BASES RATIONNELLES DE LA VACCINATION CONTRE LA NHEO
LA NHEO : DONNEES BIBLIOGRAPHIQUES
Historique et répartition de la maladie
La première description de la NHEO remonte à 1970, en Hongrie (Bernath et Szalai, 1970 ; Bernath et al., 2001). Elle a été rapportée pour la première fois dans le Sud-Ouest de la France en 1977 (Schettler, 1977). Depuis, la NHEO a touché les élevages de manière sporadique, avec des épisodes particulièrement meurtriers entre 1988 et 1991 (Sans, 1992). Les travaux de Pierre Sans et d’Aimé Vuillaume s’étaient alors arrêtés, faute de financement. Depuis l’hiver 1996-1997, de nombreux épisodes furent constatés : la majorité des cas récents rapportés concerne le bassin de production « traditionnel » : Landes, Gers, Lot et Dordogne. Cependant, des cas isolés ont été décrits en Charente, Haute Vienne, Sarthe et Haut-Rhin (production d’oies blanches à rôtir).
Actuellement, sur le plan international, peu de données permettent d’affirmer l’existence de foyers dans les autres bassins de production en Europe ou en Asie du Sud-Est : un cas a été récemment décrit en Allemagne (Miksch et al., 2002).
Symptômes et lésions
Symptomatologie
Dans les conditions de terrain, la mort est le plus souvent précédée d’un état comateux des animaux, qui s’isolent, ne consomment et ne boivent plus. On observe régulièrement une diarrhée discrète.
Dans les formes suraiguës (rencontrées lors de l’inoculation expérimentale d’oisons d’un jour avec de fortes doses de virus), on note souvent des troubles nerveux (pédalage, opisthotonos) qui conduisent à 100 % de mortalité (Figure 2). Dans les formes plus tardives, des troubles locomoteurs sont fréquents, reliés à des dépôts d’urates dans les articulations. (Guérin et al., 1999).
Les oies qui survivent sont supposées être infectées de manière persistante (Schettler, 1980).
Tableau lésionnel
– Lésions macroscopiques
Les lésions observées à l’autopsie sont caractéristiques (Schettler, 1980) : une ascite gélatineuse et un œdème gélatineux sous-cutané sont constamment observés (Figure 3).
Une néphrite, souvent hémorragique est également régulièrement relevée (présence parfois de dépôts d’urates dans les reins), avec pour les formes d’évolution tardive, des lésions de goutte viscérale associées. Ces dépôts d’urates s’observent aussi dans les articulations. On note également, de manière moins régulière, une entéro-typhlite mucoïde, souvent hémorragique, voire nécrotique (Figure 4) (Kisary, 1993).
D’un animal à l’autre, une grande variabilité lésionnelle peut être observée, en fonction notamment de la rapidité de l’évolution vers la mort.
– Lésions microscopiques
A l’examen histologique, on observe régulièrement des lésions de nécrose de la muqueuse intestinale ainsi qu’une inflammation de l’interstitium rénal (Kisary, 1993). La bourse de Fabricius présente des lésions de lympholyse folliculaire, vraisemblablement associée à une déplétion des populations de lymphocytes B (Guérin et al., 2000). Cette déplétion est certainement associée à une immunodépression chez le sujet infecté, même de manière inapparente. Dans une problématique vaccinale, cela pourrait donc signifier qu’un sujet porteur du virus est susceptible de présenter une réponse vaccinale dégradée. Les lésions d’entérite sont également associées à une nécrose de l’épithélium intestinal. Des foyers hémorragiques sont observés dans de nombreux tissus, en particulier dans les formes suraiguës. Aucune inclusion nucléaire basophile, élément histopathologique majeur de l’infection d’une cellule par un polyomavirus, n’a jamais été observée dans les cellules infectées par le virus de la NHEO. Seules quelques modifications cellulaires et nucléaires non spécifiques sont notées, comme une caryomégalie, une margination de la chromatine ou des cellules picnotiques (Guérin, communication personnelle).
Figure 2 : Signes nerveux (pédalage, opisthotonos) observés à l’issue d’une reproduction expérimentale de la NHEO (8 jours post-inoculation)
Figure 3 : ascite et œdème gélatineux observés à l’issue d’une reproduction expérimentale de la NHEO
Figure 4 : entérite hémorragique avec foyers de nécrose observés à l’issue d’une reproduction expérimentale de la NHEO
Epidémiologie
Épidémiologie descriptive
La NHEO apparaît au mois d’avril avec un pic d’incidence de cas déclarés entre mi-mai et mi-juin (Sans, 1992). On ne rencontre cette maladie que chez l’oie; aucun cas n’a été décrit chez les autres palmipèdes. On admet que le virus de la NHEO peut présenter une longue persistance chez les animaux infectés, des animaux apparemment sains pouvant être porteurs de la maladie.
