L’infériorité de la femme issue du droit
Le monde antique était basé sur une multitude d’inégalité : les citoyens et les non citoyens, les esclaves et les hommes libres, les hommes et les femmes. Le droit romain a placé la femme sous l’autorité du père de famille ou du « pater familias ». Le mariage cum manu mettait la femme sous la dépendance totale de son époux, ainsi, l’homme détenait le plein pouvoir pour diriger la famille7. La situation de la femme romaine s’améliore pourtant en passant d’une totale incapacité à une « relative autonomie » de la République au Bas Empire8 . Dans la Grèce antique, le mariage se formait par un « accord formel » appelé engyè, conclu entre le marié et le père de la mariée9. Cet accord fut accompagné de la remise d’une dot par le beau père. Le consentement de la femme n’était pas requis. Le mariage était considéré comme accompli une fois que le transfert de la mariée s’exécutait. Ce transfert se manifestait par un changement de demeure ou oikos et de maître ou kurios. La femme passait donc de l’autorité de son père à celui de son mari10. Malgré des réflexions sur l’idéal d’égalité initiées par Platon et Aristote, cette égalité ne concernait que les citoyens, ce qui excluait les femmes. En effet, Aristote place le statut de la femme à un « niveau intermédiaire entre l’esclave et le citoyen »11. Au moyen âge12, l’inégalité des sexes fut le fondement de la société et de la famille. Les activités agricoles étaient la base de la vie, et la famille prit une place importante dans la production et la garantie de la subsistance. La famille acquiert alors un caractère sacré. L’église pose le mariage comme base de la famille. Le chef de famille voit son autorité s’affirmer. Le système patriarcal régissait la famille, dite aussi « famille traditionnelle »13. La femme était écartée par une société qui refoulait et craignait les femmes. Un couplet14 d’un auteur, Hildebert de Lavardin, montre d’ailleurs la conception et la haine envers la femme au moyen âge. Selon l’auteur, « les trois grands ennemis de l’homme sont la femme, l’argent, les honneurs ». Dans les alentours de l’année 1350 la « loi salique » interdit même le règne des femmes en France et l’incapacité politique des femmes fait surface15. Dès le XVIIe siècle la hiérarchie des sexes est mise en doute mais c’est au XVIIIe siècle que la question connait toute son ampleur, influencé par Montesquieu, Diderot. Au lendemain de la révolution française de 1789, la déclaration des droits de l’homme et du citoyen apporte une atmosphère sociale basée sur l’égalité et la liberté. Le pouvoir du chef de famille se trouve réduit et le divorce est admis par consentement mutuel ou pour incompatibilité d’humeur16. La laïcité est mise en avant, par conséquent, le mariage perd son caractère sacré et l’égalité des enfants légitimes et naturels est proclamée. A cette époque dite du « droit intermédiaire »17, la femme connait moins d’oppression. Mais le code civil de 1804 fait un pas en arrière. Le mariage demeure le ciment de la famille et confère pleine autorité au chef. Dans l’esprit du code, la femme mariée est « un être privé de raison, est juridiquement incapable et doit obéissance à son mari »18. La femme est réduite au rôle de mère et c’est l’une des causes de sa mise à l’écart dans une société. Figée dans la maternité, la femme s’est vu attribuer d’office le rôle de gardien du foyer. L’homme a ainsi pris l’habitude de soumettre la femme à ses désirs et aux tâches ménagères. Cela reste valable aussi bien dans les sociétés anciennes, traditionnelles ou même moderne. La persistance des mouvements féministes de nos jours montre que les droits de la femme ne sont pas encore pleinement satisfaits à cette époque contemporaine. La lauréate du prix Nobel de la paix en 2014, Malala Yousafzaï 19 montre que de nos jours la femme n’a pas encore sa place. Le monde dans le quel nous vivons est dirigé par les hommes. Force est de constater que la majorité des états, ou des grandes firmes internationales sont dirigés en grande partie par les hommes. Nous pourrions penser avec raison que c’est le droit lui-même ainsi que la société qui aurait permis la pérennisation de cette structure misogyne.
La « vindication of the rights of women » de 1792, un déclencheur des droits de la femme
La fin du 18ème siècle marque un grand tournant dans l’histoire des femmes. Cette époque, caractérisée par l’évolution des techniques et des sciences mais aussi des pensées, a vu la naissance des idéaux féministes. La notion de liberté mais aussi d’égalité fait surface. Cette période met en exergue de nouvelles aspirations vis-à-vis des conditions de la femme dans la société. L’émancipation des femmes devait constituer l’évolution des droits de la femme. Cette ère nouvelle refuse la soumission de la femme. En 1791, la «déclaration des droits de la femme et de la citoyenne» d’Olympe de Gouge26, bien qu’innovent n’as pu être adoptée et l’auteur fut décapité. En Grande Bretagne, l’écrivain Mary WOLLSTONECRAFT27 est l’auteur du manifeste féministe qui a marqué une grande avancée pour les droits de la femme. Inspirée par la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et par le « bill of right » du 15 décembre 1792 aux Etats Unis, Mary WOLLSTONECRAFT, dans son ouvrage « vindication of the right of the women » de 1792, réclame les droits des femmes. Cette revendication touche différents aspects propres à l’Homme. En premier lieu, il s’agit du droit à l’instruction des femmes. En effet, la connaissance, l’acquisition du savoir, et la compréhension du monde étaient le propre des hommes. Donner cette opportunité, accorder ce droit est une manière de libérer la femme de son ignorance et lui donner la faculté de penser par elle même. En second lieu, la reconnaissance des droits civiques et politiques des femmes. A une époque, les hommes seuls pouvaient décider de la vie socio-économique et surtout politique de la société. Le droit de vote est alors avancer, il fallait que chacun puisse donner sa voix afin de protéger ses intérêts au sein du groupe, les hommes ne pouvaient éternellement décider unilatéralement de l’avenir du pays. La femme vit dans le vivre ensemble au coté des hommes, elle sait plus que quiconque la réalité et les difficultés de la vie quotidienne, par conséquent elle est apte à donner un avis éclairé sur les priorités du pays, elle en a le droit. Enfin, Mary WOLLSTONECRAFT réclame le droit à un emploi pour une émancipation de la femme28.
L’affermissement des droits de la femme de l’indépendance à nos jours
Deux principales prérogatives étaient reconnues à la femme malgache : la pleine capacité juridique et la liberté matrimoniale. Concernant la liberté matrimoniale, un arrêté du 15 juin 1898 a supprimé les castes et les prohibitions entre elles et permet donc la célébration du mariage entre personnes de caste différent. Cependant l’âge requis pour le mariage était discriminatoire. L’âge légal requis pour la femme est de 14ans contre 17ans pour le garçon. Ce qui encourage le mariage précoce des filles. Toutefois, le législateur de l’époque reconnait la protection que le mariage accorde aux femmes et encourage l’enregistrement du mariage. Le législateur « a voulu faire du mariage la pierre angulaire de la famille de demain, l’institution la plus apte à protéger la femme »40. En effet, l’instabilité du couple et la fragilité du ménage sont néfastes à l’intérêt de la femme du point de vue matériel et moral. Le mariage est donc l’élément d’équilibre et ainsi, la loi du 9 octobre 1961 relative aux actes de l’état civil permettait la régularisation des situations de fait, des unions coutumières. Le renforcement du lien matrimonial suppose en outre l’interdiction de la polygamie. La loi vient au secours de la femme mariée, préserve sa sécurité matérielle et si une séparation s’avère inévitable, organise sa défense. Cependant, le régime matrimonial demeurait le régime coutumier du partage par tiers. Malgré une nette amélioration de la législation et de la situation des femmes41 le mari est resté le chef de famille. En effet, le législateur malgache semble avoir hésité à donner conjointement aux deux époux le pouvoir de gérer le ménage. L’article 53 de l’ordonnance n° 62-089 sur le mariage donne au mari le rôle de chef de famille en précisant que la femme concourt avec lui à assurer la direction morale et matérielle de la famille. La loi reconnait donc à la femme une place importante dans le couple. Cependant, le choix du domicile appartenait au mari. Au lendemain de l’indépendance, il fallait confirmer certains droits de la femme pour la recherche d’une égalité complète avec l’homme. Des législations de 1962 et 1963, ont confirmé cette égalité. La jouissance des droits civils a été reconnue à tous tandis que l’exercice en a été donné aux personnes majeures. La privation de l’exercice des droits civils ne peut être prononcée pour la femme comme pour l’homme que par une décision de justice. « Le mariage ne porte pas atteinte à la capacité juridique des époux » dispose l’article 59 de l’ordonnance n° 62-089 du 1er octobre 1962. La femme mariée est donc pleinement capable42. Elle peut se prévaloir des dispositions de l’article 18 de l’ordonnance du 18 septembre 1962 sur les dispositions générales de droit privé qui prévoit que toute atteinte illicite à la personnalité donne à celui ou celle qui la subit le droit de demander qu’il y soit mis fin. La femme jouit d’une relative indépendance43. Les droits de la femme a connu une nette amélioration depuis les années 90. Le « mira lenta » est désormais la règle d’or pour la réalisation des droits de la femme à Madagascar. Pourtant, nous ne pouvons pas ignorer la force de la culture et les effets néfastes pour la promotion du genre dans la société malgache. Elle permet de dicter le comportement de la société à travers des images dévalorisant la femme. La femme est le « fanaka malemy » ou littéralement meuble fragile et l’homme est le « lehilahy mahery » ou littéralement homme puissant et courageux. Lorsque la femme ose prendre la parole, elle risque d’être traitée d’Akohovavy maneno «la poule qui chante ». Dans tous les cas elle semble être un fardeau pour la société. D’où la nécessité d’une lutte contre cette discrimination.
