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La végétation
Deux grands ensembles de végétations peuvent être distingués sur l’archipel du Vanuatu : à l’est, une forêt tropicale humide, et à l’ouest une forêt semi-décidue. La répartition de ces deux ensembles dépend du régime des pluies (voir point 3.1.). L’altitude, l’augmentation de la précipitation et la baisse des températures vont modifier la composition de la forêt tropicale humide, en favorisant le développement des épiphytes et des fougères arborescentes. Des petits arbres avec une faible canopée et l’écorce couverte de mousses sont caractéristiques de cette végétation.
L’urbanisation grandissante de l’archipel est à l’origine de l’augmentation de l’abondance des plantes introduites (n’existant pas à l’état naturel au Vanuatu), des cocoteraies et des pâturages. Due à la présence de la capitale, il ne subsiste en réalité que peu de forêt non dégradée à Efate, sauf vers le centre de l’île (figure 4).
La rive nord du marais d’Emaotfer est fortement anthropisée par la présence d’habitats, de jardins et de zones de pèche. La rive sud, sur une propriété privée, est un peu plus protégée. Elle est composée d’herbes aquatiques (Cyperaceae, Nymphaceae) et de fougères dans la zone inondée, des fourrés à Hibiscus tiliaceus (Malvaceae) et à Castanospermum australe (Fabaceae) colonisent la zone de battement des eaux. Une forêt principalement composée de Pandanus sp. (Pandanaceae) succède aux fourrés. La présence d’élevage sur le plateau entourant le marais est à l’origine d’une savane anthropisée à Urticaeae, Moraceae, Burseraceae et Flacourtiaceae (Annexe 1).
La végétation entourant le lac Otas présente aussi des signes de dégradation. Une frange de Cyperaceae constitue le rivage du lac, à laquelle succède une ceinture arborée principalement composée de Barringtonia sp. (Lecythidaceae), d’Hibiscus tiliaceus (Malvaceae), de Myrtaceae et de Fabaceae. En s’éloignant de la rive, une savane fortement anthropisée remplace cette ceinture. L’ouverture de la végétation est plus marquée sur la rive est (Annexe 1).
Occupations préhistoriques du Vanuatu et d’Efate
Les premières migrations
La datation de sites archéologiques et les analyses d’ADN sur des restes humains issus des îles du Pacifique sud-ouest ont permis de déterminer deux vagues de migrations qui ont atteint l’Océanie à partir de l’Asie du sud est (figure 5). La première vague s’est produite entre 53 et 40,000 ans BP et a conduit les populations vers la Papouasie-Nouvelle-Guinée, quelques îles de l’Océanie Proche (îles Bismarck et nord-ouest des îles Salomon) et l’Australie (eg. Bowler et al., 2003 ; Pope et Terrell, 2007 for a review ; Rasmussen et al., 2011 ; Turney et al., 2001 ; Wickler et Spriggs, 1988). La deuxième vague est beaucoup plus récente, amenant des populations des îles Bismarck vers l’Océanie Lointaine (à l’est des îles Salomon jusqu’aux Tonga/Samoa) à partir de 3500 ans (eg. Bedford et Spriggs, 2007 ; Burley et Connaughton, 2007 ; Kirch, 2000 ; Sand, 2010 for a review ; Summerhayes et al., 2010).
Des tessons de poteries à décors pointillés, datant de 3000 ans cal BP, ont été découverts pour la première fois au lieu-dit Lapita, en Nouvelle-Calédonie (Gifford et Shulter, 1956). La description de ces tessons a permis de définir la culture associée à la deuxième vague de déplacement de populations sous le nom de “complexe culturel Lapita” (Green, 1979). Cette culture, datée de 3500 à 2800 ans BP, se serait étendue rapidement des îles Bismarck aux Fiji grâce aux migrations humaines.