Sévissant tout d’abord sous forme sporadique, la NHEO se répand ensuite de manière épizootique (Sans, 1992). Elle frappe classiquement les animaux entre 5 et 10 semaines, avec un taux de mortalité de 20 à 80 % sur les lots atteints. Au delà de la 12ème semaine, les oies semblent réfractaires à la maladie. Les épisodes récents sont caractérisés par des manifestations cliniques tardives : il n’est pas rare d’observer des cas en gavage, ce qui était exceptionnel dans les cas apparus entre 1988 et 1991. Aucune thérapeutique n’est efficace.
Il n’y a pas de corrélation entre la taille des bandes ou l’état sanitaire des élevages avec les épisodes de NHEO, bien que les pourcentages de mortalités sont plus importants dans les élevages où la pression parasitaire est élevée.
Les résultats techniques en gavage des animaux rescapés de la NHEO sont comparables à ceux obtenus avec une bande saine (Sans, 1992).
Epidémiologie analytique
Le virus, étroitement spécifique de l’oie, semble être faiblement contagieux. La période d’incubation constatée sur le terrain est longue (de 3 semaines à 2 mois); elle est beaucoup plus courte par inoculation expérimentale (5 à 10 jours).Les voies de transmission de l’agent sont encore mal connues; la résistance du virus favorise vraisemblablement la contamination des animaux démarrés dans un bâtiment contaminé. Il apparaît qu’expérimentalement, la sensibilité des animaux à l’infection se limite aux 3 à 4 premières semaines de vie, ce qui met en exergue l’importance de la maîtrise sanitaire au démarrage. Les données les plus récentes résultent de l’étude épidémiologique entreprise par Léon (Léon, 2002). Grâce à un test de diagnostic fondé sur la détection du génome viral, la prévalence d’infection des parquets d’un groupement producteur d’oisons d’un jour du Sud Ouest a été estimée : il a été montré l’existence de porteurs sains cloacaux, et ce même dans des parquets constitués d’oies n’ayant jamais présenté de NHEO clinique pendant leur élevage. A l’abattoir, une proportion significative de porteurs sains virémiques a été détectée. Le portage à long terme est en tout cas clairement montré chez l’oie infectée ; il est cohérent avec la biologie des autres polyomavirus (Ritchie, 1991; Shah, 1996) et avec les observations de terrain concernant la NHEO (Schettler, 1977; Sans, 1992 ; Kisary, 1993). En élevage d’oies « prêtes-à-gaver », on note une saisonnalité marquée, ainsi qu’un pic d’occurrence clinique sur les individus de plus de six semaines. Enfin, la présence du virus dans les populations d’oies cendrées sauvages semble possible. lorsqu’un élevage est infecté, il semble que le nombre d’individus porteurs sains et excréteurs soit peu élevé. La question de la transmission verticale du virus n’en prend que plus d’importance ; cependant, à ce jour nous n’avons pas pu détecter de séquence virale chez les oisons d’un jour issus d’oies infectées. La détection de virus chez des oies sauvages migratrices devra quant à elle se prolonger par des travaux de caractérisation virale avant de tirer des conclusions quant aux interactions épidémiologiques avec les oies d’élevage.
Etiologie : le Goose hemorrhagic polyomavirus (GHPV)
La découverte du virus
Depuis la première description de la maladie, la plupart des auteurs suspectaient l’intervention d’un agent infectieux de nature virale comme agent étiologique de la NHEO (Bernath et al., 1970 ; Schettler, 1977 ; Sans, 1992 ; Vuillaume, 1993). Guérin et al. (2000) ont reproduit la maladie expérimentalement en inoculant à des oisons de un jour un broyât de foie et de rate prélevés sur des animaux morts de NHEO en élevage. L’inoculation de fractions purifiées sur gradient de saccharose a permis elle aussi de reproduire la maladie. Les auteurs ont adapté le virus à la culture cellulaire sur des cellules épithéliales de rein d’oison, permettant ainsi d’obtenir une solution de virus purifié à partir de lysats de ces cultures. La présence d’antigènes viraux a été détectée par immunofluorescence, en utilisant du sérum d’oies reproductrices ayant subit un épisode de NHEO dans leur phase d’élevage. Le virus a été observé en microscopie électronique soit à partir des fractions purifiées à partir d’organes infectés, soit directement dans les cellules infectées. Des particules sphériques de 45-50 nm de diamètre, peu denses et non enveloppées, évoquant un virus de type « papova-like », ont ainsi été observées (Fig. 5). Les particules sont localisées dans le noyau des cellules infectées, ce qui est compatible avec la biologie de nombreux virus à ADN. L’analyse génétique par amplification aléatoire (PCR à faible stringence, ie à faible température d’hybridation) a permis de séquencer un fragment de 1175 paires de bases (pb), présentant une similarité (homologie de séquence) avec le fragment codant pour la protéine VP1 de plusieurs polyomavirus.
L’élaboration d’amorces spécifiques de ce fragment (VP1F et VP1R) a permis, par PCR à haute stringence, la visualisation d’un produit de 144 pb. Ce même produit se retrouve lorsque l’on teste différents tissus issus soit de cas cliniques de NHEO en élevage ou lors d’infection expérimentale, soit d’extraits de culture cellulaire. Les auteurs, suite à la synthèse des caractéristiques génétiques, physico-chimiques et biologiques du virus, ont conclu à la présence d’un virus de la famille des Polyomaviridae. L’analyse phylogénétique du fragment de 1175 pb (Guérin et al., 2000) montre une similarité nucléotidique variant de 50 à 72% avec d’autres polyomavirus (tableau 1). L’arbre phylogénétique (fig. 6) déduit de l’analyse de la séquence de VP1 montre que le polyomavirus impliqué est original, et est donc nommé Goose hemorrhagic polyomavirus (GHPV) par les auteurs. Il nous paraît nécessaire de faire un bref rappel sur les polyomavirus, en développant rapidement leurs principales caractéristiques morphologiques, puis en insistant sur leur biologie.
Figure 5 : Particules virales nues de 45 nm de diamètre (échelle=100 nm). Fraction purifiée par gradient de saccharose en ultra-centrifugation isopycnique, observée au microscope électronique à transmission.
Tableau 1 : Comparaison de la séquence d’acides aminés de la protéine VP1 du GHPV et de 7 autres polyomavirus. L’identité représente le pourcentage d’acides aminés identiques, la similarité se fonde sur les acides aminés aux caractéristiques chimiques proches. Légende : JCV : virus JC (homme) ; BKV : virus BK (homme) ; LPV : Lymphotropic papovavirus (singe) ; SV40 : Simian virus 40 (singe) ; BFDV : Budgerigar fledgling disease virus (Psittacidés principalement, décrit chez les falconiformes, les passériformes…). D’après Dubois, 2002.
Figure 6 : Arbre phylogénétique fondé sur la séquence nucléotidique de la VP1. L’arbre a été construit en utilisant la méthode des plus proches voisins. Les nombres aux intersections traduisent la fiabilité de l’embranchement : plus ce nombre est proche de 1000, plus l’embranchement est fiable. Légende : HaPV : hamster polyomavirus, ByPV : bovine polyomavirus, KV : murine polyomavirus kilham strain. D’après Guérin et al., 2000.
Les polyomavirus
– Structure
Les polyomavirus sont des virus à ADN double brin circulaire de 5kpb en moyenne, non enveloppés, donc résistants à la chaleur et aux solvants, de 40 à 50 nm de diamètre, à symétrie icosaédrique.
La capside contient 3 protéines virales, VP1, VP2 et VP3. La principale protéine VP1 est organisée en 72 pentamères, chacun étant associé à une protéine VP2 ou une protéine VP3. Les ions Calcium stabilisent les interactions pentamère-pentamère. Seule la protéine VP1 est exposée au milieu extérieur, assurant l’interaction avec les récepteurs cellulaires spécifiques. La VP1 des polyomavirus, produite en système recombinant, Escherichia coli ou baculovirus, a la capacité de s’auto-assembler pour former des capsides vides, appelées pseudo-particules ou VLP (Virus-Like Particles), dont l’aspect en microscopie électronique est très proche des virions infectieux. Cette production de VLP est exploitable à des fins vaccinales ou pour vectoriser des gènes étrangers, en vue de thérapie génique ou de vaccination à ADN (Rodgers et al., 1994 ; Goldmann et al., 1999).
– Taxonomie
Historiquement, les polyomavirus faisaient partie de la sous-famille des Polyomavirinae, qui constituait, avec la sous famille de Papillomavirinae, la famille des Papovaviridae. A l’heure actuelle, les Polyomaviridae sont une famille à part entière, contenant 13 membres (Van Regenmortel et al., 2000). Les polyomavirus ont été décrits chez les mammifères et chez les oiseaux. Le tableau 2 reprend les hôtes, le ou les virus associés et leurs principales caractéristiques.
