La thèse publier sur chatpfe.com étudie la période qui a vu paraître trois ouvrages écrits au début des années soixante et qui nous ont servi pour nos études d’architecture. Ces trois publications : The Image of the City de Kevin Lynch, Death and Life of Great American Cities de Jane Jacobs et The City in History de Lewis Mumford, relèvent de visions différentes de l’urbanisme. Notre formation en architecture a été enrichie par leur lecture, pourtant nous méconnaissions le contexte historique sous-tendant leurs investigations. Publiés pendant les années de plus forte diffusion du Mouvement moderne, ces livres dépeignaient l’insatisfaction qui s’exprimait à l’égard des villes, des autoroutes, du développement des banlieues et de la transformation radicale des centres-villes. Les processus étaient observés d’un œil méthodologique, ce qui nous a incliné à considérer que les méthodes d’analyse urbaine exposées pouvaient être transposées à n’importe quelle ville du monde.
En effet, les trois titres cherchaient à analyser les avantages de l’urbanisme moderne tel qu’il était en train de construire les villes : un urbanisme fondé sur les préceptes de l’économie et de la fonctionnalité. Loin des idéaux de l’architecture et de l’urbanisme modernes fortement ancrés dans notre école d’architecture, tels que la rigueur géométrique ou la doctrine hygiénique, ces ouvrages présentaient une autre vision du monde : celle d’un espace incomplet, en pleine transformation.
Cependant, en quittant les années d’étude pour l’enseignement de l’urbanisme, la nécessité d’explorer en profondeur ces ouvrages s’est fait jour. Auparavant, ceux-ci avaient formé un socle de connaissances utilisé par nos professeurs, mais, à notre tour, nous étions leur voix face à nos propres élèves. Les problématiques urbaines qu’abordaient Lynch, Jacobs et Mumford, étaient-ils les seuls à les avoir identifiées ? Certes, on mettait en exergue trois livres, trois auteurs, mais un mouvement de pensée plus ample devait sans aucun doute les accompagner. En architecture, nous étions habitués à étudier les individus et leurs discours, mais, en urbanisme, il semblait nécessaire de se placer plutôt sur le plan des communautés de pensée. Si la théorie des auteurs décrit une époque et une façon de penser, pourquoi nos auteurs semblaient-ils être isolés dans leur examen des pratiques de construction de la ville d’alors ? Existait-il d’autres livres similaires qui se posaient des problématiques différentes ? Nous avons cherché en somme à découvrir un langage commun.
Davantage auteurs que concurrents, Lynch, Jacobs et Mumford appartiennent à un groupe d’acteurs plus large, jamais cité, semblable à un collège invisible. Celui-ci ne pouvait être dévoilé qu’en interrogeant directement les sources. Nous avions connaissance de quelques détails des trajectoires individuelles, mais nous ne savions rien des rencontres, des espaces partagés, des échanges d’information avec d’autres. Si les textes abordaient le même sujet, ils étaient rarement cités conjointement par nos contemporains. Publiés en l’espace de deux années, ces ouvrages devaient certainement partager des sources et se renvoyer les uns aux autres. Ils étaient loin d’être le résultat de trajectoires singulières.
Beaucoup d’études sur ces trois titres ont vu le jour : des monographies et des thèses doctorales sur leurs recherches ainsi que sur la vie de leurs auteurs ont été largement publiées . Pourtant, jusqu’à présent, aucun de ces travaux n’a mis en évidence la construction d’un discours collégial fondé sur des échanges formels ou informels ; aucune étude ne semble avoir été menée sur la sociabilité qui relie ses membres.
La recherche urbaine a été animée par les problèmes apparus pendant les années soixante , époque de parution des trois ouvrages. Nous nous demanderons à quoi répond notre corpus et comment et pourquoi semble s’y établir une logique critique des procédures urbaines du moment. Le propos de cette thèse doctorale est de comprendre l’avènement des auteurs de l’urbanisme aux états-Unis ; à cette fin, isoler des dates aurait été improductif. Le cadre temporel de notre enquête a été imposé par l’institution du planning par les décisions politiques et également par la publication des ouvrages. L’enquête se place donc entre la fin des années trente et le début des années soixantedix. Pour autant, on ne peut en conclure que le mouvement critique ait vu le jour au lendemain des réformes du New Deal, puisque « les contenus mentaux collectifs se construisent sur une durée longue et lente».
The Image of the City, Death and Life of Great American Cities, The City in History paraissent dans un pays et à un moment singuliers. Après la crise économique des années trente, la plupart des villes ne cessent de croître, mais le cas des États-Unis semble particulier : c’est le pays des plus grandes agglomérations métropolitaines. La constitution du planning comme un métier plus vaste est suivie par la métropolisation en tant que phénomène lié à la désaffection des centres-villes et à la construction continue de structures routières.
Cette période de l’histoire urbaine a été encadrée par un processus de changement législatif. Les grandes transformations urbaines ont suivi l’adoption des réformes proposées par le président Roosevelt pendant les années trente. Celles-ci se sont appliquées au domaine du planning urbain ; ainsi le New Deal favorise-t-il la création d’une agence nationale de planification pour encourager le développement économique, et urbain, des États [States], des villes et des communes. Des institutions telles que le National Resources Planning Board ont instauré une politique planificatrice qui s’est poursuivie.
