La théorie moderne des nullités

Les origines, la théorie classique des nullités 

En effet, les anciens, à savoir les auteurs faisant l’exégèse du Code civil, ont une conception particulière du contrat qu’ils assimilent à un organisme vivant. De cette comparaison, il distingue les vices qui atteignent l’acte selon leur gravité, tel des maladies.
Ainsi l’acte mort-né, qui de fait n’a jamais existé est sanctionné par la nullité absolue, cela concerne des conditions de validités fondamentales telles que l’existence du consentement, un objet et une cause licite, le respect du cadre d’un contrat formel.
Au contraire, l’acte malade ou gangrené est simplement passible d’une nullité relative. Cette sanction ne concerne que des éléments secondaires ou réparables du contrat comme les vices du Outre, la possibilité d’une confirmation de l’acte restaurant son intégrité en cas de nullité relative et non en cas de nullité absolue, l’ancienne théorie distinguait d’autres différences entre les deux nullités. La nullité absolue n’avait qu’a être constatée par le juge qui prenait acte d’un état pré existant, de plus toute personne pouvait invoquer cette nullité contre ce contrat aberrant. Au contraire, la nullité relative doit être prononcée par le juge qui vient ainsi mettre un terme «au souffrance du malade», cette demande ne peut cependant être faite que par les personnes concernées par le contrat et l’invalidité qui l’atteint.
De plus, la théorie classique englobe une dernière notion dont la résurgence actuelle est palpable, celle de l’inexistence. La notion est pourtant floue, il s’agirait du statut d’un contrat inexistant du fait de l’impossibilité pour les parties d’avoir pu opérer une rencontre des consentements. Ainsi, l’inexistence est un état plus grave encore que la nullité absolue, qui s’applique notamment en cas d’absence d’un élément de fait du contrat tel que l’absence d’objet.

Panorama des cas de nullité absolue et relative

Si certaines normes appartiennent sans aucun doute à l’une des deux catégories, ce choix ne semble pas toujours pertinent mais surtout il n’est pas évident pour d’autres normes.

Les cas de nullités relatives

S’agissant de la nullité relative, elle englobe naturellement les différents vices exposés à l’article 1108 du Code civil c’est-à-dire, l’erreur, le dol et la violence. La justification est simple car il s’agit de protéger le consentement personnel du cocontractant. L’ouverture d’une action se fait dans son intérêt exclusif.
De même, la nullité relative inclut la lésion qui est un mécanisme de rééquilibrage du contrat, lorsque celui-ci est dés l’origine souscrit au désavantage du cocontractant. Dés lors cette hypothèse ouvre une action dans son intérêt privé. Pourtant on peut remarquer qu’historiquement les dispositions sur la lésion concernaient notamment la société paysanne comme l’illustrent ces domaines d’application particuliers tels que la vente d’engrais. Le législateur avait mis en place ces dérogations dans le but de limiter l’exploitation des campagnes et leurs désertifications, la norme servait donc à l’origine un intérêt général.
Enfin, la nullité relative couvre le domaine des incapacités d’exercice. Ce domaine englobe à la fois les mineurs et les majeurs protégés ,c’est l’article 1125 du Code civil qui les y intègre implicitement
en disposant que : «Les personnes capables de s’engager ne peuvent opposer l’incapacité de ceux avec qui elles ont contracté.»
Le législateur prévoit aussi pour les personnes subissant un trouble mental que la nullité est relative à leur égard en disposant que : « De son vivant, l’action en nullité n’appartient qu’à l’intéressé.» La solution choisit ici peut être à double tranchant notamment dans le cas des majeurs protégés. En effet, la minorité ou les troubles mentaux sont par principe des états temporaires. En revanche, le majeur protégé peut ne jamais retrouver sa pleine capacité d’exercice. Dés lors, la nullité relative ne permet pas de pallier l’attentisme potentiel des représentants légaux de l’incapable majeur.

Les cas de nullités absolues 

Quant à la nullité absolue, elle sanctionne en premier lieu le contrat dont l’objet ou la cause est illicite ou immoral.
L’illicéité découle de sa nature même. La loi est l’expression de la volonté générale, violer ses prescriptions expresses atteint à l’intérêt général.
Quant à l’immoralité cette cause de nullité est réduit à peu de chose , par principe elle ne s’appliquait que lorsque la société à travers le juge estimait que son intervention relevait de l’intérêt général.
Hormis, ces deux points toutes les autres situations de nullité absolue sont incertaines. Cette incertitude fournit de nombreux détracteurs à la théorie moderne comme nous le verrons par la suite.

