La modélisation de l’usinage par éléments finis de 1970 à nos jours
Le procédé d’usinage peut être modélisé à plusieurs échelles. On peut d’abord étudier le comportement vibratoire de la machine outil en la considérant comme une structure déformable. On peut aussi modéliser la pièce et son bridage, afin d’optimiser ce dernier pour minimiser les défauts de forme. On peut enfin modéliser la coupe, c’est-à-dire se placer à la pointe de l’outil et étudier les phénomènes tels que la formation du copeau, les contraintes résiduelles sur la surface usinée, où encore l’usure de l’outil. C’est à cette échelle de modélisation que l’on s’intéresse dans cette thèse et dans cette étude bibliographique.
Les premiers modèles de coupe en éléments finis datent du début des années 1970. Depuis, la recherche dans ce domaine est florissante. On peut se faire une idée du travail effectué en lisant la bibliographie exhaustive de Maekerle [Mae99, Mae03], catalogue de tous les articles traitant de modélisation de l’usinage de 1976 à 2002, et des articles de revue un peu plus ciblés et commentés [Vaz00, Kal01, Dor05]. Jusqu’à 1980, tous les modèles sont en formulation Eulérienne, en prenant des frontières fixes prédéfinies pour la pièce. C’est le régime permanent de l’usinage qui est étudié tel un flux stationnaire de matière autour de l’outil. Cela permet de déterminer les efforts de coupe et la répartition de température. Cependant, il n’est pas possible de modéliser le régime transitoire, de prédire la géométrie du copeau ou encore la qualité de la surface usinée. Ces modèles ne sont bien sûr pas applicables à la modélisation de l’UGV et à la segmentation du copeau, et ne seront donc pas étudiés dans ce rapport. Au début des années 1990 apparaissent les premiers modèles qui prennent en compte la formation et la segmentation du copeau, et dans la seconde partie des années 90 apparaissent les tous premiers modèles 3D. En formulation Eulérienne, Lagrangienne ou ALE, ils parviennent à modéliser le régime transitoire (Fig 2). En 2009, on ne compte qu’une douzaine de modèles éléments finis 2D publiés simulant la formation de copeaux segmentés, ainsi qu’une douzaine de modèles éléments finis publiés simulant la coupe en 3D. Parmi eux, les codes commerciaux AdvantEdge, Deform et Forge parviennent à modéliser la coupe 3D avec segmentation de copeau [Aur06, Tws06, Dor05, Del07 08].
Etendue de l’étude bibliographique
Aujourd’hui, des études bibliographiques précises et complètes ont déjà été publiées en ce qui concerne la modélisation de l’usinage traditionnel en 2D. De plus, la majorité des codes éléments finis dotés d’un remailleur correct parviennent à simuler ce procédé. Pour éviter les redondances, ce chapitre de thèse ne s’attarde donc pas sur la simulation 2D de l’usinage traditionnel. En revanche, les problématiques qui restent d’actualité telles que la modélisation 3D de l’usinage et la modélisation de la formation de copeaux segmentés seront étudiées en détail.
Il y a peu d’articles publiés dans le domaine précédemment délimité. Une douzaine de groupes de recherche ont produit la quasi-totalité des travaux. Tout d’abord, un grand pôle ouest-pacifique regroupe les travaux de la Japanese Society for Precision Engineering et ceux de l’université de Taiwan (Ueda, Hashemi, Obikawa, Lin). Ils ont développé des modèles pionniers, peu représentatifs de la réalité car les tailles de mailles sont trop importantes et les systèmes de séparation ou segmentation de copeau trop basiques. Depuis, en ce qui concerne les travaux académiques, le binôme Owen (Université de Swansea, Pays de Galles) et Vaz (université de Santa Catarina, Brésil), l’équipe de Bäker (Braunschweig, Allemagne), l’équipe de Fang et Zeng (Université de Tsinghua, Beijin), Pantalé (ENI de Tarbes), Barge (ENI de Saint Etienne), l’équipe de Saanouni (Université Technologique de Troyes) et Delalondre et Fourment (Cemef, MINES-ParisTech) ont apporté des améliorations intéressantes et parviennent à modéliser le procédé de manière relativement réaliste. Finalement, deux logiciels sont commercialisés spécialement pour des applications d’usinage : Advant’Edge, développé par Ortiz, Marusich et Molinari, ainsi que le logiciel de forgeage Deform, adapté à l’usinage grâce aux travaux de Ceretti (Université de Brescia, Italie) et Özel (Université de Cleveland, USA). Ceux-ci expliquent la multiplication d’études EF de l’usinage et l’usinage à grande vitesse publiées depuis 2005 environ, mais la majorité d’entre elles ne font qu’utiliser les logiciels sans réellement les enrichir au point de vue numérique.
Formulation des modèles numériques
Modélisation 2D et 3D
La plupart des cas d’usinage industriels nécessitent d’être modélisés en 3D. Cependant, les complications qui en découlent sont importantes. Outre le nombre de degrés de liberté qui augmente grandement, les algorithmes 3D de remaillage, de contact et de propagation de fissure causent de sérieux problèmes, parfois pas encore résolus.