Les violences à l’égard des femmes
La date du 25 Novembre est la célébration de la journée mondiale contre la violence envers les femmes. Le rapport sur la mise en œuvre du pacte international relatif aux droits civils et politiques a déploré la persistance de la violence faite sur les femmes et les fillettes à Madagascar. Ce phénomène social semble être un sujet tabou dans la société malgache selon le rapport et impose la loi du silence. La perpétration de cette violence porte atteinte aux droits et libertés fondamentaux. Une étude nationale menée par l’INSTAT entre 2012 et 201348 rapporte que 30% des femmes ont subit des violences durant les 12 mois d’investigation dans toute l’île. Quatre types de violence ont été signalés. La violence la plus fréquente est la violence psychologique ou morale qui est subie par 19% des femmes. Cette forme de violence se manifeste par des paroles blessantes associant menaces et cris sur la femme. La violence physique est endurée par 12,1% des femmes. Cette violence se traduit par toute atteinte à l’intégrité physique de la femme, pouvant se matérialiser par des coups et conduire jusqu’au meurtre49. La violence sexuelle est supportée par 7,2% des femmes. Il s’agit de rapports sexuels non consenti c’est-à dire de viol comme définit à l’article 332 du code pénal. La violence économique touche 5,3% d’entre elles et consiste à interdire à la femme d’avoir un emploi et d’être financièrement indépendante, ainsi son salaire pourrait lui être soustrait50 .Lors de la célébration de la journée de la femme en date du 8 Mars 2007, placée sous le thème de la violence faite aux femmes, la première dame de l’époque déclare « qu’elles soient visibles ou dissimulées, les violences faites aux femmes constituent un crime ».
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Table des matières
Liste des abréviations
INTRODUCTION
PARTIE I – LA DIFFICULTÉ DE L’EFFECTIVITÉ DES DROITS DE LA FEMME À MADAGASCAR
TITRE I- LA NÉCESSITÉ DES DROITS DE LA FEMME
Chapitre 1- Les fondements des droits de la femme
I. La vulnérabilité de la femme
1. Généralité
1.1. La place attribuée aux femmes à travers le temps
1.2. Les premiers pas des droits de la femme
2. La femme dans l’histoire de Madagascar
2.1. De la gynécocratie au patriarcat
2.2. La difficulté de l’aboutissement des droits de la femme à Madagascar
II La lutte contre la discrimination envers les femmes
1. La convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes
1.1. Des origines
1.2. Le contenu de la CEDEF
2. Le concept de la discrimination et le principe de l’égalité
2.1. La discrimination
2.2. L’égalité
Chapitre 2 – La situation précaire de la femme à Madagascar
I. Le calvaire des femmes dans la société malgache
1. La violence faite aux femmes
1.1. La nature des violences
1.2. La violence faite aux femmes au regard du droit positif
2. La persistance des pratiques interdites
2.1. L’esclavage des femmes malgaches
2.2. La question de l’avortement
II. La femme dans sa famille
1. Le mariage
1.1. Le statut privilégié du mari et la soumission de la femme
1.2. Les atteintes subies par la femme dans le cadre du mariage
2. L’exclusion de la femme dans le droit de succession
2.1. Les motifs légaux d’exclusion d’un héritier à la succession
2.2. Un droit successoral exclusivement masculin
TITRE II- LES OBSTACLES A L’EFFECTIVITE DES DROITS DE LA FEMME A MADAGASCAR
Chapitre I- Les lacunes dans la législation
I. L’inapplication des droits de la femme
1. Un droit étranger à la société malgache
1.1. L’absence de jurisprudence
1.2. L’inaccessibilité des droits de la femme
2. Les facteurs d’aggravation de l’inapplication des droits de la femme
2.1. Les obstacles socio-économiques
2.2. Les obstacles issus de la société
II. La contradiction et l’incohérence dans la législation
1. L’absence de révision législative
1.1. La persistance des dispositions discriminatoire
1.2. La rigidité de la législation
2. L’insuffisance des dispositions visant la protection de la femme
