 1983), ainsi qu’avec le score total du State-Trait Anxiety Inventory-Inventory, Trait version (Robertini et al., 2006).
En ce qui a trait à la version française du PSS-10, Bellinghausen, Collange, Botella, Emery, & Albert (2009) ont utilisé un échantillon de 10 122 personnes pour en vérifier les propriétés psychométriques. Les analyses réalisées ont confirmé la présence de deux facteurs distincts, présentant une bonne consistance interne (0,85 pour le premier facteur et 0,80 pour le second), et ce, conformément à la version originale anglaise. De plus, l’étude de validité de critères confirme les liens prédits entre chaque facteur et les niveaux d’anxiété et de dépression. Par la suite, Lesage, Berjot, & Deschamps (2012) ont eux aussi confirmé que les propriétés psychométriques de la version française étaient adéquates. En effet, l’analyse factorielle exploratoire indiquait également une structure à deux facteurs et, d’autre part, la fidélité de l’échelle était jugée élevée, avec un coefficient de consistance interne total de 0,83.
Résultats
Stratégies d’analyses
Dans un premier temps, des analyses préliminaires ont été effectuées afin de vérifier la normalité des données. Des analyses corrélationnelles ont ensuite permis d’examiner la présence de relations significatives entre le taux de mobilité (calculé en prenant le nombre de déménagements vécus par le jeune, divisé par son âge) et les réponses des parents aux indicateurs d’adaptation de leur adolescent, de même qu’à une mesure plus standardisée de l’adaptation, soit le SDQ. Des analyses de variance ont d’abord été réalisées avec le premier enfant de chaque parent afin de ne pas entrainer de biais de mesure, ce qui aurait pu se produire lorsqu’un parent répond pour plus d’un enfant, entraînant ainsi la répétition de certaines données. Des corrélations partielles ont ensuite été réalisées, afin de contrôler les résultats obtenus en tenant compte de la durée de résidence au même endroit (soit 11 mois et moins vs 12 mois et plus). Par la suite, des modèles à effets mixtes ont été utilisés pour prendre en compte les réponses multiples des parents qui ont plus d’un enfant. Ces analyses ont permis de mieux comprendre quels étaient les facteurs davantage reliés à l’adaptation des jeunes.
Rendement académique
Les analyses corrélationnelles ayant permis de répondre aux hypothèses 1 et 2 sont présentées au Tableau 1. En ce qui concerne l’hypothèse 1, qui présumait qu’un taux de mobilité élevé serait négativement corrélé avec le rendement académique (résultats scolaires), celle-ci s’est avérée non-significative, indiquant ainsi que le nombre de déménagements expérimentés par les jeunes n’est pas associé aux résultats scolaires qu’ils obtiennent.
Suspensions/expulsions du milieu scolaire
L’hypothèse 2 cherchait à mettre en lien plusieurs mesures d’adaptation avec le taux de mobilité. La première partie de l’hypothèse concerne les suspensions/expulsions du milieu scolaire, où l’on présume qu’un taux de mobilité élevé sera positivement corrélé avec celles-ci. Après analyse, contrairement à ce qui avait été prédit, les constatations sont à l’effet que le taux de mobilité n’est pas relié à davantage de suspensions/expulsions du milieu scolaire des jeunes de familles militaires canadiennes.
Autres indicateurs d’adaptation
La seconde partie de l’hypothèse 2 prédisait qu’un taux de mobilité élevé serait positivement corrélé avec différents indicateurs d’adaptation, soit : avoir reçu un diagnostic de trouble de santé mentale dans les douze derniers mois; consommer une médication prescrite pour un trouble de santé mentale; avoir rencontré un professionnel de la santé (médecin, psychologue, infirmière, travailleur social, etc.) au sujet d’un trouble de santé mentale; avoir assisté à des rencontres de groupes pour un trouble de santé mentale; présenter davantage de comportements externalisés ou internalisés et moins de comportements prosociaux.
Avec les analyses effectuées, on constate qu’un taux de mobilité élevé est significativement corrélé avec la présence d’un diagnostic de trouble de santé mentale, la prescription d’une médication psychotrope ainsi qu’avec des rencontres avec un professionnel de la santé pour des difficultés psychologiques.
Quant à la mesure standardisée employée, soit le SDQ, on constate que plus le taux de mobilité est élevé, plus les scores à l’échelle de problèmes externalisés augmentent et plus ceux de l’échelle prosociale diminuent. Cela indique que les jeunes qui déménagent plus fréquemment ont davantage de difficultés comportementales et démontrent moins de comportements prosociaux. Par contre, le taux de mobilité n’aurait pas d’impact sur les problèmes internalisés.
