Mise en place d’un ensemble de lieux communs
Le système sensationnel utilise les mêmes procédés et la même rhétorique de façon récurrente, si bien que l’on assiste finalement à la constitution d’une topique où se répètent les motifs narratifs utilisés par les magazines.
Des stars
Les stars sont primordiales dans une rhétorique de la captation, car elles jouent le rôle d’appâts, rôle très important si l’on considère que la star est l’unique marchandise vendue par ces magazines : si la star présentée en couverture n’attire pas le lecteur, que reste-t-il au magazine pour se vendre ?
On peut s’attacher aux couvertures de magazines pour des périodes données afin de voir sur un échantillon précis quelles stars sont présentes, et dégager certaines caractéristiques quant au fonctionnement des magazines eux-mêmes. Les périodes retenues pour notre échantillon sont celles du 22 au 29 novembre 1998, du 14 au 21 décembre 1998 et du 8 au 15 juin 1999. Le tableau présenté en annexe 1 répartit les stars par ordre d’importance. Cet ordre d’importance est défini selon la place accordée par le magazine sur l’espace page de la couverture.
Ce tableau met en évidence une catégorisation des stars qui peuvent se répartir entre « habituées » des couvertures et « occasionnelles ». Parmi les habituées, on a les membres des familles royales de Buckingham et de Monaco, représentées tour à tour par le Prince Charles, Diana, Stéphanie, Caroline, Rainier etc. ; on trouve également le clan Hallyday ; et les grandes stars de l’année, à savoir Céline Dion, Lara Fabian, Laetitia Casta et quelques personnalités du football. Au delà de ce constat, on s’aperçoit que certaines lois régissent les couvertures : des lois d’opposition essentiellement mises en place par les magazines. Les deux familles royales se trouvent par exemple en affrontement, et si un magazine fait sa couverture avec Diana, son concurrent jettera son dévolu sur Albert de Monaco.
Tout vient à point
Il est à noter que les articles de la presse à sensation paraissent toujours au moment même où les stars en question sont en promotion pour un film, un disque, un spectacle etc. Il existe des exceptions qui concernent essentiellement des hommages à une star décédée ou des événements qui ont réuni un grand nombre de personnes.
Cette coïncidence avec les promotions des stars est parfois revendiquée par le magazine, c’est le cas par exemple de l’article consacré à la troupe de Notre-Dame de Paris dans le Voici n° 584 ; le plus souvent, il est fait mention des projets ou des réalisations antérieures des stars dont il est question, les exemples sont légions mais nous nous consacrerons à deux d’entre eux : un article du Voici n° 575 sur Robbie Williams, et un autre du n° 13 de Allô sur Lara Fabian. Parfois, on peut croiser des hybrides qui font la promotion d’un produit dérivé en marge d’un article sur la star.
L’article sur Didier Derlich du France Dimanche n° 2728 en est une bonne illustration.
Le public vs le privé
Le lieu dont on parle a son importance. Il est à noter que plus il correspondra au privé, plus il sera racoleur et sensationnel. Les stars sont des personnages publics, tout ce qu’il font dans la sphère du public sera donc photographié, relaté etc. Mais ce qu’elles font dans la sphère du privé est bien plus intéressant pour ces journaux et pour le public. Le caractère sensationnel d’une information sera proportionnel à la parcelle d’intimité qui aura été volée à la star.
A travers les articles et les photos qui les illustrent, les magazines font voyager le lecteur d’un lieu à un autre avec allégresse (annexe 5). On peut dénombrer une quinzaine de lieux où les stars ont été surprises par les journalistes, parmi ces lieux : la rue, la scène, une boîte de nuit, une plage, une séance de dédicaces, une piscine, leur voiture, leur maison, un jardin public, les tribunes de Rolland Garros etc. Pour plus de clarté, on est tenté de classer ces lieux sous les étiquettes de lieux publics et de lieux privés. Mais cette catégorisation ne saurait rendre compte de toute la complexité du système sensationnel, et elle devra donc s’enrichir d’une dimension supplémentaire qui rendra compte de l’ambivalence de certaines situations ; ce sera la dimension de lieux semi-publics ou semi-privés, qui sera exploitée ici. On se rend compte en effet qu’il existe des lieux publics que les stars voudraient garder comme privés (lieux semipublics) et inversement, des lieux privés que les stars rendent publics (lieux semiprivés).