2.1. L’insuffisance des dispositions législatives
2.2. L’absence d’un cadre juridique de lutte contre la discrimination
Chapitre 2- La survivance des coutumes et traditions discriminatoires
I. Les droits de la femme face à la coutume
1. La force de la coutume dans un pays sous développé
1.1. La société traditionnelle malgache
1.2. La coutume, une norme sociale
2. Un regard sur le droit et la coutume en Afrique
2.1. Une désarticulation entre la coutume, la société et le droit
2.2. L’enracinement d’un droit patriarcal
II. Les effets des coutumes discriminatoires
1.Le statut de la femme issu de la tradition
1.1. L’image tirée du « kitay telo an-dalana »
1.2. La suprématie de l’homme
2. Les conséquences des coutumes discriminatoires
2.1. La soumission de la femme
2.2. L’exclusion de la femme
PARTIE II- LA PROMOTION DES DROITS DE LA FEMME A MADAGASCAR
TITRE I- LES SOLUTIONS EXISTANTES POUR LA PROMOTION DES DROITS DE LA FEMME
Chapitre 1- Le rôle de l’Etat malgache pour la promotion des droits de la femme
I. La responsabilité de l’Etat partie à une convention
1. Les conséquences de l’engagement de l’Etat
1.1. Des responsabilités de l’Etat engagé dans une convention
1.2. Le système de contrôle des conventions internationales
2. Les urgences des droits de la femme et les garanties nécessaires
2.1. L’égalité, une nécessité pour les femmes
2.2. La protection de l’Etat
II. Les mesures prises par l’Etat malgache
1. Les mesures législatives
1.1. Les efforts du législateur dans la cadre des droits de la femme
1.2. La consécration du principe de l’égalité dans le cadre juridique malgache
2. Les programmes et les actions entrepris pour la promotion des droits de la femme
2.1. Les entités œuvrant pour la promotion des droits de la femme
2.2. Les politiques et les programmes
Chapitre 2- Les actions des PTF et des associations
I. Les partenaires techniques et financiers
1. Le PNUD et la FAO
1.1. L’intervention des PTF pour la promotion des droits de la femme
1.2. Le rôle des PTF pour l’émancipation des femmes
2 Les actions du PNUD et de la FAO pour la promotion de la femme
2.1. Le partenariat entre le PNUD et la FAO
2.2. La réalisation des PTF auprès de la fédération HERY MITAMBATRA
II. Les associations : cas de la fédération Hery Mitambatra
1. Le rôle des associations
1.1. Des origines
1.2. La lutte pour les droits de la femme
2. Le résultat actuel
2.1. Les efforts entrepris pour la promotion de la femme dans le Sud Est
2.2. Les limites des actions de la fédération
TITRE II- LES EFFORTS A ENTREPRENDRE POUR LA PROMOTION DES DROITS DE LA FEMME A MADAGASCAR
Chapitre I- Un cadre juridique favorable à la femme
I Une refonte du droit pénal
1. Des textes répressifs
1.1. La violence
1.2. La protection juridique des femmes en situation de danger
2. Le renforcement des juridictions répressives
2.1. Une efficacité du système répressif
2.2. L’accès à la justice
II. Une révision du droit d la famille
1. Le mariage
1.1. Le statut de chef de famille
1.2. La remise en cause du droit de “misintaka”
2. Le droit successoral
2.1. Une modification de la loi sur les successions
2.2. Les droits de la veuve
Chapitre 2. Une démarche pour une application des textes
I. La responsabilité du législateur
1. L’opportunité de la création et de la révision des lois
1.1. Un législateur conscient de la nécessité d’une l’évolution
1.2. Les attitudes du législateur
2. Vers une avancée des droits de la femme
2.1. La mise en œuvre de la parité
2.2 La libéralisation de l’avortement et de la prostitution
II. Une politique globale pour la promotion de la femme à Madagascar
1. Une campagne de sensibilisation efficace
1.1. La vulgarisation des lois et l’information juridique
1.2. L’accessibilité au droit
2. Une stratégie nationale pour l’élimination des pratiques culturelles néfastes
2.1. La nécessité d’une phase transitoire au niveau rurale
2.2. Pour une indépendance de la femme malgache
CONCLUSION
Bibliographie
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