Afin de s’affranchir de ces contraintes, certains auteurs ont préféré se restreindre à de la coupe orthogonale, procédé modélisable en 2D [Bak02-05, Bar05, Cer99-02, Guo04, Has94, Mar95, Owe99, Obi97-05, Xie98, Ng02, Iss08]. Les résultats obtenus, même s’ils ne sont pas directement applicables aux cas industriels, permettent cependant d’approfondir les connaissances de base dans le domaine de l’usinage et de l’UGV. Les facilités procurées par la modélisation 2D permettent de se concentrer sur les phénomènes physiques rencontrés et de gérer des déformations importantes. On obtient alors des simulations précises de la formation de copeaux continus ou segmentés. En parallèle, des modèles 3D plus basiques ont été développés [Obi94, Mae96-97, Lin96-98- 01-01bis]. Les maillages utilisés sont grossiers et les résultats approximatifs. L’augmentation de la puissance de calcul a permis à ces deux branches de développement parallèles de se rejoindre peu à peu. Des algorithmes de remaillage 3D robustes et efficaces permettent aujourd’hui de gérer la formation d’un copeau, continu pour le moins [Cer00, Mol02, Pan04, Fan05] voire segmenté [Tws06, Del07-08]. Ces résultats sont encourageants. Cependant, rares sont encore les modèles qui permettent d’obtenir en 3D la même précision que celle obtenue il y a déjà 15 ans en 2D.
Formulations eulériennes, lagrangiennes et ALE
Les premières simulations d’usinage par la méthode des éléments finis, dans les années 70, se basent sur une formulation eulérienne, avec un contour de la pièce et du copeau fixe et prédéfini [Ng02, Mac99]. Il n’existe alors aucun problème de remaillage. Cependant, ce modèle ne convient qu’à la simulation du régime continu de l’usinage traditionnel, et ne peut prétendre prévoir des géométries de copeau que ce soit un usinage traditionnel ou en UGV. Les résultats obtenus en méthode eulérienne, ont depuis été améliorés. Un domaine contenant à la fois la pièce et l’air est maillé, et on gère à l’intérieur de ce domaine une frontière mobile entre les deux entités. Cette méthode, largement utilisée dans la simulation de procédés tels que la fonderie ou l’injection [R3D09], est cependant peu utilisée dans le domaine de l’usinage [LsD09, Mau07]. La qualité et la précision des résultats obtenus dépendent de la qualité de suivi de la frontière. Elles sont donc étroitement liées à la finesse du maillage dans la zone de la frontière mobile. L’utilisation d’un remailleur adaptatif permettant de suivre ces zones est fortement recommandée.
L’alternative la plus largement utilisée consiste à utiliser une formulation lagrangienne, où le maillage est attaché à la matière. Dans ces cas, la qualité du remailleur détermine non seulement la précision des résultats, mais aussi la faisabilité du calcul. En effet, si on ne parvient pas à gérer les distorsions importantes subies par la matière, le maillage dégénère et le calcul s’arrête. En utilisant des éléments très grossiers et des remailleurs basiques, certains auteurs ont réussi à modéliser avec très peu de précision la formation d’un copeau discontinu [Has94] (Fig 4 a). Des algorithmes de fissuration limitent ici la quantité de déformation à encaisser dans les éléments. Cependant, la fiabilité de ces résultats est assez faible, et l’utilité de telles simulations peut être mise en doute. En raffinant correctement le maillage, sans utiliser d’artifices numériques et avec un remailleur moyen, on peut modéliser l’attaque de l’outil dans la pièce, mais pas faire la transition avec le régime continu [Ued93, Lin96-98-01-01bis]. Le maillage va en effet dégénérer avant. Afin de sauter cette zone de transition difficile, passage du régime transitoire au régime continu, certains auteurs ont commencé la simulation avec un copeau arbitraire préformé (Fig 4 b). Ensuite, petit à petit, la géométrie du copeau va converger vers celle du régime continu. [Mae96-97, Obi94-97-05]. Maekawa a formalisé cette méthode et l’appelle Iterative Convergence Method (ICM). Il a étudié sa stabilité et les résultats obtenus, et assure que quelle que soit la géométrie de départ du copeau, il converge bien vers une géométrie proche de celle obtenue expérimentalement. Cependant, la phase transitoire n’est pas modélisée, et on n’imagine pas que cette méthode puisse être appliquée à l’UGV. L’utilisation d’une formulation lagrangienne couplée à un remailleur adaptatif robuste et performant donne de très bons résultats (Fig 4 c). Le procédé de coupe peut alors être modélisé du début à la fin, quel que soit le type de copeau obtenu [Bak02-05, Cer99-00-02, Sek93, Fan05, Guo04, Mar95, Mol02, Ng02, Owe99, Iss08, Del07-08].