On aura donc :
La publicité et l’effraction sont deux composantes majeures du marché des stars : soit on montre au public ce que la star veut que le public voit ; soit on lui montre ce que la star ne veut pas qu’il voit. L’effraction, c’est à dire le fait de pénétrer un lieu sans autorisation, varie selon les moments. Si le moment n’est pas celui de la « représentation », alors le lieu sera toujours inopportun pour la star.
Sensationnalisme et désinformation – Caractéristiques d’une rhétorique de captation Et les paparazzi veulent justement capter les moments de non-représentation et les rendre publics, sous prétexte de chercher à montrer la vérité : « Je suis invité à rendre compte, par mes photos, d’une avant-première au cours de laquelle chacun présente son meilleur visage, sourire déployé, harmonie générale, congratulations. Puis le cocktail ou le dîner, ses conversations mondaines, ses voisinages surprenants, ses toasts élégants. Au nom de quoi devrais-je m’arrêter à ces apparences, à ces fauxsemblants, et ranger mes appareils quand les couples se séparent, quand les propos s’aigrissent, quand l’alcoolisme mondain tourne à la beuverie ? ». L’effraction n’est pas tant dans la publicité de moments privés mais dans la publicité de moments de non représentation, qu’ils soient publics ou privés.
Il y a tout de même un lieu qui reste privé et que les stars n’offrent pas facilement aux médias, c’est la chambre. On peut rendre publique la vie du foyer, faire pénétrer les journalistes dans sa maison, mais on veut laisser le public à la porte de la chambre. Ce sera justement le lieu du sensationnel et de l’effraction par excellence. On peut faire un rapprochement entre la chambre, lieu sensationnel et la chambre comme lieu de la tragédie racinienne tel qu’il a été étudié par Barthes : « La chambre est à la fois le logement du pouvoir et son essence, car le pouvoir n ‘est qu ‘un secret : sa forme épuise sa fonction : il tue d’être invisible ». la chambre est le lieu du pouvoir parce qu’elle est secrète et invisible, parce que c’est là que tout se passe.
Pour les stars, héros tragiques modernes, l’impression est la même : il semble que le seul lieu que l’on ne puisse pénétrer soit celui où tout se passe. Entre la chambre et le reste de la maison, il y a la porte dont Barthes tentation et une transgression ». Et il arrive parfois qu’il y ait effectivement transgression et que les journalistes ou les photographes, extensions visuelles du lecteur, réussissent à capturer sur la pellicule des moments qui appartiennent au domaine du privé et de l’intime. Cela donne lieu à des clichés qui semblent avoir été pris par le trou de la serrure, à l’insu de tous (voir illustration). Parallèlement on parle beaucoup de « l’après-chambre », de la grossesse par exemple, comme pour se consoler de n’avoir pu être témoin de l’acte, on s’en veut rapporteur.
Saisir et orienter le regard
L’exclusivité et la nouveauté sont indispensables à la rhétorique sensationnelle. Celles-ci dépendent d’habitude de l’information elle-même : l’événement se produit, un journaliste s’en empare et le magazine pour qui il écrit se l’approprie, le confisquant ainsi à ses concurrents. Mais ici, l’exclusivité apparaît plus comme un traitement de l’information. Elle intervient moins au moment du prélèvement de l’information, qu’au moment de son traitement et de son écriture. Les faits sont donc peu exclusifs, leur représentation l’est par contre excessivement ; d’où un statut particulièrement observable de celle-ci.
Une logique visuelle
L’espace-page
L’espace de la page de couverture est le lieu privilégié de cette ostentation. Tout y est orchestré, et organisé de façon à montrer les choses telles que l’on veut qu’elles soient vues. Le lecteur se trouve ainsi face à une mosaïque de formes et de couleurs qui lui indiquent ce qu’il doit y voir.
Les couleurs tout d’abord, ont leur importance : on remarque l’abondance des couleurs primaires comme le rouge bien sûr, mais également le jaune, le bleu et le blanc. Celles-ci attirent le regard et soulignent ce qu’il est important de voir, les gros titres, les noms des stars… La taille utilisée pour les titres, par ailleurs, permet d’instaurer une gradation : certains titres sont plus gros que d’autres, on les lira en premier lieu d’autant qu’ils sont souvent accompagnés des plus grandes photos. Le regard est orienté vers certains points de la couverture, puis vers d’autres, l’oeil suit donc un parcours qui le mène du plus au moins visible.
Si l’on compare les couvertures entre elles, on peut constater que la façon d’organiser la page y est à chaque fois différente. Certains jouent la carte de la sobriété tandis que d’autres préfèrent la surcharge (cf. annexe 6). On peut ainsi comparer la couverture du Paris Match n° 2611 avec celle du Voici n°604, pour remarquer que malgré tout, l’espace de la page est toujours régi par la même logique.
