La grammaire traditionnelle
Dans sa thèse de doctorat, Développer et comprendre des pratiques d’enseignement de la grammaire intégrées à la production textuelle: entre les dires et les faires, Véronique Marmy Cusin (2012) identifie trois méthodes d’enseignement de la grammaire. Elle distingue, dans l’ordre chronologique, la «grammaire traditionnelle», «la grammaire rénovée» et «la grammaire intégrée» (p.9).
L’enseignement traditionnel de la grammaire trouve son origine à la fin du XVIIIe siècle. Il demeure la perspective dominante jusque dans les années 1970. L’objectif général d’une telle pratique est de permettre à l’élève de se rapprocher le plus possible d’une double norme esthétique et orthographique qui constitue le bon usage de la langue. D’un point de vue méthodologique, la grammaire traditionnelle s’enseigne à part. Autrement dit, les cours de Français sont cloisonnés en sous disciplines enseignées séparément: grammaire, production de texte et compréhension de texte. En outre, les cours de grammaire se déroulent selon une méthodologie en trois étapes. L’élève découvre et apprend une règle (et les éventuelles exceptions à celle-ci). Ensuite, il applique ce qu’il a appris par le biais d’exercices conçus à partir de phrases isolées. Une fois ce processus terminé, il est considéré comme capable d’appliquer ce qu’il vient d’apprendre dans ses propres productions. En d’autres termes, on peut qualifier la grammaire traditionnelle de méthode déductive : puisque la pratique découle de la règle énoncée. Il s’agit donc d’une forme de behaviorisme grammatical dans lequel l’élève est passif, dans la mesure où il ne sera pas mené à comprendre le fonctionnement de sa langue, mais bien à appliquer ce que la norme lui impose.
La grammaire rénovée
Dans les années 1970, les recherches en didactique du français mènent à la parution de Maîtrise du français. Cet ouvrage concrétise une nouvelle approche de la grammaire, ce que nous appelons aujourd’hui la grammaire rénovée. L’objectif au cœur de celle-ci n’est plus d’atteindre une norme, mais d’apprendre à communiquer. Par conséquent, la grammaire est perçue comme un outil qui permet à l’élève de maîtriser le fonctionnement de sa propre langue et de communiquer. D’un point de vue méthodologique, la grammaire rénovée se concentre sur l’analyse de la phrase. Elle fait également un premier pas dans la direction d’une approche analytique de la langue, puisqu’elle préconise des activités qui, suivant Marmy Cusin (2012, p. 12), s’attachent à:
– observer un corpus représentatif de la notion à construire;
– analyser ce corpus à l’aide de “procédures rigoureuses et formelles”, telles les manipulations syntaxiques (De Pietro, 2004, p. 81);
– identifier les régularités du système de la langue à partir de ces manipulations;
– dégager de cette analyse des règles et des définitions et les codifier.» .
Cette méthode privilégie donc un mode inductif. En effet, il s’agit bien d’un raisonnement qui part du particulier pour aller vers le général. En d’autres termes, le travail à partir de corpus permet de déduire le fonctionnement de la langue et d’en tirer des règles dans une approche de constructivisme grammatical.
La grammaire intégrée ou grammaire nouvelle
Une grammaire de la phrase et du texte
Depuis la parution de Maîtrise du Français, l’évolution majeure dans les perspectives d’enseignement grammatical s’est concentrée sur la transition d’un niveau phrastique à un niveau textuel. Pour autant, la grammaire nouvelle n’abandonne pas les réflexions sur la phrase et ses composantes qui constituent un passage indispensable dans la construction des compétences langagières. Toutefois, puisque le travail de la grammaire vise avant tout à développer les capacités communicationnelles de l’apprenant, il s’agit d’élargir la perspective en abordant également le texte, par le biais du genre que l’on peut définir comme une: «forme langagière, orale ou écrite, construite socialement, aux caractéristiques relativement stables et reconnues collectivement (Marmy Cusin, 2012, p.16)».