Les cas litigieux 

Ces difficultés sont particulièrement soulignées dans le cas des nullités d’ordre public. En effet, le législateur a développé tout un corps de règles contraignantes basé sur l’article 6 du Code civil qui dispose : «On ne peut déroger, par des conventions particulières, aux lois qui intéressent l’ordre public et les bonnes mœurs» . Autrement dit l’ordre public est une limite à l’autonomie de la volonté. Le propre de ces dispositions est de ne pas pouvoir être écarté par les dispositions du contrat conclu entre les parties.
Cependant, la jurisprudence comme la doctrine ont subdivisé les règles d’ordre public entre deux catégories, les règles d’ordre public de protection et les règles public de direction. L’ordre public de direction a pour objectif d’orienter l’activité économique au nom de l’intérêt général. Au contraire, l’ordre public de protection se contente de protéger les intérêts de personnes particulières. Il s’agit le plus souvent des parties faibles, de situations contractuelles déséquilibrées telles que l’employeur face à l’employé, l’assureur face à l’assuré, le bailleur face au locataire ou le consommateur face au producteur.

L’effet principal de la distinction, l’attribution de l’action en nullité 

La théorie moderne porte aussi le nom de la théorie du droit de critique car elle se concentre avant tout sur sa détermination. En fonction de l’intérêt privé ou non, le cercle des personnes pouvant critiquer le contrat sera plus ou moins large.
Conformément à la solution classique, la nullité absolue peut être invoquée par toutes les personnes y ayant intérêt ainsi que par le ministère public. Cette large ouverture se justifie efficacement dans le prisme de la théorie moderne. L’atteinte à l’intérêt général justifie la multiplication des possibilités de purger les contrats d’une telle atteinte. Le professeur COUTUTRIER explique à ce titre que la «généralisation du droit de critique tend à multiplier les chances d’une dénonciation de l’illicite».
Au contraire, les cas de nullités relatives ne sont ouverts que pour les personnes couvertes par la règle protégeant un intérêt privé. Autrement dit, «L’action en nullité [relative] n’appartient en propre qu’aux personnes protégées.»
En premier lieu sont donc concernées les victimes des différents vices du consentements faisant l’objet d’une nullité relative (erreur, dol, violence et plus largement la lésion), mais aussi de la violation d’une incapacité d’exercice ou d’une règle d’ordre public de protection particulière.
En outre, la loi peut fournir expressément cette protection à un tiers, on peut par exemple citer l’ancien mais toujours utilisé mécanisme de l’usufruit qui confère en vertu de l’article 595 alinéa  une action en nullité relative au nu propriétaire contre certains actes concluent entre l’usufruitier et une tiers cocontractant.
Puisque seules ces personnes ont la possibilité d’ester en justice contre les actes qu’ils estiment leurs nuire, il est naturel qu’elles aient la possibilité de confirmer ou non le contrat  , c’est à elles même de juger de leur propre intérêt.
De fait, le véritable enjeu de la nullité relative est de savoir jusqu’où celle-ci s’étend à d’autres personnes qui ne sont pas expressément protégées par les règles de droit. Ainsi et évidemment, les représentants légaux des mineurs ou des majeurs sous tutelles mais aussi les ayants titres universels peuvent se prévaloir des cas de nullité relative des personnes qu’ils représentent.
De même dans les conditions de l’action oblique et en vertu de l’article 1166 du Code civil, le créancier peut au nom de son débiteur exercer une action en nullité relative.