La logique textuelle et énonciative
Le traitement de l’information peut également être textuel et énonciatif. Le magazine aura par exemple recours à une classification sous forme de rubriques qui feront jouer entre eux les différents registres de l’exclusivité (confessions, revue de presse, bruits de couloirs et rumeurs). Il pourra aussi s’agir de la façon dont un article sera rédigé, et la manière de présenter une information affectera alors directement son contenu, ou plutôt l’idée que va se faire le lecteur de son contenu.
Dans les confessions exclusives, une star s’adresse à un journal en particulier, le vôtre, et choisit d’y faire des révélations. L’information a donc un statut particulier puisqu’elle a valeur de confidence, ce qui implique une forte relation de confiance entre la star et le journaliste (et par revers, entre la star et le lecteur). On peut dès lors faire le rapprochement avec la tragédie, où le confident est réellement un double du héros tragique, statut ici relativement valorisant pour le lecteur.
Mais dans la presse à sensation, le secret est fait pour être divulgué.
L’exclusivité est dans le fait d’avoir été dans « le secret des Dieux », mais cela ne suffit pas, il faut rendre les choses publiques, montrant par là même que l’on est en avance sur la concurrence. La publicité du secret est induite par le contrat avec le lecteur, bien sûr, mais elle l’est également par la rivalité avec les autres magazines. Sans cela, l’exclusivité perdrait de son importance, il faut avoir ce que les autres n’ont pas et montrer aux autres qu’on l’a.
Et on peut dire que l’exclusivité est montrée de façon récurrente dans la presse à sensation. Les exemples sont légions : « pour Voici, elle accepte de parler », « Exclusif : Elie Kakou, sa dernière interview », « Entretien exclusif : Lara Fabian nous ouvre son coeur », « Pierre Bachelet s’explique » etc. Et même si le contenu des articles est beaucoup moins exclusif qu’on nous le laisse entendre, cette récurrence de l’exclusivité (et également cette récurrence du terme même d’« exclusivité » et de tous ses dérivés), laisse sa trace dans l’imaginaire du lecteur qui a vraiment l’impression que la star se confie à lui.
Les confessions et révélations exclusives proposaient un positionnement par rapport à la star, les bruits de couloirs et la rumeur quant à eux, se positionnent par rapport à l’information elle-même. Dans ce type de rubrique, tout consiste à publier une information avant même qu’elle ait réellement conquis son statut d’information : elle n’a pas vraiment de source, elle n’a pas été vérifiée etc. Mais elle est quand même publiée par la presse à sensation. C’est une façon de gagner du temps finalement, c’est comme si la rédaction disait au lecteur : « si un jour cela s’avère vrai, vous en aurez entendu parler ici en premier ». C’est aussi une façon de faire participer le lecteur aux dessous du showbiz, en relatant les rumeurs qui y circulent.
Il se pourrait même que certaines rumeurs soient de fausses rumeurs, j’entends par là des rumeurs inventées par la rédaction du magazine (Voici s’oblige à quatre rumeurs par semaine, comment soutenir ce rythme ?). Mais qu’importe, ici c’est la représentation de la chose et non la chose elle-même qui compte. « Une rumeur est une information non-officielle que le grand public n ‘aurait pas dû connaître »9, c’est pourquoi elle a de la valeur.
C’est aussi pour cela qu’il est de bon ton d’avoir quelques rumeurs parmi ses informations : pour montrer au lecteur qu’on ne lui cache rien.
Bien sûr il faut que celles-ci soit identifiées comme telles – perdant bizarrement leur statut de rumeurs – sinon le ridicule guette le magazine.
On peut remarquer tout le registre du sonore qui annonce les rumeurs : chez Gala, la rumeur est placée sous la rubrique «chuchotements», France dimanche parle « d’échos »… rien de tout cela ne fait appel à l’écrit, parce que la rumeur est principalement orale (étymologiquement, la rumeur est un son sourd qui se rapproche du murmure), elle se transmet par la parole plus que par l’écrit : c’est comme si les magazines mimaient la réalité, essayant de retranscrire les véritables conditions de circulation de la rumeur. D’autres magazines comme Voici, Allo ! et Point de vue, font appel à la notion de « potins ».
En général, « le potin n ‘est pas méchant et se consomme essentiellement pour le plaisir de le mâcher : il est très fugace et doit alors être remplacé par un nouveau potin encore tout savoureux ». Le journalisme sensationnel se résumerait-il à des commérages de midinettes ?