Les hypothèses justifiant une deuxième vague de peuplement si tardive par rapport à la première restent un sujet de débat : une augmentation démographique, des conditions climatiques particulières et/ou des éruptions volcaniques violentes ont pu inciter les populations à se déplacer vers l’est du Pacifique (Anderson, 2006 ; Bellwood, 2011 ; Fitzpatrick et Callaghan, 2013 ; Irwin, 2008 for a review). Des études génétiques réalisées sur des ossements d’animaux introduits par l’Homme (par exemple le chien, le cochon et le poulet – voir point 3.4.), et en particulier le rat permettent d’obtenir des informations sur l’origine et le trajet des migrations humaines (Larson et al., 2007 ; Matisso-Smith et Robins, 2009 ; Storey et al., 2010 ; Thomson et al., 2014). Ainsi, ces analyses ont révélées deux introductions du rat en Océanie Lointaine : la première lors de la migration Lapita et la seconde vers 1000 ans BP, d’origine Micronésienne (Matisoo-Smith, 2007).
L’origine de la culture Lapita est incertaine : elle aurait émergé, selon certains auteurs, grâce à des innovations au sein de populations de la Mélanésie insulaire (Allen et White, 1989 ; Gosden, 1989 ; Terrel 2004 ; White et Allen, 1980). D’autres voient l’intrusion d’une nouvelle population venant d’Asie du sud-est comme le phénomène à l’origine de cette culture (Bellwood et al., 1995 for a review ; Kirch et Hunt, 1988 for a review). L’hypothèse privilégiée actuellement par les chercheurs est en fait une combinaison des deux précédentes. Des populations venant du sud-est de la Chine et de Taïwan auraient atteint la Papouasie-Nouvelle-Guinée entre 5000 et 4500 ans BP et leurs technologies auraient évolué sur place en culture Lapita (figure 5). De nombreux échanges culturels et des migrations humaines se seraient produit pendant cette période entre les îles de l’Asie du sud-est, la Papouasie-Nouvelle-Guinée et les iles d’Océanie proche (eg. Bellwood, 2005 ; Donohue et Denham, 2012, for a review ; Pawley, 2007 ; Sand, 2010, for a review ; Soares et al., 2011 ; Wollstein et al., 2010).
Les céramiques, symboles de la culture Lapita, sont modelées à partir d’une pâte rouge brique, puis ornées de motifs pointillées ou incisés représentant des faces anthropomorphes et des figures géométriques (Garanger, 1972 ; Kirch, 1997, for a review ; Sand et al., 1996 ; Spriggs, 1990 – Annexe 2). Des traces de peintures sont parfois identifiées sur des poteries (Bedford, 2006a). Leur rareté est probablement due aux processus taphonomiques, considérables dans les zones tropicales (Green, 1979). La fragilité des poteries indique qu’elles devaient avoir une fonction particulière (rites funéraires, offrandes ?) à l’inverse de poteries plus simples et moins fragiles, utilisées probablement quotidiennement (Bedford et al., 2007 ; Chui, 2005, 2007). Des herminettes en pierres ou en coquillages, des éclats d’obsidiennes, des hameçons en os et des parures en coquillages ou en os sont aussi fréquemment retrouvés sur les sites archéologiques Lapita (Kirch, 1997 for a review).
Au Vanuatu, le plus ancien site a été découvert à Makué, près de l’île de Santo (Galipaud et Kelly, 2007). Plusieurs niveaux d’occupations successifs indiquent une arrivée des premières populations entre 3240 et 3160 ans BP environ. Le cimetière de Teouma, localisé sur la rive gauche de la rivière du même nom (au sud d’Efate – figure 6 et Annexe 2A), constitue l’un des sites archéologiques les plus important du Vanuatu, tant par le nombre d’artefacts et d’ossements retrouvés (plus d’une centaine d’individus à ce jour) que par l’âge du site, datant des premières migrations, autour de 3000 ans cal BP (Bedford et al., 2010 ; Petchey et al., 2014). Les études réalisées sur ce site donnent de précieuses indications sur les rituels funéraires complexes, qui semblent assez distincts de ceux relevés en Asie du sud-est, et sur les comportements de subsistance de ces populations (eg. Constantine et al., 2015 ; Kinaston et al., 2014b ; Scott et al., 2010 ; Valentin et al., 2010a, 2014, 2015 – voir le point 3.4.). Un régime alimentaire et des positions funéraires différents ont ainsi pu être observés pour quelques individus. Ils pourraient correspondre aux premiers migrants Lapita arrivés sur l’île d’Efate.