Les années trente voient l’établissement de plusieurs agences gérées par l’État fédéral, destinées à développer le marché du logement. Après la création de la Federal Housing Administration en 1934, un marché du logement s’est constitué et consolidé. En 1938, à la suite d’une nouvelle proposition qui cherchait à réduire le chômage, le gouvernement institut le Federal National Mortgage Association (FNMA), surnommée Fannie Mae, issu également de la Housing Act de 1934.
Après-guerre, la demande de logements pour les classes moyennes naissantes et les vétérans de la WWII qui deviennent pour la plupart des travailleurs en col blanc, pousse les entrepreneurs privés à développer les zones rurales autour des villes. En 1947, l’un des premiers suburbs de New York est construit à 40 kilomètres à l’est de l’île de Manhattan. Levittown propose, pour la première fois, un vaste ensemble de 17 400 pavillons construits en l’espace d’un an. Le suburb de Park Forest, par exemple, au sud de Chicago dans l’Illinois, est inauguré une année seulement après le début de la construction. Dès lors, de multiples communautés pavillonnaires sont bâties, annonçant le début de la période connue sous l’appellation de « housing boom ».
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Table des matières
Introduction
i. L’objet de la recherche : un corpus des études urbaines
ii. Le champ des études urbaines. Une époque bouleversante pour l’urbanisme étatsunien
iii. L’urbanisme : évolution d’une discipline
iv. La critique de l’urban planning vue sous l’angle de l’histoire urbaine
iv.i. Les auteurs de l’histoire urbaine des années 1950-1970
iv.ii. Les sources des années soixante étudiées dans les années 1980-1990
iv.iii. La reception au seuil du XXIème siècle de la critique urbaine des années soixante
v. Le développement de la recherche
v.i. L’étude d’un corpus
Notes
Chapitre Un
1. Le corpus : un terrain d’études littéraire
1.1. La sélection de livres
1.2. Une analyse comparée de notre corpus
1.3. Les auteurs et leurs trajectoires (Une brève description de leurs parcours)
1.3.1. Commencer par les collectifs
1.3.2. Les journalistes
1.3.3. Les chercheurs engagés: des universitaires et des notables experts
1.3.4. Les universitaires
1.3.4.1. Kevin Lynch. City planner auteur et co-auteur
1.3.4.2. La génération née dans les années vingt
1.3.4.3. Le Journal of The American Institute of Planners
1.4. Les livres : une description concrète de l’objet
1.4.1. Les formats des livres et les éditeurs: des différences de format pour différents publics
1.4.1.1. Les grandes maisons d’édition. Les presses installées depuis la fin du XIXème siècle
1.4.1.2. Les presses universitaires : plus que des livres pour les étudiants
1.4.1.3. Les presses indépendantes. Un nouvel observatoire de la culture
1.4.2. Formats et lecteurs : à qui s’adressent les livres ?
1.4.3. Les livres et leurs collections. Partager les recherches autour du même objet
Notes
Chapitre Deux
2. Les ouvrages. Nature des discours et complexité des contenus
2.1. Le champ d’études urbaines exploré par les médias
2.1.1. The Exploding Metropolis : critique adressée aux acteurs urbains
2.1.2. The Exploding Metropolis chez les planners. Un classique de « la révolution urbaine»
2.2. Suburbia : Its People and their Politics. Le gouvernement métropolitain et le mythe des suburbs
2.2.1. La métropole comme échelle du gouvernement. Le défi de Wood et son ouvrage
2.2.2. Suburbia : un livre peu connu par les planners
2.3. Le classique de la perception urbaine : The Image of the City
2.3.1. Rendre la ville « lisible »
2.3.2. Sécouer le milieu des planners : la réception de The Image of the City
2.4. Working Class Suburbs ou la mise en cause du mythe de la banlieue étatsunienne
2.4.1. Mythe et presse populaire. Une proposition pour la recherche scientifique
2.4.2. Un ouvrage jugé « limité » par les planners
2.5. Death and Life of Great American cities. Classique à peine publié
2.5.1. Un récit flottant
2.5.2. La réception de Death and Life of Great American Cities. Les portes du succès
2.6. En finir avec le présent. The City in History ou les derniers chapitres d’une débâcle
2.6.1. Décrire l’utopie. La ville rêvée de Mumford
2.6.2. The City in History ou l’histoire d’un ouvrage déjà fulgurant
2.7. Planning et sociologie. Deux perspectives du problème dans The Urban Villagers
2.7.1. Les city planners sous l’œil du sociologue
2.7.2. The Urban Villagers. La sociologie au service des planners
2.8. Housing, People and Cities. Quand Action s’empare du logement
2.8.1. Housing, People and Cities. De la théorie à la pratique
2.8.2. Le destin d’un livre critique
2.9. The Metropolian Problem and American Ideas. Le vision de l’administration
2.9.1 Les véritables propositions de Gulick
2.10 Publier chez les planners. Journal of the American Institute of Planners (JAIP) 1958-1962
2.11. Similitudes des ouvrages de notre corpus
Notes
Conclusion
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