La logique scripto-visuelle
Parce que le texte et l’iconique sont à voir ensemble, et parce qu’ils sont souvent associés dans l’espace journalistique, cette étude devait s’enrichir de cette dimension supplémentaire. On trouvera dans le scripto-visuel du textuel qui a un rôle visuel : c’est le cas des titres et des intertitres qui sont des informations écrites, mais qui sont à lire du premier coup d’oeil, fonctionnant donc comme les messages iconiques. On y trouvera également les associations texte-image, le texte venant enrichir l’image, et vice versa, apportant une épaisseur supplémentaire à l’information.
Une logique de la catharsis
La presse à sensation attire son lectorat en jouant sur ses besoins les plus inavoués et en y répondant de façon cathartique : elle répond au besoin du lecteur d’être quelqu’un d’autre en lui proposant des modèles, et elle répond à son besoin de vivre ses perversions en lui proposant la forme éthérée de la procuration.
Mimétisme identificatoire
Le lecteur a surtout besoin de ressentir des émotions différentes de celles que lui offre déjà sa propre vie, tout en se sentant en sécurité. C’est donc pour cela qu’il va être attiré par la lecture de ces magazines. Il va chercher à voir des personnes différentes, des situations différentes, et la presse à sensation va lui offrir des stars et des vies de stars. Cette offre va conduire le lecteur à vouloir ressembler à ces personnes exceptionnelles que sont les stars, ainsi va apparaître chez lui un besoin d’identification.
Il va également ressentir le besoin de vivre des situations et des émotions exceptionnelles, mais en éliminant les risques qu’elles impliquent, de ce besoin naîtra une relation cathartique entre lui et la presse sensationnelle.
Le mimétisme identificatoire est ce phénomène qui consiste à s’identifier à une personne pour qui on éprouve de l’admiration et à se conformer à son mode de vie pour se constituer sa propre personnalité. La presse à sensation joue sur ce besoin de l’être humain à se trouver des modèles, et propose toute une galerie de stars pour y répondre.
Le mimétisme identificatoire peut, à mon avis, se situer à deux niveaux : on peut assister à une identification à la star, bien sûr, mais également à une identification au journaliste lui-même. Ce second niveau peut surprendre a priori, mais se justifie parfaitement.
L’identification à la star peut être une identification amoureuse ou identification à une sorte de pair. L’identification amoureuse consiste à voir la star comme un amour possible, et par conséquent cherche à tout savoir la concernant : joies, peines, détails de la vie privée etc. Toute information lui est nécessaire, mais celles qui concernent la vie amoureuse et les éventuels ruptures ou mariages, le sont davantage.
Des « perversions » sublimées
L’analyse de la presse à sensation a un effet de révélateur pour celui qui l’étudié, puisqu’au fur et à mesure qu’il avance dans l’étude de son objet, il peut voir apparaître les perversions qui guident le lecteur vers ce type de presse. On voit, en effet, transparaître le fétichisme et le voyeurisme en tant que pulsions qui se satisfont de ce que leur apporte la lecture sensationnelle.
Le fétichisme a deux définitions, l’une est religieuse, et décrit le fétichisme comme un culte, une adoration sans limite pour l’objet matériel auquel on attribue un pouvoir surnaturel ; l’autre est psychanalytique, et conçoit le fétichisme comme une perversion sexuelle dans laquelle on obtient la satisfaction par le contact ou la vue d’objets habituellement dénués de signification érotique. Ici, on peut considérer que le fétichisme du lecteur de la presse people répond aux deux définitions : il entretient un culte pour son idole et pour tous les objets qui le rattachent à elle, et il recherche la satisfaction par le contact ou la vue d’objets appartenant ou ayant un lien avec la star.
Edgar Morin a largement montré dans Les stars14, que s’établissait une véritable « liturgie stellaire » autour des stars, un culte qui se nourrit de photos, d’articles, etc. On a donc des stars-dieux devant lesquelles le public tombe en adoration, et l’on peut considérer que les médias interviennent dans ce processus comme des oracles : le public et la star appartiennent à deux mondes différents qui ne coïncident pas, et il faut un médiateur pour les mettre en relation, un oracle pour décoder les messages des dieux vers les non-dieux et pour instaurer une communication.
Toute religion, tout culte a ses rites, le fétichisme correspond tout à fait au culte des stars : les adorateurs reportent leur amour sur des objets ayant un lien avec la star ; ces objets ont pu être en contact avec la star (vêtements, autographes), ce sont les plus précieux et les plus rares ; ils peuvent aussi avoir un lien moins matériel à défaut de lambeaux de vêtements, le tout étant d’avoir quelque chose qui puisse les rattacher un peu plus à leur idole. Et les photos, articles et interviews trouvés dans la presse people participent au culte pour la star: «(…) Le culte des adorateurs se nourrit de ces publications qui déversent sur eux les éléments vivifiants de la foi : photos, potins, interviews… ».
La presse à sensation offre donc un palliatif au besoin compulsif du public de tout avoir et de tout savoir. Le magazine rapproche un peu plus le lecteur de son dieu en lui offrant un ersatz de présence à travers les interviews, les potins et les photos. La photo, réjouit particulièrement le lecteur car elle lui offre une matérialisation de la star, mais le potin n’est pas non plus dénué d’intérêt pour l’adorateur à qui l’on offre une autre forme de matérialité : « le poids de la star, son plat favori, la marque de ses caleçons, son tour de poitrine sont porteurs de présence, dotés alors de la précision et de l’objectivité du réel, à défaut du réel lui-même »16. L’interview quant à elle confirme le rôle d’oracle de la presse, en restituant la parole divine.
Mais si l’on se rapproche de la psychanalyse, le fétichisme est aussi une perversion, puisqu’elle consiste à rechercher le plaisir en dehors des usages traditionnels. Le fétichisme au sens fort est cette pulsion qui déplace le désir vers des objets habituellement dénués de toute connotation érotique. Et on assiste ici à un déplacement du désir vers des objets sans valeur : l’amour pour la star trouve son aboutissement dans la collection de coupures de presse, de photos, de détails etc.
Le voyeurisme est une autre perversion qui trouve sa satisfaction dans l’acte de voir. Le voyeurisme est très présent dans la presse à sensation, et cela à travers les nombreuses photos que l’on trouve à longueur de pages. Tout l’intérêt du voyeur est de voir sans être vu des choses qu’il n’est pas autorisé à voir. La presse people lui offre cette satisfaction en étalant devant lui les photos des stars. La plupart des photos sont prises à l’insu de ces dernières, et il arrive même que des scènes intimes soient rendues publiques par les journalistes. C’est pour satisfaire le voyeurisme latent du lecteur, que la presse à sensation essaie de donner à celui-ci le frisson de la photo interdite.
L’étalage des photos permet ainsi au lecteur d’utiliser principalement la vue pour trouver l’information : l’acte de voir est donc particulièrement valorisé par cette presse.
Le voyeurisme se caractérise également par le fait qu’il se sert du corps de l’autre pour satisfaire son propre plaisir : ici le voyeur peut se servir des stars photographiées pour assouvir sa curiosité maladive. On peut même prolonger la réflexion en émettant l’hypothèse qu’au delà du corps photographié, le lecteur se sert également du corps photographiant, c’est à dire du journaliste lui-même, pour satisfaire son désir. C’est par procuration que le lecteur aura vu la star, il se sera donc également servi de celui qui lui a prêté son corps, de l’intermédiaire, pour parvenir à ses fins.
Ici encore on est dans une logique de la catharsis où l’on vit les choses à travers l’autre, par procuration. La lecture sensationnelle permet ainsi de sublimer ces perversions par un détournement cathartique. Le lecteur charge le journaliste de satisfaire ses perversions, évitant ainsi de les satisfaire lui-même de façon moins louable. Il ne reste donc plus que la sensation du fétichisme et du voyeurisme sans qu’il y ait vraiment acte, le seul acte condamnable serait le journalisme sensationnel qui va recueillir les éléments de la vie privée des stars. Le voyeurisme et le fétichisme prennent donc une forme plus éthérée quand ils sont dans les magazines et l’on peut dire que le lecteur passe au delà de la perversion pour parvenir à un but socialement plus valorisé, à savoir la connaissance.
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Table des matières
Introduction
1. Caractéristiques d’une rhétorique de captation
1.1. Mise en place d’un ensemble de lieux communs
1.2. Saisir et orienter le regard
1.3. Une logique de la catharsis
1.4. La réponse sensationnelle, une rhétorique informationnelle de l’exclusivité
2. Analyse critique de la construction d’un leurre informationnel
2.1. Le sensationnalisme comme principe organisateur de l’information
2.2. Le faux pris en flagrant délit
2.3. L’information malmenée
2.4. La désinformation, définition d’un concept
3. Création d’un horizon d’attente
3.1. Conséquence du contrat de communication
3.2. Les outils de la représentation
3.3. Un modèle communicationnel
Conclusion
Index des auteurs cités
Index des notions abordées
Bibliographie
Annexes
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