Installations permanentes
Le complexe culturel Lapita se modifie entre 2900 et 2700 ans BP, pour former un ensemble de cultures post-Lapita, dont les caractéristiques varient selon le temps et la géographie. Cependant, les réseaux d’échanges entre les archipels de l’Océanie Lointaine se seraient maintenus pendant la période post-Lapita, à l’origine de quelques poteries aux formes et motifs similaires provenant de plusieurs îles (Bedford, 2006b, 2009 ; Garling, 2007 ; Spriggs 2004 ; Ward, 1979). Notre étude se concentre sur l’île d’Efate, ainsi nous allons présenter les caractéristiques majeures des cultures post-Lapita du centre du Vanuatu.
● La culture Arapus : elle est définie par le site éponyme Arapus, situé sur la côte nord-ouest de l’île d’Efate (figure 6) et daté entre 2900 et 2850-2800 ans BP. Le site Arapus constitue la plus ancienne trace d’installation humaine dans le nord-ouest d’Efate. Les tessons de poteries retrouvés sont uniquement décorés sur la lèvre (entailles) et les artéfacts non céramiques (herminettes, anneaux, hameçons) sont de formes semblables à ceux découverts dans tous les sites post-Lapita (Bedford, 2006b ; Garanger, 1972 – Annexe 2B). Il est possible que cette culture fasse en réalité partie de la tradition Lapita, et les céramiques retrouvées seraient utilisées au quotidien, à l’inverse des poteries ornées de motifs pointillés et incisées, employées vraisemblablement lors de cérémonies et rituels (Bedford et Spriggs, 2000).
● La culture Erueti : cette culture succède à celle d’Arapus, et se termine autour de 2200 ans BP. Les artéfacts distinctifs de la culture Erueti proviennent du site du même nom, sur la côte sud d’Efate (figure 6). Les herminettes, les anneaux et les éclats d’obsidiennes sont similaires à ceux retrouvés sur les sites Lapita. Les céramiques datées entre 2800 et 2500 ans BP (Erueti ancien) sont semblables à celles des sites d’Erromango et des îles Banks (Ward, 1979). Elles sont décorées de quelques motifs incisés. Après 2500 ans BP (Erueti récent), les poteries sont caractérisées par des formes plus diverses et des motifs linéaires ou géométriques plus fréquents, réalisés par incision (Bedford, 2006b, 2009 ; Garanger, 1972 – Annexe 2B).
● La culture Mangaasi : le site de Mangaasi, au nord-ouest d’Efate (figure 5) est le seul site du Vanuatu à documenter la période de 2000 à 1200 ans BP. Les décors incisés, en pointillés ou appliqués sont de plus en plus complexes et diversifiés. Après 1600 ans BP, certaines poteries présentent du surmodelage. Les artefacts non céramiques, principalement des anneaux en coquillage, sont peu variés (Bedford, 2009 ; Garanger, 1972 – Annexe 2B). Il s’agirait de la dernière culture de la préhistoire du Vanuatu associée à une phase importante de production de céramique.
La période allant de 1200 à 600 ans BP est très peu documentée, du fait de la difficulté à mettre au jour un site archéologique sans se baser sur la présence de tessons de poterie. De plus, les fouilles à l’intérieur des terres sont beaucoup moins fréquentes que celles sur les rivages, la présence d’une végétation dense rendant la tâche plus complexe (Bedford et Spriggs, 2014 for a review).
Influence de la culture polynésienne
À partir de 1400 AD, la culture polynésienne influence les sociétés des îles du centre et du sud de l’archipel. Peu de céramiques sont présentes dans les niveaux datant de 600 ans BP et au delà, alors que le nombre et la variété d’artefacts en os et coquillages est considérable (Shutler et al., 2002). Les dents de cochons recourbées en spirales, qui constituent un des symboles du Vanuatu, semble venir d’une tradition polynésienne (Garanger, 1972 ; Spriggs, 1997 for a review). Quand l’animal est encore jeune, les canines supérieures sont enlevées, permettant aux défenses inférieures d’atteindre une longueur bien plus importante qu’à l’état naturel. Les dents grandissent en spirale et forment un cercle complet au bout de 7 à 10 ans. Si la dent ne heurte pas la mâchoire inférieure (auquel cas elle s’y enfonce, risquant de provoquer la mort de l’animal), la dent continue de s’allonger, formant un deuxième, voire un troisième cercle (Bonnemaison, 1996, for a review). La croissance continue des dents chez les Suidés permet la formation de ces défenses en spirale.
Les fouilles archéologiques ont mis au jour trois sites en lien avec la vie et la mort de Roy Mata. Ce chef puissant, vraisemblablement d’origine polynésienne, aurait réorganisé les sociétés vanuataises d’Efate et des îles alentours et pacifié la région vers 1600 AD environ (Wilson et al., 2007 ; Coiffier, 2009 ; Garanger, 1972 ; Guiart, 1973). D’après les études ethnographiques, Roy Mata serait arrivé en pirogue à la pointe est d’Efate, près du lac Otas. Une couche d’occupation datée entre 1450 et 1600 AD, a été mise au jour grâce aux fouilles organisées par J. Garanger en 1964 et 1966 à Mangaasi (figure 6), associée historiquement à la demeure de Roy Mata (Spriggs, 2006, for a review). Les fouilles de Garanger en 1967 sur l’île de Retoka (figure 6) ont permis d’exhumer une quarantaine de squelettes, des défenses de porcs et des bijoux en os et en coquillages datés autour de 1600 AD (Annexe 2A). En recoupant ces résultats avec les données ethnographiques, cette sépulture correspondrait à celle de Roy Mata, accompagné de ses femmes et des hommes désignés ou volontaires pour le suivre dans la tombe (Guiart, 1966 ; Valentin et al., 2011). Enfin, parmi les gravures et les peintures visibles sur la grotte Fels (figure 6 et Annexe 2A) datées de 2200 ans BP à 200 ans BP environ, une représentation anthropomorphique est identifiée comme étant celle de Roy Mata (Wilson et al., 2007 ; Wilson, 2002). Cette grotte correspondrait à l’endroit où le chef polynésien est décédé (Guiart, 1966).
Impacts des phénomènes naturels et anthropiques sur la végétation
Les variations climatiques
Les variations des précipitations (en basse et haute altitude) et des températures (en haute altitude) sont les principaux facteurs influençant la distribution de la végétation au Vanuatu (Quantin, 1972-1977 ; Munzinger et Lowry, 2011 ; Siméoni, 2009, for a review) :
La forêt tropicale humide se développe à basse altitude, de la côte est jusqu’au centre d’Efate, avec 2500 à 4000 mm de pluie par an. Elle est principalement composée de grands arbres, notamment des Araliaceae (Meryta, Schefflera), des Podocarpaceae (Podocarpus), des Meliaceae (Dysoxylum), des Rubiaceae (Nauclea) et de Pandanaceae lianescentes (Freycinetia).
Sur la côte nord-est d’Efate, les précipitations sont comprises entre 2000 et 3000 mm par an. La forêt tropicale humide ne se développe plus de façon optimale et est remplacée par une forêt plus adaptée à des conditions plus sèches : la forêt semi-décidue. Elle est composée de quelques grands arbres, dont des Mimosoideae (Acacia), et d’autres Fabaceae (Desmodium, Instia ou Pterocarpus), des Burseraceae (Garuga), ainsi que de nombreuses espèces de buissons (Micromelum, Psychotria ou Glochidion) et d’herbes.
Avec l’altitude, les températures baissent (0,6°C tous les 100 m) et la pluviosité augmente (plus de 4000 mm de pluie par an), la végétation change, devient plus basse : elle est composée de petits arbres appartenant aux Myrtaceae (Metrosideros, Syzygium), Cunoniaceae (Geissois, Weinmannia) et Chloranthaceae (Ascarina), de nombreuses épiphytes et des fougères arborescentes.
Pendant l’été austral, de violents cyclones peuvent toucher les îles du Pacifique sud-ouest. Les vents forts et les pluies importantes vont détruire une partie de la végétation présente sur le passage du cyclone, notamment les grands arbres et la flore se développant sur les côtes (Holloway, 2013 ; Sauer, 1962). Ces tempêtes tropicales sont issues d’un courant d’air chaud venant de la mer, les fortes vagues associées à ces phénomènes vont particulièrement impacter la végétation du littoral et la mangrove, en déplaçant le substrat et en augmentant la salinité dans les estuaires.
Au cours du Quaternaire, la végétation est influencée par des variations climatiques importantes, notamment lors des transitions entre les périodes glaciaires/ interglaciaires (Haberle, 2005 ; Kershaw et al., 2007 ; Stevenson et Hope 2005 ; Stevenson et al., 2001 ; Williams et al., 2009, for review), ou lorsque des évènements El Niño/La Niña (ENSO) de fortes amplitudes se produisent fréquemment (e.g. Donders et al., 2008 ; Fletcher et al., 2015 ; Haberle et Ledru, 2001 ; Haberle et al., 2001 ; Hope et al., 2004 for a review ; Van der Kaars et al., 2010 ; Wirrmann et al., 2011a, 2011b – figure 7). Cependant, selon la sensibilité des espèces végétales aux variations d’humidité et de température, et les conditions hydriques ou géologique du milieu, un changement climatique n’aura pas tout à fait les même conséquences sur deux communautés végétales différentes (Hope et al., 2004 for a review). Ainsi, une zone refuge est caractérisée par la présence d’un plan d’eau permanant autour duquel se développe une végétation exigeante en humidité, et qui sera en partie protégée des changements climatiques.
Les petits arbres et les arbustes à croissance rapide (en majorité des espèces héliophiles et pionnières) réagissent très rapidement aux modifications environnementales. À l’inverse, il s’écoulera une centaine d’années entre la mise en place de nouvelles conditions climatiques et le développement de grands arbres comme ceux de la forêt tropicale humide, à croissance plus lente (au moins une trentaine d’années) et sensibles aux conditions de précipitations (Chave, 1999 ; Lebrija-Trejos et al., 2010 ; Wheatley, 1992).
Impact de la tectonique et du volcanisme sur la végétation
Les surrections tectoniques, seules ou combinées avec des variations eustatiques* ou hydro-isostatiques*, déplacent la ligne de rivage et sont à l’origine de modifications de la végétation côtière. Ainsi, une diminution des grains de pollen de mangrove et de littoral, associée à un changement de faciès sédimentaire sont observés dans le Pacifique sud-ouest autour de 3000 ans BP et témoignent d’un recul de la mer (Fall, 2005 ; Wirrmann et al., 2011a, 2011b).
Les particules émises (aérosols) lors d’une éruption volcanique ont une incidence sur le climat local et la biodiversité à court et moyen terme (plusieurs dizaines d’années). Dans un premier temps, les grandes retombées de cendres ou les feux déclenchés par les hautes températures des laves dégradent fortement la végétation. La présence des aérosols dans l’atmosphère bloque une partie des radiations solaires et refroidissent la surface de la terre de 0.1°-0.2°C (Crowley, 2000). Les cendres sont composées de molécules pouvant rendre l’eau douce toxique et favorisant les pluies acides, aggravant la destruction de la végétation (Frogner Kockum et al., 2006 ; Hoffman, 2007).
