Le travail sur Anna Karénine, ici présenté, espère fournir de nouveaux éléments de réflexion pouvant contribuer à une meilleure compréhension de l’œuvre de l’auteur. Une pareille entreprise n’est jamais simple, mais Anna Karénine, nous semble-t-il, n’a pas reçu toute l’attention qu’elle mérite. De précédentes recherches sur l’auteur ont fourni d’intéressants résultats, mais elles demeurent relativement rares. Au contraire, les nombreuses biographies, les publications des lettres et des interviews, les documentaires revisitant les textes de l’auteur et les témoignages de ses proches, sont autant d’éléments qui confirment l’attention portée à la vie de TOLSTOI. Si le nombre élevé de ces ouvrages dédiés à la vie d’Anna Karénine se justifie par l’obsession que celui-ci avait de raconter sa propre expérience, la littérature utilisée dans cette dernière mérite aussi un regard plus attentif. La diversité des publications, l’utilisation de supports différents, les aspects insaisissables et complexes de la personnalité d’Anna sollicitent une étude solide, précise et approfondie.
En dépit de l’usage banal que l’on fait de cet adjectif « tragique », son acceptation littéraire est exclusivement liée aux rapports que l’homme entretient avec le destin. Etymologiquement le mot « tragédie » est issu des mots grecs tragus (le bouc) et ode (le chant). Ce chant du bouc est en fait la liturgie par laquelle on avait coutume de célébrer Dionysos. Elle repose sur la conscience de la fatalité, contre laquelle se brisent inéluctablement les entreprises humaines.
Romancier dont le génie créateur a toujours été dominé par le besoin d’une règle de conduite absolue, Tolstoï s’est tourné dans la seconde moitié de sa vie vers la prédication d’un christianisme renouvelé, ramené à la stricte observance de la loi d’amour, au nom de laquelle il condamne les structures économiques, sociales et politiques du monde moderne et les formes d’art qui en sont le fruit et qui en résulte souvent d’une mort tragique. Cette intransigeance rigoureuse de l’exigence morale appliquée à tous les domaines de la vie individuelle et collective a fait de Tolstoï l’un des maîtres spirituels du XXème siècle naissant. Le message du “ plus chrétien des anarchistes ”, loin d’apparaître comme archaïque, nous semble au contraire d’une grande actualité au moment où, après l’échec des anti-utopies totalitaires, il est question de penser un autre futur pour une humanité économiquement, culturellement et écologiquement menacée.
Le tragique est le caractère de ce qui est funeste, alarmant ou attaché à la tragédie. Deux mots sont suffisants pour caractériser le tragique : le destin et la fatalité. Ainsi son acceptation littéraire est exclusivement liée aux rapports que l’homme entretient avec le destin. C’est le fait d’avoir, dans un roman par exemple, un personnage dont le destin est irrémédiable, souvent funeste. Il mène le protagoniste principal à une fin irrévocable, contre laquelle il va lutter jusqu’au bout mais en vain. Ce dernier mêle des sentiments forts et exacerbés par celui qui lutte contre son destin.
Le contexte historique d’Anna KARENINE
Ce roman, à premier vu, ne semble construit qu’autour d’un amour adultère résultant en une mort tragique communément appelée suicide. En effet, ce n’est rien d’autre qu’une femme qui aime un officier et qui se tue, dira Tolstoï dans un moment d’humeur maussade. Léon Tolstoï commence ANNA KARENINE en 1873 puis l’abandonne. Il le reprend quelques années après, et le publie en 1877. Ce récit a été inspiré à Tolstoï par un fait divers : Le suicide d’une femme abandonnée par son amant qui était un voisin et une connaissance de Tolstoï. Cette jeune femme s’est jetée sous un train dans la petite gare de Lassenki, Tolstoï a vu son corps déchiqueté. C’est de cette image qu’est né le destin d’ANNA KARENINE.
Tolstoï semble posséder une vision personnelle de l’amour. Il l’accorde au lecteur en parlant résolument d’amour (et non en empruntant des voies indirectes, en parlant d’absence d’amour par exemple). Il a traité l’amour comme un événement menant à la construction d’une nouvelle subjectivité, d’une vérité, de façon à se distinguer de son contemporain. Par exemple, nous dirons qu’avec ANNA KARENINE lève le voile sur le discours amoureux par l’invective et le changement de registre lexical, travaillant en creux la thématique de l’amour en tressant l’écheveau d’une dialectique qui mêle le sublime à l’émergence d’une écriture nouvelle. Les trois textes incarnent le vide et recréent le monde amoureux. L’idée derrière ma réflexion n’est pas de répondre mécaniquement à la question Qu’est-ce que l’amour, mais plutôt de voir comment on peut y répondre par la littérature, par l’entremise de son œuvre littéraire, et quelle est cette réponse, très exactement. « [À] quoi servirait la littérature si elle ne nous apprenait pas à aimer » .