Les autres effets de la distinction, en phase de disparaitre 

Plusieurs effets concrets découlent de la distinction mise en place. Leur étude est nécessaire pour appréhender l’importance de cette théorie et de ces conséquences. Il s’agit de la confirmation et de la prescription.
La confirmation s’entend de l’acte par lequel une personne renonce unilatéralement à se prévaloir de la nullité d’un acte juridique. La confirmation peut être expresse ou tacite, et en particulier résulter d’une exécution spontanée.
Un acte nul d’une nullité absolue ne peut faire l’objet d’une confirmation. C’est la solution classique comme moderne, néanmoins, la théorie moderne ne fonde pas cette impossibilité sur la gravité du vice mais plutôt sur l’inviolabilité de l’intérêt général qui s’oppose à ce qu’une volonté seule puisse réguler un tel acte.
Au contraire, l’acte encourant une nullité relative est en principe susceptible de confirmation. Si bien que certains ont proposé une définition de la confirmation englobant simplement les vices susceptibles n’atteignant qu’à l’intérêt privé et donc faisant l’objet d’une nullité relative. Dés lors, «la confirmation est une décision qui intervient lorsque la manifestation de volonté de la part de celui qui l’a prise était nulle pour avoir été consentie alors que le promettant se trouvait en état d’incapacité ou parce que sa détermination se trouvait entachée d’un vice du consentement ou encore parce que la validité de cet engagement nécessitait l’utilisation d’une forme obligatoire et que cette forme n’a pas été respectée.»
Néanmoins, la question de la confirmation se pose en matière de nullité relative lorsque la règle édictée bien que protégeant un intérêt privé met en place une règle d’ordre public de protection.

Un droit comparé mitigé 

La thèse du professeur JAPIOT ostracise les différents droits européens dont la comparaison pourrait tantôt la desservir mais aussi renforcer sa légitimité. Il ignore volontairement un passé commun romaniste aux différentes théories des nullités européennes et cela même dans le droit de common law. En effet, force est de constater que les grands droits européens reprennent la distinction bipartites :
le droit allemand distingue au paragraphe 141 et suivants du Bürgerliches Gesetzbuch (BGB) la nullité de plein droit, dites Nichtigkeit, qui ne peut faire l’objet que d’une réfection face à une nullité que seule les parties peuvent dénoncer que l’on nomme Anfechtbarkeit ;
le droit italien à travers les articles 1418 et suivants du Codice civile a consacré la doctrine opposant les sanctions de nullita et annulabilita ;
Le droit anglais lui aussi pose une distinction nette entre les contrats void, nuls de plein droit et les contrats simplement voidable ou annulables. Le contrat void se rapproche de celui frappé d’une nullité absolue, le contrat est considéré comme n’avoir jamais existé. Les deux parties peuvent l’invoquer et, lorsque ses conditions de mise en œuvre sont satisfaites, les juges n’ont pas le pouvoir de refuser cette sanction. Le contrat voidable renvoie à la nullité relative du droit français car la partie victime de l’erreur dispose d’une option entre la confirmation ou la rescission du contrat.
Le fait de vouloir dépasser cette distinction fondamentale entre contrat nul et annulable en créant une multitude de statuts intermédiaires semble donc défier une logique plus globale et ancienne. Néanmoins, une étude plus approfondie du droit anglais montre certaines similitudes avec la théorie moderne et ouvrent des pistes envisageables pour son futur.

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Table des matières

Introduction
• Définitions et distinctions
• Les origines, la théorie classique des nullités
• Le critère procédurale de distinctions
I – L’affirmation de la théorie moderne en droit positif 
A – Les effets concrets découlant de l’application dénaturée de la théorie moderne
1 – Panorama des cas de nullité absolue et relative
• Les cas de nullités relatives
• Les cas de nullités absolues
• Les cas litigieux
2 – L’effet principal de la distinction, l’attribution de l’action en nullité
3 – Les autres effets de la distinction, en phase de disparaître
B – La mise en œuvre contrariée de la théorie moderne des nullités
1 – Les critiques doctrinales
2 – Une jurisprudence défaillante
• La jurisprudence sur le prix dérisoire
• La jurisprudence sur les transactions en droit du travail
3 – Un droit comparé mitigé
II – La théorie moderne des nullités, un avenir incertain
A – La théorie moderne entre consécration légale et refondation
1 – Les projets de réforme, à la rescousse de la théorie moderne
• Les propositions du projet Catala
• Les propositions du projet Terré
• Les propositions du projet de la Chancellerie
2 – Une renaissance intellectuelle de la théorie moderne
B – Une théorie moderne dépassée ?
1 – Les nouvelles théories
• La nullité selon le résultat recherché du professeur LICHBACHER
• La proposition de l’élément vicié du professeur POSEZ
2 – La fin des théories ?
3 – La résurgence de l’inexistence
Conclusion générale
• Un bilan mitigé, les leçons à en tirer
• La proposition d’une distinction restaurée aux effets précisées

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