Cependant, les terres fertiles issues de la dégradation des projectiles volcaniques vont par la suite favoriser le renouvellement des espèces végétales. Les volcans du Vanuatu étant pour la plupart à caractère phréatomagmatique* ou explosif (site Smithsonian Institution Global Volcanism Program), la végétation est principalement dégradée par les particules éjectées lors des éruptions (bombe, ponce ou cendres) plutôt que par des incendies déclenchés par la très haute température de la lave.
L’impact des éruptions volcaniques sur la végétation du sud-ouest Pacifique peut être déterminé grâce à des enregistrements sédimentaires holocènes, provenant pour la plupart de Papouasie-Nouvelle-Guinée (Jago et Boyd, 2005 ; Lentfer et al., 2010 ; Parr et al., 2009 ; Torrence, 2012). Ces analyses nous indiquent que le type de volcan et l’intensité des émissions de matériel éruptif ne sont pas les seuls facteurs à l’origine des modifications de la végétation lors d’une éruption. Il est nécessaire de prendre en compte d’autres paramètres environnementaux comme la topographie, le climat, la diversité végétale présente avant l’éruption, de possibles activités humaines ou la composition chimique du matériel volcanique. À titre d’exemple, sous un climat humide, les pluies éliminent rapidement les cendres volcaniques et un important dépôt d’aérosols n’aura que peu d’impact sur la végétation. La fréquence des éruptions influence la diversité végétale de la même manière que la fréquence des feux : les espèces sont plus sensibles à une succession d’éruptions rapprochés dans le temps qu’à des éruptions isolées de plus forte ampleur.
Les activités humaines
Une modification des conditions environnementales, comme des variations climatiques ou des éruptions, seraient, au moins en partie, à l’origine des déplacement de populations de la Papouasie-Nouvelle-Guinée vers l’est du Pacifique (voir point 2.1.). Cependant, l’arrivée d’habitants sur des îles vierges peut aussi être à l’origine de modifications des conditions environnementales sur les archipels du sud-ouest Pacifique. Ces populations devront s’adapter à leur nouveau milieu, le modifier pour le rendre habitable ou se déplacer à nouveau.
La biodiversité relativement faible des îles à l’est de la Papouasie-Nouvelle-Guinée ne permet pas à une population de s’installer à long terme dans cette région sans une base économique horticole (Kirch, 1997, for a review). Toutes les populations d’Océanie Lointaine, à l’exception de la Nouvelle-Zélande, pratiquent la production de nourriture non céréalière, favorisant la culture de fruits/noix et des tubercules jusqu’au moment des premiers contacts européens (Bellwood, 2011). Bien que les activités horticoles ne laissent peu ou pas de traces archéologiques, les plantes utilisées peuvent être identifiables à l’aide des études de restes végétaux, d’isotopes stables et d’analyses linguistiques (e.g. Crowther, 2005 ; Horrocks et al., 2009, 2013 ; Kinaston et al., 2014b ; Osmond, 1998 ; Valentin et al., 2010b, 2014).
Le régime alimentaire des populations Lapita a été mixte, principalement basé sur des ressources issues de la pêche et de la cueillette, avec une activité horticole relativement faible et le contrôle de quelques animaux, comme le cochon et le poulet (Allen, 2007 ; Horrocks et Bedford, 2005 ; Kinaston et al., 2014b ; Valentin et al., 2010b). La plante Piper methysticum, dont les tubercules sont utilisés dans la préparation d’une boisson rituelle originaire du Vanuatu appelée kava, aurait été mis en culture peu de temps après l’arrivée des premières populations Lapita (Lebot et al., 1997, for a review). La faible présence de l’horticulture* lors de la période Lapita peut s’expliquer par le temps nécessaire aux plantes cultivées, introduites par les premiers colons, pour qu’elles puissent fournir suffisamment de nourriture à toute une communauté (Walter et al., 2003). Cette stratégie de subsistance, très dépendante des ressources marines, est riche en protéines. Mais elle a pu être à l’origine de carences alimentaires, comme la déficience en vitamine C observée chez les individus enterrés à Teouma (Buckley et al, 2014).
Les études archéologiques montrent que les sites d’occupations Lapita semblent avoir été occupés sur une courte période de temps. Il est possible que ce type de site, en bord de mer et au vent (facilement accessible en pirogue à voile) soit moins adapté à une population plus sédentaire que les Lapita (Bedford, 2006b). De plus, une diminution du niveau de la mer vers 3000 ans BP a entraîné un recul des mangroves, des récifs côtiers et donc des ressources qu’ils généraient. Les populations auraient alors migré vers l’intérieur des terres, vers des zones moins sèches et plus protégées que le bord de mer, et auraient donc adapté leur alimentation (Carson, 2008 ; Hope et al., 1999). Des conditions climatiques plus humides, favorisant le développement de l’horticulture, pourraient aussi être à l’origine d’un changement de régime alimentaire entre les populations Lapita et post-Lapita (Valentin et al., 2014). Cette modification se serait opérée plus rapidement sur des îles de grande taille, comme à Viti Levu, dans l’archipel des Fiji (Field et al, 2009). La nouvelle stratégie de subsistance s’est principalement basée sur une consommation de légumes riches en amidon (taro et igname), favorisant une intensification de l’horticulture (Kinaston et al., 2014a ; Martin et Steadman, 1999 ; Valentin et al., 2014). Ainsi, la banane, introduite par les populations de culture Lapita, ne sera cultivée de façon importante qu’à partir de 2800 ans BP au Vanuatu (Horrocks et al., 2009 ; Kennedy, 2008). Une présence significative de protéines d’origine marine est toujours marquée chez les insulaires, malgré l’installation massive de l’horticulture. Cette alimentation semble avoir peu changé tout au long de la préhistoire de l’archipel.
L’introduction et l’installation de nouvelles espèces animales (poulet, cochon, chien) et végétales (taro, banane, igname) modifient les conditions environnementales des îles où s’est établi l’Homme. Mais les populations Lapita n’ont pas toujours volontairement influencé leur environnement : les rats, partis avec les premiers colons, ont été les prédateurs de petits oiseaux vivants sur ces îles isolées du Pacifique sud-ouest, et ont détruit l’environnement dans lequel vivaient leurs proies (Athens et al., 2002).
Si des espèces animales ont rapidement disparues peu de temps après l’arrivée des populations Lapita, la période post-Lapita est surtout marquée par des changements de végétation. Ces importantes modifications du paysage pourraient témoigner d’une augmentation démographique qui aurait poussé les populations à changer leur régime alimentaire (Anderson, 2002). Une augmentation des taxons de végétation dégradée et des micro-charbons révèle une modification du paysage qui serait due aux activités humaines. Ce changement est observé dans la plupart des enregistrements après 2700 ans BP, avec le développement de l’horticulture, mais certains sites montrent de telles modifications dès 3000 ans BP (eg. Dotte-Sarout, 2015 ; Fall, 2005, 2010, for a review ; Hope et al., 1999, 2009, for a review ; Horrocks et Bedford, 2005 ; Horrocks et al., 2009 ; Stevenson, 2004 ; Wirrmann et al., 2011b – figure 8). Des analyses paléoenvironnementales ont montré une accélération des processus d’érosion à partir de 2200 ans BP. Cette destruction peut résulter de l’intensification de l’agriculture (jardins et zones d’élevages), liée à une installation plus permanente des populations (Hope et al., 2009, for a review ; Spriggs, 2010, for a review).