C’est de cette manière qu’est né le récit qui est inspiré d’un fait divers qui fit scandale. De ce fait, ce thème nous mène vers une étude approfondie de l’œuvre de Léon Tolstoï et nous enfonce vers une recherche extraordinaire du tragique. En effet nous nous adressons souvent cette interrogation à savoir sa particularité et sa problématique dans l’œuvre d’ANNA KARENINE.
La problématique de l’œuvre d’Anna KARENINE
Dès la lecture du roman, on sent la passion coupable qu’Alexis Karénine tente pour convaincre sa femme qui est totalement visible sous le choc d’un sentiment de violence. Cette découverte d’une conscience nouvelle ne peut-elle pas se lire à travers la situation toute nouvelle de l’épouse ? Le narrateur braque son langage sur la personne du mari et y révèle un extérieur où le ridicule le dispute à la déception. « La vertu est la force des maximes de l’homme dans l’accomplissement de son devoir.» L’importance qu’elle prend dans le drame narratif lui confère du coup, le rôle d’un personnage anthropomorphique. C’est à cause d’Anna qu’on parle de l’effectivité d’un espace binaire, l’occupation de l’espace social par les amants devenant grâce à elle impossible au fur et à mesure que progresse l’amour coupable.
A un an de la rédaction de son roman, un fait divers tragique réveille en lui l’ardeur créatrice, la maîtresse d’un de ses voisins, apprenant la trahison de son amant, a subi l’objet d’une mort tragique de façon incroyable. Son cadavre à demi nu, déchiqueté, est étendu dans la salle d’attente, et Tolstoï, appelé là-bas, ne peut chasser l’horrible vision de sa mémoire. Après cette flambée d’ardeur, l’abattement le reprend. Son esprit est entrecoupé de crises de conscience. Les seuls moments authentiques, ce sont les moments de Lévine à la campagne. N’oublions pas que Tolstoï est un adepte des thèses de Rousseau qui dit que la ville est un vice et la campagne est la vertu. L’auteur ose mélanger le ridicule, le grotesque et le tragique qui sont présents dans le roman. C’est aussi la première qui parle de manière explicite des troubles psychologiques d’Anna, en montrant qu’elle est sous l’emprise de la morphine.
Comment peut-on comprendre dans ANNA KARENINE la narration d’un fait purement social qui engage aussi le couple que la société elle-même sans accorder une place si minime soit-elle à celle-ci. Cela principe naturellement des effets du réel et de la crédibilité qu’exige notre sujet.
Il faut lire Tolstoï, pour comprendre tout ce qu’il veut dire et également Tourgueniev, Gogol, ce que je me suis efforcé de faire, car attiré par ce génie. En le lisant il faut avoir en mémoire, ce qu’était la Russie de la fin du XIXème siècle, où le servage n’a été aboli qu’en 1861, qui était en retard sur l’Europe. Il était profondément conscient de tous ces retards. Appartenant à une classe privilégiée dont il dénonçait les abus, elle avait le nécessaire et le superflu, alors que le peuple croupissait dans la misère. Un pays immense, magnifique, lisez aussi « Mémoires d’un chasseur » de Tourgueniev et les « Ames Mortes » de Gogol. Ce sont les mêmes questionnements, mais avec une acuité particulière chez Tolstoï.
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Table des matières
INTRODUCTION
Chapitre I : LE CONTEXTE HISTORIQUE D’ANNA KARENINE
I 1°) La problématique de l’œuvre d’Anna
I 2°) Anna Karénine, l’œuvre charnière
I 3°) L’importance de l’œuvre d’Anna
Chapitre II : L’AMOUR DANS ANNA KARENINE
II 1°) L’amour propre dans Anna KARENINE
II 2°) L’amour charnel dans Anna KARENINE
II 3°) L’amour passionnel dans Anna KARENINE
Chapitre III : LA MORT DANS ANNA KARENINE
III 1°) La mort naturelle dans Anna KARENINE
III 2°) La mort suicidaire dans Anna KARENINE
III 3°) La mort tragique de LEVINE dans Anna KARENINE
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE