Nécessité d’adopter une loi pour mettre en œuvre la liberté d’association en Belgique
Malgré sa consécration constitutionnelle, la liberté d’association était en réalité un leurre en Belgique pendant le XIXe siècle principalement pour deux raisons. La première est que le Constituant ne s’est pas accordé sur la question de la capacité juridique des associations et a délaissé au pouvoir législatif le soin de légiférer à ce propos. Cette absence de personnalité juridique hors cadre légal pose de gros problèmes pour l’acquisition et la transmission des biens. L’absence de personnalité morale était notamment justifiée par la crainte de l’autorité de voir revenir la mainmorte, institution de l’Ancien Droit. Cette dernière permettait aux corporations d’acquérir des biens qui ne retournaient plus dans le circuit économique et ne donnaient plus lieu à perception de droit de mutation. Diverses solutions ont été proposées par la jurisprudence pour contourner le fait que l’association ne bénéficiait pas de la personnalité juridique. C’est le cas de la reconnaissance d’un contrat innommé entre les membres ou d’un mandat réciproque pour que les mandataires puissent acquérir pour l’association des biens qui deviendraient propriété collective des membres. Certaines lois ont ensuite été votées à la fin du XIXème et au début du XXème siècles pour garantir la personnalité juridique à certains types de groupements (loi du 23 juin 1894 pour les sociétés mutualistes, loi 31 mars 1898 pour les unions professionnelles, loi du 25 octobre 1919 pour les associations internationales poursuivant un but scientifique). Il y a aussi eu des interventions législatives ponctuelles pour accorder la personnalité juridique à certaines associations telles que la Croix-Rouge de Belgique ainsi que les Universités de Bruxelles et de Louvain. Le mouvement en faveur de l’octroi de la personnalité juridique des associations devient dans la foulée assez important et reçoit l’appui de nombreux juristes.
La deuxième raison est que le Code pénal français était toujours applicable en Belgique et punissait sévèrement les coalitions d’ouvriers. En 1866, le législateur a inséré un nouvel article 310 du Code pénal afin de limiter d’une manière substantielle le droit de grève.
Activités des ASBL autorisées par la loi 1921
Définition négative de l’ASBL
La loi de 1921 définit négativement l’association sans but lucratif à travers deux critères cumulatifs. Est alors ASBL au sens de la loi l’association 1° qui ne se livre pas à des opérations industrielles ou commerciales et 2° qui ne recherche pas à procurer à ses membres un gain matériel.
On retrouve à travers ces deux critères une double notion du but de lucre : d’une part, la notion subjective de but de lucre qui suppose que l’activité soit réalisée en vue d’obtenir un enrichissement personnel; d’autre part la notion objective de but de lucre qui vise une activité exercée en vue de dégager un excédent de recettes sur les charges.
L’interdiction de se livrer à des opérations industrielles et commerciales (but de lucre objectif)
La notion de commerçant: La première notion que nous allons aborder afin d’éclairer cette condition est celle de commerçant. Étaient commerçants en vertu de l’article 1er du Code de commerce « ceux qui exercent des actes qualifiés commerciaux par la loi et qui en font leur profession habituelle, soit à titre principal, soit à titre d’appoint ».
Il ressort de la définition donnée par le Code de Commerce qu’il faut une répétition d’actes pour que la personne qui les pose puisse être considérée comme commerçante.
La personne commerçante qui exerce son activité doit développer une certaine organisation. La doctrine donne des exemples où, faute d’organisation suffisante, la personne ne pourra pas acquérir la qualité de commerçant. C’est le cas par exemple pour la personne qui accomplit successivement des activités réputées commerciales d’espèces différentes. Vu qu’il n’y a pas de répétition d’opérations de même espèce ou même nature, il n’y a pas organisation et donc pas qualité de commerçant.
L’acte de commerce :Il convient de distinguer deux types d’actes de commerce : les actes de commerce par leur objet ou par leur cause visé aux articles 2, al.2 à 9, et 3 du Code de Commerce de 1807 et les actes de commerce par leur forme de l’article 2 al.10.
Les actes de commerce par leur objet ou leur nature sont réputés commerciaux par le Code de Commerce soit en raison du mobile qui les inspire, soit en raison de leur objet. L’acte commercial par son objet par excellence est l’achat de marchandises pour revendre.
Les actes de commerce par la forme sont commerciaux eu égard à la forme qu’ils revêtent. Il s’agit par exemple de la lettre de change.
Succès grandissant du phénomène associatif
Plus de 4000 ASBL voient le jour chaque année alors qu’un peu plus de 2000 disparaissent au cours de la même année. Les ASBL représentent également un poids économique important pour l’économie belge, étant donné que plus de 14% de l’emploi salarié du pays est constitué au sein des ASBL.
En plus des salariés, les ASBL accueillent de nombreux volontaires qui effectuent au sein des associations un travail non rémunéré.
Les raisons qui font que le phénomène associatif se développe sont diverses. Tout d’abord, comme l’avait prévu le législateur de 1921, le secteur associatif se développe dans un mouvement social au sens large. C’est la vision la plus noble de l’ASBL. Les citoyens s’associent dans un élan de solidarité afin de donner vie à des œuvres morales désintéressées.