Les formulations Arbitraires Lagrangiennes Eulériennes (ALE) constituent une alternative intéressante aux formulations purement lagrangiennes associées à des remailleurs. Des formulations découplées sont généralement utilisées. Cela revient à réaliser d’abord un pas de calcul lagrangien classique, puis à effectuer une opération de R-adaptation, c’est-à-dire un remaillage ne changeant pas la connectivité des nœuds. Cette opération est beaucoup moins coûteuse qu’un remaillage classique, et permet de conserver un maillage de bonne qualité durant le procédé. La conservation des surfaces libres n’est cependant pas aisée, et un lissage excessif des éventuelles aspérités est parfois observé. Certains auteurs utilisent des formulations ALE pour modéliser de l’usinage en 2D [Guo02, Bar05] ou en 3D [Pan04]. Cependant, ils définissent une taille de maille uniforme sur tout le domaine, ce qui ne permet pas d’obtenir une précision suffisante pour la modélisation de la segmentation de copeau avec des temps de calcul raisonnables .
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Table des matières
Introduction générale
1 Revue bibliographique
1.1 Introduction
1.1.1 La modélisation de l’usinage par éléments finis de 1970 à nos jours
1.1.2 Etendue de l’étude bibliographique
1.1.3 Plan de l’étude
1.2 Formulation des modèles numériques
1.2.1 Modélisation 2D et 3D
1.2.2 Formulations eulériennes, lagrangiennes et ALE
1.2.3 Intégration temporelle implicite et explicite
1.3 Modélisation de la séparation du copeau
1.3.1 Séparation de copeau sur une ligne de coupe prédéfinie
1.3.2 Séparation du copeau grâce à des modèles d’endommagement
1.3.3 Séparation de copeau par déformation plastique
1.3.4 Conclusion partielle
1.4 Segmentation du copeau
1.4.1 Du phénomène physique vers sa modélisation
1.4.2 Segmentation de copeau sans modèle d’endommagement
1.4.3 Segmentation de copeau avec modèles d’endommagement
1.4.4 Conclusion partielle
1.5 Conclusion
2 Formulation semi-explicite
2.1 Introduction
2.1.1 Contexte général
2.1.2 Etat de l’art
2.1.3 Travail effectué
2.2 Description de la formulation
2.2.1 Problème mécanique
2.2.2 Discrétisation temporelle semi-explicite
2.2.3 Problème faible continu
2.2.4 Discrétisation spatiale P1+ P1
2.2.5 Implémentation du système
2.2.6 Simplifications du problème
2.2.7 Stabilisation
2.2.8 Condensation locale et résolution du problème global
2.3 Gestion du contact
2.3.1 Présentation générale
2.3.2 Calcul de la distance et des normales nodales
2.3.3 Condition normale de contact nodal
2.3.4 Imposition du contact par pénalisation
2.4 Validation de la formulation semi-explicite sans contact
2.4.1 Présentation du cas test
2.4.2 Analyse de la formulation sans stabilisation temporelle
2.4.3 Analyse de la stabilisation temporelle
2.5 Validation de la formulation semi-explicite avec contact
2.5.1 Présentation du cas test
2.5.2 Analyse des résultats de la formulation avec contact
2.6 Pas de temps critique en semi-explicite viscoplastique
2.7 Conclusion
3 Formulation explicite
3.1 Introduction
3.1.1 Contexte général
3.1.2 Etat de l’art
3.1.3 Travail effectué
3.2 Présentation de la formulation
3.2.1 Problème mécanique
3.2.2 Discrétisation spatiale P1
3.2.3 Discrétisation temporelle explicite
3.2.4 Modification anti-locking volumique du tenseur des déformations
3.2.5 Calcul des contraintes élastiques ou inélastiques
3.2.6 Gestion de l’amortissement
3.2.7 Gestion du contact et des conditions limites de Dirichlet
3.3 Validation sur cas test élastique incompressible stationnaire
3.3.1 Présentation du cas test
3.3.2 Résultats
3.3.3 Analyse des résultats
3.4 Validation sur cas test dynamique élasto-plastique
3.4.1 Présentation du cas test
3.4.2 Résultats
3.4.3 Analyse des résultas
3.5 Mise à l’épreuve de l’algorithme de contact
3.5.1 Cas 1 : pénétration d’une boule indéformable dans un lopin cylindrique
3.5.2 Cas 2 : enfoncement d’un coin dans la face d’un lopin hexaédrique
3.5.3 Analyse des résultats de contact
3.6 Conclusion
4 Simulation d’usinage à grande vitesse en deux dimensions
4.1 Introduction
4.1.1 Contexte général
4.1.2 Etat de l’art
4.1.3 Travail effectué
4.2 Présentation du cas test d’usinage à grande vitesse 2D
4.2.1 Dimensions du cas test d’UGV
4.2.2 Loi de comportement thermomécanique
4.2.3 Conditions de contact et d’échange thermique
4.2.4 Outils numériques utilisés
4.3 Simulation de la formation du copeau
4.4 Formation d’une bande de cisaillement adiabatique
4.5 Dépendance à la taille de maille
4.6 Avantages numériques de notre formulation
4.7 Limites de la loi de comportement utilisée
4.8 Conclusion
Conclusion générale
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