L’hypothèse 2 est donc partiellement confirmée. En effet il semble que le taux de mobilité n’est pas lié aux suspensions/expulsions scolaires, à la participation à des rencontres de groupe pour des problèmes de santé mentale, ni à des problèmes internalisés. Par contre, il semble associé à l’obtention d’un diagnostic de santé mentale et à une rencontre avec un professionnel de la santé à ce sujet dans les 12 derniers mois, à la prise d’une médication psychotrope ainsi qu’à la présence de problèmes internalisés et un moins grand nombre de comportements prosociaux.
Récence du déménagement
La troisième hypothèse de l’étude stipulait que les effets relatifs d’un taux de mobilité élevé seraient temporaires, c’est-à-dire qu’ils seraient de magnitude moins importante ou seraient non significatifs chez les adolescents qui vivent depuis plus de 12 mois dans la même communauté. Pour tester cette hypothèse, nous avons effectué des corrélations partielles. Ainsi, les analyses corrélationnelles ont été reprises (celles apparaissant au tableau 1), mais cette fois, en utilisant le nombre de mois de résidence dans la même communauté (11 mois et mois vs 12 mois et plus) comme variable contrôle. Les résultats de ces corrélations partielles sont présentés dans le tableau suivant.
Les résultats obtenus confirment partiellement l’hypothèse 3, puisque les effets du taux de mobilité restent significatifs, même lorsque l’on contrôle pour le nombre de mois depuis la dernière relocalisation, mais pour certaines variables seulement, soit celles qui demandent un rappel rétrospectif des parents (diagnostic, médication, rencontre). Par contre, lorsque l’on considère la mesure standardisée (scores au SDQ), les liens significatifs disparaissent (deviennent une tendance) pour les problèmes externalisés et les comportements prosociaux, pouvant suggérer que certaines difficultés persistent sur ces dimensions, mais de façon moins importante.
Analyses avec modèles mixtes
D’autre part, afin de mieux comprendre les facteurs pouvant être associés aux troubles externalisés, internalisés ainsi qu’aux comportements prosociaux des adolescents, les trois variables (c.-à-d. taux de mobilité; temps passé dans la communauté, soit moins de 11 mois ou 12 mois et plus; stress du parent) ont été introduites dans des modèles mixtes, à effets fixes. Ce type d’analyse a été sélectionné, considérant que pour un parent, il pouvait y avoir plusieurs enfants, signifiant qu’une comparaison « within-family » a été nécessaire, pour s’ajuster de façon inhérente à la taille de la fratrie. Le nombre d’enfants par parent est donc la quatrième variable introduite dans le modèle.
Discussion
L’objectif principal de cette étude était de documenter l’impact des relocalisations fréquentes sur l’adaptation des adolescents de 13 à 18 ans, issus de familles militaires canadiennes. Plusieurs indices d’adaptation différents ont été mesurés, soit le cheminement scolaire, les problèmes comportementaux et psychologiques, ainsi qu’une mesure positive soit, les comportements prosociaux. Les analyses réalisées ont également permis de mieux comprendre quelles variables influençaient l’adaptation des jeunes, outre les relocalisations, entre autres, la récence du déménagement et le stress perçu par le parent.
Taux de mobilité
D’abord, ce que l’on constate, au niveau de la mobilité, c’est que le nombre moyen de déménagements des adolescents de familles militaires canadiennes de la présente étude (M=3,94; ET=2,25) est comparable à celui recensé dans les études portant sur les jeunes de familles militaires américaines (Jeffreys et al. (1997) : 4,0; Weber & Weber (2005) : 4,89; Burrell et al. (2010) : 3,43). De même, les résultats sont similaires à ceux de l’étude de Dursun & Sudom (2009), menée dans les FAC, où les répondants affirmaient avoir déménagé en moyenne quatre fois en raison du service militaire. Selon Statistique Canada (2002), 50,2% des jeunes adultes (âgés de 15 à 29 ans) ont déménagé entre 1996 et 2001, la plupart du temps pour se rapprocher des grandes métropoles comme Toronto, Montréal et Vancouver. Il est néanmoins impossible de savoir combien de fois ces jeunes ont déménagé durant ces cinq années et l’étendue d’âge de l’échantillon est beaucoup plus importante que celle de la présente étude. De plus, l’un des éléments majeurs qui distinguent les familles civiles des familles militaires, c’est que ces dernières ont habituellement une faible influence sur l’endroit et le moment où elles déménageront, ainsi que sur la durée durant laquelle elles habiteront au même endroit (Daigle, 2013). Pour les familles civiles, la décision de déménager ou non demeure bien souvent un choix.