En d’autres termes, la grammaire nouvelle propose de faire réfléchir l’élève à partir de situations de communication concrètes et authentiques, afin de lui permettre de développer sa capacité à construire des phrases correctes et à organiser celles-ci de manière à produire des énoncés complets et faisant sens. Par conséquent, les productions complexes que réalise l’apprenant sont source d’apprentissages puisqu’elles lui permettaient d’améliorer ses capacités à communiquer plutôt qu’à construire des phrases isolées et coupées de leur situation de communication (Marmy Cusin, 2012, p.31)». Ainsi, il s’agit bien de développer les connaissances langagières des élèves par le biais d’un genre de texte étudié et produit. C’est pour cette raison que nous avons opté pour l’appellation « grammaire intégrée « (au travail textuel) plutôt que « grammaire nouvelle ».
La construction des savoirs par une approche analytique et socioconstructiviste
Hormis l’élargissement de la réflexion au niveau textuel, la grammaire nouvelle se propose de renforcer l’approche analytique de la langue chère à la grammaire rénovée. En effet, elle cherche à placer l’élève dans une «démarche active» (Fisher & Nadeau, p. 171-185). En d’autres termes, il s’agit de mener l’élève à observer des corpus pour émettre des hypothèses en utilisant ses connaissances antérieures, vérifier ces dernières et les fixer par la formulation de lois, de définitions, de règles. Pour ce faire, les dispositifs choisis par l’enseignant doivent laisser une place importante aux stratégies socioconstructivistes qui permettent de créer des conflits sociocognitifs chers, notamment à Vygotsky, et favorisent la posture analytique de l’apprenant qui devra défendre ses hypothèses ou critiquer celles de ses pairs.
De son côté, l’enseignant joue également un rôle important dans les interactions qu’il assumera avec l’élève et son groupe. En effet, pour que ce type d’activité garde tout leur sens, il doit faire en sorte de nourrir les échanges entre apprenants et soutenir la réflexion du groupe. Par conséquent, il a la tâche d’interroger les élèves sur leurs stratégies et leurs raisonnements plutôt que d’endosser un rôle de validateur. De la sorte, il permet aux élèves d’arriver euxmêmes aux conclusions attendues et soutient le débat entre pairs puisqu’il mène l’élève à expliciter son raisonnement et les conclusions qu’il en tire (Balsiger & Betrix Köhler, 1999). Ce fait a le double avantage d’être gratifiant et motivant pour ceux-ci et d’encrer plus profondément les apprentissages et la compréhension puisque les élèves ont traité les informations «en profondeur» (Fisher & Nadeau, p. 199). Dès lors, une fois les connaissances construites, il s’agit de les renforcer par le biais d’exercices respectant certaines caractéristiques et, bien évidemment, de les travailler également dans le cadre de productions complexes. Nous reviendrons plus en détail sur ces éléments dans la partie 3.5 consacrée à ce que nous nommons une séquence intégrée.
La séquence traditionnelle
Dans cette partie de notre rapport, nous allons tenter de décrire une séquence traditionnelle prototypique en lien avec les prescriptions théoriques présentées plus haut. Une telle séquence d’enseignement s’articule autour de trois moments (Marmy Cusin, 2012, p. 9-11, Fisher & Nadeau (2006, p. 122): la transmission et l’apprentissage de la définition ou de la règle et des éventuelles exceptions qui la composent, la mise en pratique par le biais d’exercices ciblés et l’évaluation des apprentissages. Il nous semble important de caractériser chaque phase de manière plus précise.
Transmission des savoirs
Le moment de transmission suit un procédé qu’à la suite de Fisher & Nadeau (2006, p. 193) nous qualifierons d’enseignement magistral. Autrement dit, il se réalise par le biais d’une stratégie frontale au cours de laquelle le professeur transmet des informations à ses élèves qui se doivent d’intégrer ces dernières et les mémoriser. Cette activité peut prendre différentes formes: copie d’informations affichées au tableau ou dictées, lecture et commentaires d’un ouvrage de référence… En d’autres termes, l’apprenant adopte une posture de receveur et de mémorisateur.
Mise en pratique et évaluation
La mise en pratique se réalise par le biais d’exercices qui proposent un raisonnement morcelé, non complet, qui découpe la matière en sous-objectifs. Le travail s’effectue, la plupart du temps, à partir de phrases souvent tirées de textes d’auteurs et qui sont considérées comme la norme esthétique et grammaticale dont il s’agirait de se rapprocher. En outre, ces exercices privilégient une réflexion à partir de groupes de mots ou de phrases isolées, dans un prétendu souci d’efficacité et de concentration sur l’essentiel (Fisher & Nadeau, 2006, p. 124-125). Consécutivement à ce que nous venons d’expliciter, l’évaluation se fait par un examen de type traditionnel qui reprend les caractéristiques des exercices décrits ci-dessus. Par conséquent, elle s’articule en objectifs cloisonnés et vérifiés par des exercices proches de ceux réalisés durant la phase précédente.