Tableau 2 : Les différentes espèces de polyomavirus, d’après Shah, 1996 ; Guérin et al., 2000. On entend par
« infection classique », une infection latente, persistante, ciblée dans un tissu ou un organe déterminé. Cette infection s’observe chez les mammifères.
Génétique virale
Le génome des polyomavirus est circulaire. Chaque brin contient la moitié de l’information génétique (Shah, 1996). Il est subdivisé en une région précoce, une région tardive, nommées ainsi en fonction de la chronologie de leur expression dans le cycle viral. La région précoce est exprimée rapidement après l’entrée du virus dans la cellule, et la région tardive est exprimée une fois que la réplication virale a commencé. Il existe également une région non codante. La figure 7 présente l’organisation schématique du génome du BFDV (Shah, 1996).
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Table des matières
INTRODUCTION
1ère partie SYNTHESE BIBLIOGRAPHIQUE
I. LE CONTEXTE DE LA PRODUCTION D’OIES A GAVER
I.1. CONTEXTE ECONOMIQUE
I.2. ORGANISATION DE LA FILIERE ET ITINERAIRES TECHNIQUES
II. LA NHEO : DONNEES BIBLIOGRAPHIQUES
II.1. HISTORIQUE ET REPARTITION DE LA MALADIE
II.2. SYMPTOMES ET LESIONS
II.2.1. Symptomatologie
II.2.2. Tableau lésionnel
II.3. EPIDEMIOLOGIE
II.3.1. Épidémiologie descriptive
II.3.2. Epidémiologie analytique
II.4. ETIOLOGIE : LE GOOSE HEMORRHAGIC POLYOMAVIRUS (GHPV)
II.4.1 La découverte du virus
II.4.2. Les polyomavirus
II.4.3. Génétique virale
II.4.4. Cycle de réplication virale
II.4.5. Particularités des deux polyomavirus aviaires, le BFDV et le GHPV
III. BASES RATIONNELLES DE LA VACCINATION CONTRE LA NHEO
III.1. PRINCIPES EN IMMUNOLOGIE ET VACCINOLOGIE AVIAIRES
III .1.1. L’immunologie des palmipèdes, cette inconnue
III.1.2. Les types de vaccins utilisables en aviculture
III.1.3. modes d’administration des vaccins aviaires
III.2. VACCINS ET POLYOMAVIRUS
III.2.1. polyomavirus et immunité
III.2.2. le vaccin BFDV, premier vaccin contre un polyomavirus :
III.2.3. Le candidat vaccin et son évaluation :
2ème partie ETUDE EXPERIMENTALE
I. MATERIEL ET METHODES
I.1. PREPARATION D’UN VACCIN INACTIVE CONTRE LE GHPV
I.1.1. Production du virus
I.1.2. Protocole d’inactivation
I.1.3. Ajout de l’adjuvant
I.1.4. Doses vaccinales utilisées
I.2. PROTOCOLES EXPERIMENTAUX SUR LES ANIMAUX
I.2.1. Essai de détermination de la dose vaccinale
I.2.2. Vaccination de jeunes oies en croissance et suivi sérologique
I.2.3.Vaccination d’oies reproductrices et suivi sérologique
I.2.4. Suivi sérologique sur oisons d’un jour issus de reproductrices vaccinées
I.2.5. Epreuve virulente sur oisons d’un jour issus de reproductrices vaccinées
I.3. RECHERCHE DE L’ADN DU GHPV PAR PCR
I.4. DOSAGE DES ANTICORPS ANTI-GHPV PAR TECHNIQUE ELISA
I.4.1. Principe
I.4.2. Réalisation
I.4.3. Cas particulier des anticorps vitellins
II. RESULTATS
II.1. INNOCUITE DU VACCIN INACTIVE ET ADJUVE
II.2. DETERMINATION DE LA DOSE VACCINALE
II.2.1. Doses vaccinales testées
II.2.2. Suivi sérologique des oies vaccinées
II.3. VACCINATION D’OISONS EN CROISSANCE
II.4. VACCINATION D’OIES REPRODUCTRICES
II.5. MESURE DU TITRE EN ANTICORPS SUR DES OEUFS D’OIES VACCINEES
II.6. SUIVI SEROLOGIQUE SUR DES OISONS ISSUS D’OIES VACCINEES
II.7. EPREUVE VIRULENTE SUR OISONS ISSUS D’OIES VACCINEES
III. DISCUSSION
CONCLUSION – PERSPECTIVES
TABLE DES ILLUSTRATIONS
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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