D’autre part, toujours selon Statistique Canada (2002), seulement 5,2 % des Canadiens ayant déménagé ont changé de province ou de territoire et 22,4 % de ceux qui ont changé de résidence sont demeurés dans la même municipalité. C’est là l’autre différence majeure entre les familles civiles et militaires, ces dernières étant généralement amenées à déménager dans une autre province, et assurément, dans une autre région. Les changements sont donc nécessairement plus complexes, considérant la réalité politique du Canada, un pays bilingue, où les provinces gèrent, entre autres, leurs propres systèmes d’éducation et de santé. Il n’a toutefois pas été possible de vérifier cet aspect dans l’échantillon à l’étude puisque le nombre de variables qui auraient pu permettre d’identifier les participants devait être restreintes au minimum.
Impacts sur le cheminement scolaire
Le fait de changer de province signifie d’importants ajustements pour les jeunes qui doivent faire la transition, entre autres, au niveau scolaire. Cela expliquerait les constations faites dans le rapport de l’Ombudsman de la Défense nationale et des Forces canadiennes (Daigle, 2013) qui souligne que, pour certains enfants, la transition implique parfois de répéter un semestre ou une année d’études, ou encore sauter une année, afin de pallier aux écarts d’exigences académiques de deux systèmes scolaires différents.
Ces constatations, issues de méthodes qualitatives, n’ont pas été examinées par la présente étude. Par contre, les variables mesurées, soit le rendement académique et les suspensions et les expulsions du milieu scolaire, ne semblent pas liées avec un taux de mobilité élevé chez les jeunes de l’échantillon. Ces résultats sont comparables à ceux obtenus par Strobino & Salvaterra (2000), pour qui le rendement académique des jeunes de familles militaires était soit dans la moyenne ou même supérieur à celle-ci. Ils se comparent également aux résultats de Weber & Weber (2005), où les adolescents ayant vécu plus de sept déménagements avaient un pourcentage de problèmes scolaires comparable à celui des jeunes ayant déménagé moins de deux fois. Les commentaires du personnel scolaire de l’étude de Bradshaw et al. (2010), indiquant que les jeunes de familles militaires sont plus adaptables et maturent plus rapidement, pourraient expliquer en partie la différence retrouvée entre les populations militaires et civiles.
Impacts sur la santé mentale
Les relocalisations fréquentes ne seraient toutefois pas sans conséquences, nos résultats indiquant qu’un taux de mobilité élevé entraîne des difficultés d’adaptation significatives chez les adolescents de familles militaires canadiennes. En effet, ceux-ci seraient davantage susceptibles d’obtenir un diagnostic de trouble de santé mentale, de se faire prescrire de la médication pour cette condition ainsi que de rencontrer un professionnel de la santé pour des difficultés de cette nature. Un nombre important de déménagements est également associé à plus de problèmes externalisés et à moins de comportements prosociaux adoptés par le jeune, bien que d’autres facteurs semblent plus reliés à ces difficultés que le taux de mobilité, soit la récence du déménagement et le stress ressenti par le parent. L’étude de Morris & Age (2009) était également arrivée à la conclusion que les jeunes de familles militaires avaient une prévalence plus importante de problèmes externalisés que leurs homologues civils, quoique la variable de relocalisation n’ait pas été examinée par ces auteurs.
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Table des matières
Remerciements
Table des matières
Liste des tableaux
Introduction
Contexte théorique
Famille et mode de vie militaire
Relocalisation
Stress sur le système familial
Adolescence
Adaptation chez les adolescents
Impacts des relocalisations sur les adolescents
Fréquence des relocalisations
Récence de la relocalisation
Relations avec les pairs
Adaptation à un nouvel environnement scolaire et rendement académique
Psychopathologie et troubles de comportement
Influence du stress perçu par le parent
Objectifs de l’étude et hypothèses de recherche
Méthodologie
Déroulement de l’étude
Description de l’échantillon
Instruments de mesure
Questionnaire sociodémographique
Adaptation des adolescents
Stress du parent
Résultats
Stratégies d’analyses
Rendement académique
Suspensions/expulsions du milieu scolaire
Autres indicateurs d’adaptation
Récence du déménagement
Analyses avec modèles mixtes
Discussion
Taux de mobilité
Impacts sur le cheminement scolaire
Impacts sur la santé mentale
Récence du déménagement
Stress du parent
Forces et limites de l’étude
Implications pratiques
Conclusion
Références
Annexe A
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