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Table des matières
Introduction
Première Partie : Cadre de l’étude (voir aussi Article I)
1. Contexte régional de l’archipel du Vanuatu
1.1. Géologie et Géomorphologie
1.2. Le climat
1.3. La végétation
2. Occupations préhistoriques du Vanuatu et d’Efate
2.1. Les premières migrations
2.2. Installations permanentes
2.3. Influence de la culture polynésienne
3. Impacts des phénomènes naturels et anthropiques sur la végétation
3.1. Les variations climatiques
3.2. Feux naturels et anthropiques
3.3. Impact de la tectonique et du volcanisme sur la végétation
3.4. Les activités humaines
Deuxième Partie : Méthodologie
1. Échantillonnage des carottes
2. Datation radiocarbone
2.1. Datation du sédiment
2.2. Datation du matériel sporopollinique
2.3. Réalisation d’un modèle d’âge
3. Analyse palynologique
3.1. Production, dispersion et conservation des grains de pollen et des spores
3.2. Traitements chimiques
3.3. Détermination du matériel
3.4. Diagrammes polliniques et interprétations
3.5. Représentation des résultats
3.6. Traitements statistiques
3.6.1. Analyse cluster
3.6.2. Analyse en Composante Principale (biplot)
3.6.3. Quantification climatique
4. Analyse des micro-charbons
4.1. Production, dispersion et conservation des micro-charbons
4.2. Traitements chimiques
4.3. Détermination du matériel
4.4. Interprétation
4.5. Représentation des résultats
5. Analyses des phytolithes et des grains d’amidon
5.1. Production, dispersion et conservation des phytolithes et des grains d’amidon
5.1.1. Production des phytolithes
5.1.2. Production des grains d’amidon
5.1.3. Dispersion et conservation des phytolithes et des grains d’amidon
5.2. Traitements chimiques
5.3. Détermination du matériel
Troisième Partie : Résultats des analyses
1. La carotte Tfer06
1.1. Lithologie de la carotte et choix des échantillons
1.2. Modèle d’âge-profondeur de la carotte Tfer06
1.3. Résultats de l’analyse des mousses
1.4. Résultats de l’analyse des grains de pollen, des phytolithes et des grains d’amidon
1.5. Résultats de l’analyse des micro-charbons
2. La carotte Ota2
2.1. Lithologie de la carotte et choix des échantillons
2.2. Modèle d’âge-profondeur de la carotte Ota2
2.3. Résultats de l’analyse des grains de pollen et des micro-charbons
Quatrième partie : Interprétations et discussions
1. Spécificités des paléoenvironnements d’Emaotfer et d’Otas
1.1. Particularités du paléoenvironnement du marais d’Emaotfer
1.1.1. Données sédimentologiques
1.1.2. Données palynologiques et de micro-faune
1.1.3. Analyses statistiques ACP
1.2. Particularités du paléoenvironnement du lac Otas
1.2.1. Données sédimentologiques et de microfaune
1.2.2. Données palynologiques
1.2.3. Analyses statistiques ACP
2. Influence des évènements naturels et des activités humaines sur la végétation à l’Holocène supérieur au Vanuatu central
2.1. Réponse de la végétation aux changements naturels à l’Holocène supérieur
2.1.1. Cas du marais d’Emaotfer (voir aussi Article II)
2.1.2. Cas du lac Otas
2.2. Impact des activités humaines sur la diversité végétale du Vanuatu
2.2.1. Une population Lapita navigatrice
2.2.2. Des populations post-Lapita sédentaires ( voir aussi Article II)
3. Migrations et adaptation des populations porteuses des cultures Lapita et Post-Lapita
3.1. Conséquences du climat sur les déplacements de populations de la période Lapita
3.2. Adaptations à des îles vierges et aménagements du territoire
4. Synthèse de la discussion
Summary of the manuscript
Conclusion
Bibliographie
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