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Table des matières
INTRODUCTION
1. Présentation générale du projet de recherche
2. Problématique, questions de recherche et hypothèses de départ
2.1. Problématique
2.2. Questions de recherche
2.3. Hypothèses
3. Cadre théorique
3.1. La grammaire traditionnelle
3.2. La grammaire rénovée
3.3. La grammaire intégrée ou grammaire nouvelle
3.3.1. Une grammaire de la phrase et du texte
3.3.2. La construction des savoirs par une approche analytique et socioconstructiviste
3.4. La séquence traditionnelle
3.4.1. Transmission des savoirs
3.4.2. Mise en pratique et évaluation
3.5. La Séquence intégrée
3.5.1. Choisir le genre de texte
3.5.2. Construire la modélisation didactique du genre retenu
3.5.3. Réalisation des productions initiales
3.5.4. La contextualisation
3.5.5. La décontextualisation
3.5.6. La recontextualisation
3.6. Définition des objets à enseigner
3.6.1. Les compléments de phrase
3.6.2. Les subordonnées relatives
3.7. Modélisation didactique et liens avec les objets à enseigner
3.7.1. Modélisation didactique du conte
3.7.2. Liens avec les objets à enseigner
3.7.2.1. Situation initiale et création du contexte fictionnel
3.7.2.2. Narration
3.8. Objectifs d’apprentissages issus de l’analyse a priori
3.8.1. Objectifs d’apprentissages pour les CPh
3.8.2. Objectifs d’apprentissages pour les SR
4. Méthodologie
4.1. Méthode de recherche
4.2. Analyse des données recueillies
4.2.1. Analyse des évaluations traditionnelles
4.2.2. Analyse des productions complexes
5. Grammaire traditionnelle : présentation des deux parties de la séquences et des évaluations réalisées en classe
5.1. Préambule
5.2. Ingénierie didactique
5.2.1. Découverte des objets enseignés
5.2.2. Mise en pratique
5.2.3. Evaluation
5.3. Réalisation en classe
5.3.1. Découverte des objets enseignés
5.3.2. Mise en pratique
5.3.3. Les évaluations initiales et finales
6. Grammaire intégrée: présentation des séquences et des évaluations réalisées en classe
6.1. Préambule
6.2. Ingénierie didactique
6.2.1. Contextualisation des deux notions
6.2.2. Décontextualisation
6.2.3. Recontextualisation
6.3. Réalisation en classe
6.3.1. Contextualisation des SR
6.3.2. Contextualisation des CPh
6.3.3. Décontextualisaiton des notions
6.3.4. Production initiale et recontextualisaiton dans la production finale
7. Évaluations traditionnelles: analyse des résultats
7.1. Les compléments de phrases: analyse des évaluations traditionnelles
7.1.1. Résultats obtenus lors des évaluations diagnostiques
7.1.2. Progrès réalisés dans les évaluations finales et hypothèses de compréhension
7.1.3. Approche comparative de l’atteinte des objectifs dans les deux classes
7.2. Les subordonnées relatives: analyse des évaluations traditionnelles
7.2.1. Résultats obtenus lors des évaluations diagnostiques
7.2.2. Résultats obtenus dans les évaluations finales et hypothèses de compréhension
8. Approche comparative, relative à l’atteinte des objectifs dans les deux classes
9. Interprétation globale des résultats liés aux évaluations traditionnelles
10.Productions complexes: analyse des résultats
10.1.Influence des séquences d’enseignement sur le respect du schéma narratif
10.2.Capacité des élèves à utiliser des CPh et des SR pour condenser l’information dans des phrases plus longues
11.Bilan de notre analyse
11.1.Evaluations traditionnelles et résultats obtenus
11.2.Effets de chaque séquence sur les productions complexes
12.Bilan et perspectives de développement professionnel
CONCLUSION
13.Bibliographie
14.Annexes