La fièvre Q fût décrite pour la première fois en 1935 par le Dr. Edward Derrick suite à l’apparition d’un syndrome grippal inexpliqué chez des ouvriers d’un abattoir de Brisbane en Australie (Derrick, 1983). Il nomma cette maladie Q fever, en référence à la première lettre du terme anglais query qui signifie « à élucider ». Il décida ensuite d’inoculer l’urine et le sang des patients infectés à des cobayes afin d’isoler l’agent responsable de ces fièvres inexpliquées, sans succès. Il adressa alors un broyat de foie d’un cobaye infecté au Dr. Franck Macfarlane Burnet à Melbourne, qui réussit à isoler un organisme proche des Rickettsies. Cet organisme fut dans un premier temps nommé Rickettsia burnetii.
Simultanément aux États-Unis, les Drs Herald Cox et Gordon Davis isolèrent un organisme en investiguant le rôle de vecteur potentiel des tiques dans la transmission de la fièvre des montagnes rocheuses et de la tularémie. La contamination accidentelle du personnel du laboratoire leur permit de faire le rapprochement avec les fièvres australiennes décrites précédemment. En hommage aux découvreurs de cet agent infectieux, Rickettsia burnetii fut renommée en 1948 par le Dr. Cornelius B. Philip, Coxiella burnetii (Philip, 1948). Depuis, les études sur ce pathogène se sont multipliées mais de nombreuses questions d’ordre phylogénétique ou métabolique restent encore aujourd’hui en suspens.
C. burnetii a d’abord été classée dans la famille des Rickettsies, de par leurs nombreuses propriétés physiologiques communes. Cependant, cette bactérie intracellulaire stricte a ensuite été re-classifiée dans le phylum des Proteobacteria, la classe des Gammaproteobacteria, l’ordre des Legionellales et la famille des Coxiellacae dont l’espèce burnetii serait la seule dans le genre Coxiella (Arricau Bouvery and Rodolakis, 2005). De récentes études ont toutefois remis en cause l’unicité d’espèce dans le genre Coxiella en décrivant des bactéries génétiquement très semblables à C. burnetii, dites Coxiella-like (Duron et al., 2015a; Duron et al., 2015b).
C. burnetii a été décrite chez de nombreux hôtes dont les mammifères domestiques et sauvages mais également chez les oiseaux et les arthropodes, en particulier chez les tiques (Duron et al., 2015b; Rousset et al., 2001). Chez la majorité des espèces la fièvre Q est le plus souvent asymptomatique, ce qui suggère probablement une sous-estimation des populations susceptibles à l’infection par C. burnetii (individus infectés mais pour lesquels la maladie ne s’est pas encore déclarée, ils s’opposent aux individus infectieux).
Les ruminants domestiques sont considérés comme le réservoir principal de l’infection pour l’Homme. L’agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) a d’ailleurs catégorisé la fièvre Q comme étant la deuxième maladie (sur 40) représentant un impact majeur pour les élevages de ruminants (ANSES, 2012), derrière la tuberculose à M. bovis et devant la salmonellose bovine clinique. Cette maladie est une zoonose considérée aujourd’hui de répartition mondiale (Angelakis and Raoult, 2010; Gurtler et al., 2014; Kazar, 2005), exceptée en Nouvelle-Zélande. Les premiers cas européens de fièvre Q ont été décrits chez des soldats allemands cantonnés dans les Balkans, durant la deuxième guerre mondiale. Plusieurs épidémies de fièvre Q ont par la suite été rapportées en France, en Suisse, en Grande-Bretagne, en Allemagne ou encore aux Pays-Bas . Avec plus de 4000 cas humains recensés entre 2007 et 2012, l’épidémie des PaysBas rappelle à quel point les conséquences de cette maladie peuvent être importantes en termes de santé publique.
Une particularité de la fièvre Q est la variabilité de son expression clinique chez l’Homme et son caractère fréquemment asymptomatique rendant ainsi son diagnostic difficile. Cette maladie est également largement sous diagnostiquée en raison de l’absence de système de surveillance permettant de mesurer son incidence en France. Une ancienne étude (Dupont et al., 1994) a montré que l’incidence de la fièvre Q aiguë en France était de 2,5 cas pour 100 000 habitants et sa prévalence de 50 cas pour 100 000 habitants (Frankel et al., 2011). Le nombre moyen annuel de nouveaux cas de fièvre Q aiguë diagnostiqués ou confirmés était de 217 (entre 2004 et 2010) selon le Programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI) et de 240 (entre 2009 et 2012) selon le Centre national de référence (CNR), (HCSP, 2013).
Ces études confirment le rôle majeur des ruminants domestiques (bovins, ovins et caprins) et plus particulièrement des petits ruminants dans la transmission de la maladie à l’Homme. Cependant, le potentiel risque zoonotique que représente la faune sauvage ainsi que d’autres espèces animales domestiques est encore aujourd’hui mal connu. Chez l’Homme, le CNR estime qu’après une primo-infection 60% des personnes resteront asymptomatiques, avec observation uniquement d’une séroconversion et 40% développeront une forme symptomatique de la maladie , (Raoult et al., 2000). Les expressions cliniques aiguës les plus fréquemment décrites sont un syndrome pseudo-grippal spontanément résolutif, une hépatite, une pneumopathie ou une méningo-encéphalite.
Parmi les infections symptomatiques aiguës chez l’Homme, 1 à 5% évoluent vers une forme chronique avec nécessité d’hospitalisation du fait de leur gravité (Million et al., 2009). Les formes les plus sévères surviennent principalement chez des sujets présentant des facteurs aggravants. Il s’agit surtout de patients atteints de valvulopathies cardiaques, de personnes immunodéprimées ainsi que des femmes enceintes , (Carcopino et al., 2009). Cependant, la différenciation des formes aiguës et chroniques de la maladie est aujourd’hui controversées.
La fièvre Q chez les ruminants est, comme chez l’Homme, le plus fréquemment asymptomatique. Lors d’apparition de signes cliniques, elle se manifeste majoritairement par des avortements en fin de gestation, des mises bas prématurées, des naissances d’animaux chétifs ou mort-nés (Arricau-Bouvery and Rodolakis, 2005). Chez les bovins, la survenue d’autres troubles de la reproduction (infections utérines, infertilité, mortinatalité) a également été décrite mais nécessite d’être confirmée (Agerholm, 2013). Ces différences en termes d’expression clinique et de charges bactériennes excrétées entre les bovins, les ovins et les caprins suggèrent une possible diversité des souches circulantes chez ces espèces. Bien que les avortements soient soumis à déclaration obligatoire en France dans le cadre de la surveillance de la brucellose, ils restent sous-déclarés notamment en élevages de petits ruminants (Bronner et al., 2014). La maladie est également fortement sous diagnostiquée. En effet, les coûts inhérents aux analyses de laboratoire, la difficulté d’interprétation des résultats de diagnostic différentiel d’avortement et le manque de mesure de lutte efficace découragent le plus souvent les éleveurs à investiguer l’implication de C. burnetii.
Un dispositif de surveillance événementielle de la fièvre Q chez les ruminants domestiques a été mis en place de septembre 2012 à août 2015 dans dix départements pilotes (Hautes-Alpes, Aveyron, Finistère, Indre-et-Loire, Loire, Mayenne, Nièvre, Pyrénées-Atlantiques, Saône-etLoire, Deux-Sèvres). Les séroprévalences ont été estimées à 22, 26 et 41% respectivement en troupeaux bovins, ovins et caprins (Gache et al., 2016). En Europe, des études récentes montraient des séroprévalences intra-troupeau variant entre 38 et 70% chez les bovins, 7 et 88% chez les caprins et 0 et 89% chez les ovins (EFSA, 2010). Toutefois, ces estimations très variables sont difficilement comparables car elles reposent sur des populations d’études, des critères de sélection des lots suivis et des méthodes d’analyses de laboratoire très divers. Ces estimations constituent de plus des mesures très imparfaites du statut sanitaire du troupeau et du risque potentiel de transmission entre les animaux et des animaux à l’Homme. En effet, les études de séroprévalence ne permettent pas d’estimer le nombre d’animaux excréteurs, qui pour certains ne présentent pas d’élévation significative des taux d’anticorps (Astobiza et al., 2011; Khaled et al., 2016).
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Table des matières
INTRODUCTION
CHAPITRE I – INTRODUCATION GÉNÉRALE-
CONTEXTE ET ENJEUX
OBJECTIFS DE LA THÈSE
CHAPITRE II – CIRCULATION DE COXIELLA BURNETII EN ÉLEVAGE : DU GÉNOTYPE AU PHÉNOTYPE
ÉTAT DES CONNAISSANCES
II.1 Caractéristiques de l’agent étiologique
II.1.1 Différenciation cellulaire et variations de phase
II.1.2 Potentiel infectieux
II.2 Caractéristiques de l’infection chez l’animal
II.2.1 Voies d’excrétion
II.2.2 Voies de contamination
II.2.2.1 Voie aérienne
II.2.2.2 Voie alimentaire
II.2.2.3 Autres voies de transmission
II.2.3 Réponse immunitaire
II.2.4 Réservoirs et espèces sensibles
II.2.4.1 Réservoirs principaux : les ruminants domestiques
II.2.4.2 Autres espèces animales ; exemple du cheval
II.3 Méthodes diagnostiques
II.3.1 Enzyme-linked Immunosorbent Assay (ELISA)
II.3.2 Real-time PCR
II.4 Prophylaxie
II.4.1 Prophylaxie sanitaire
II.4.2 Prophylaxie médicale
II.5 Étude de la diversité génotypique
II.5.1 Typages moléculaires
II.5.1.1 MLVA
II.5.1.2 MST
II.5.1.3 Élément d’insertion IS1111
II.5.1.4 SNP
II.5.1.5 RFLP
II.5.2 Séquençage total du génome
II.6 Caractérisation phénotypique
II.6.1 Isolement à partir d’échantillons de terrain
II.6.2 Test de viabilité : PCR avec ethidium ou propidium monoazide
II.6.3 Modèles d’infections
II.6.3.1 In vitro sur lignées macrophagiques
II.6.3.2 In vivo sur souris
II.6.3.3 Autres modèles
II.6.4 Virulence des souches séquencées
CONCLUSION
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