Ces associations sont présentes dans des domaines très divers tels que les secteurs socioculturels, des soins de santé, de la petite enfance, de l’aide aux familles, des services sociaux, de l’aide à la jeunesse et de l’intégration des personnes handicapées.
Les écoles de l’enseignement libre sont également constituées sous forme d’ASBL et comptent de nombreux bénévoles. Un des arguments des opposants à la fusion des réseaux d’enseignement est que remplacer les bénévoles de l’enseignement par des fonctionnaires couterait très cher à l’État et à la Communauté française.
Il y a également une tendance à transformer de grandes ASBL en de plus petites. Ces changements se font soit pour éviter un passif financier important dû aux pertes d’une partie de l’association, soit en vue de capter des subventions publiques plus importantes.
Gardons aussi à l’esprit la question de la responsabilité. Celle-ci joue un rôle important dans le choix des fondateurs de constituer une ASBL. Ceux-ci sont en effet plus largement couverts que dans l’association de fait en cas de dommage.
Dernière raison, et c’est sans doute la moins noble, certaines sociétés profitent des facilités fiscales offertes aux ASBL pour constituer des « fausses ASBL » et distribuer des bénéfices à leurs associés en totale violation de la loi 1921.
Interprétation extensive de la condition d’absence de but de lucre subjectif de la loi de 1921
L’évolution de la notion d’avantage indirect
Soulignons, à titre liminaire, que la notion de bénéfice en droit belge a évolué, vu l’influence primordiale de la doctrine. D’après cette dernière, le bénéfice n’est plus uniquement un gain pécuniaire mais peut également être une économie, un avantage patrimonial indirect.
Cette vision des choses a été confirmée par le législateur de 1995 qui a défini à l’article 1832 du Code civil (devenu l’article 1er du Code des sociétés) le contrat de société comme celui conclu «dans le but de procurer aux associés un bénéfice patrimonial direct ou indirect».
Une doctrine minoritaire estimait qu’il fallait tenir compte de cette nouvelle définition du bénéfice pour interdire à l’ASBL de procurer à ses membres des avantages, même indirects. C’est le cas de M.M Van Ommeslaghe et Dieux qui considéraient que l’article 1er de la loi de 1921 a été violé si l’association a dispensé ses membres de certaines charges ou dépenses telles que des charges de formation professionnelle.
Mais cette conception n’est, fort heureusement pour le fonctionnement des ASBL, pas suivie par la doctrine majoritaire. Comme nous l’avons évoqué supra, selon les travaux préparatoires de la loi de 1921, seul l’enrichissement direct à travers la distribution de dividendes était proscrit par le législateur de 1921, alors que la recherche par les membres d’avantages indirects était permise.
Il convient donc, puisque c’était la définition en vigueur en 1921 lors des travaux préparatoires, de retenir la conception ancienne du bénéfice pour les ASBL. Ainsi, on pourra éviter que soient requalifiées en sociétés des associations qui ont pour objet de venir en aide à leurs membres, par exemple en leur octroyant des services communs ou en faisant la promotion de leurs produits .La possibilité d’octroi d’avantages indirects aux membres avait auparavant été confirmée par la Cour de Cassation dans un arrêt du 9 décembre 1940.
L’avantage indirect prendra la plupart du temps la forme d’une économie, d’une diminution de charge que les membres auraient dû supporter eux-mêmes s’ils n’avaient pas eu recours aux services de l’ASBL. Nous pouvons imaginer les exemples de promotion de produits d’une même région, les services juridiques ou fiscaux rendus aux membres ou encore l’organisation d’un service de garderie pour les enfants des membres.
Rappelons, qu’évidemment, les avantages directs résultant de distribution de dividendes sont proscrits, peu importe les circonstances et la forme qu’ils ont.
L’interdiction d’enrichir les tiers
Principe :L’ASBL ne peut pas en principe contribuer à l’enrichissement d’un tiers. Le tiers n’est pas membre de l’association et l’enrichir au moyen de dividende reviendrait à lui procurer un avantage direct en totale méconnaissance de l’article 1er de la loi de 1921.
Nuance :Mais il peut y avoir juste rémunération pour services rendus. Cette notion de juste rémunération sera examinée infra.
Par ailleurs, Michel Davagle est un auteur qui soutient, et je suis particulièrement sensible à cette manière de voir les choses, qu’une ASBL peut être constituée dans le but de venir en aide à des personnes dans des difficultés ou des situations particulières. On peut alors imaginer le cas d’une association dont l’objet social serait de prendre en charge les frais d’hôpitaux particulièrement onéreux d’enfants malades ou victimes d’accidents de la route. Dans de telles circonstances, l’auteur préconise d’inscrire le type de bénéficiaires dans les statuts.
|
Table des matières
1. Introduction
2. 1ère Partie. Le droit des groupements avant la loi de 1921
2.1 Méfiance du régime révolutionnaire français envers les corps intermédiaires
2.2 La consécration de la liberté d’association en droit belge
2.3 Nécessité d’adopter une loi pour mettre en œuvre la liberté d’association en Belgique
3. 2ème partie. Le phénomène associatif sous la loi du 27 juin 1921
3.1 Adoption et réception de la loi de 1921
3.1.1 Parcours législatif
3.1.2 Réception de la loi
3.2 Champ d’application de la loi
3.2.1 Régime facultatif
3.2.2 Associations exclues
3.3 Activités des ASBL autorisées par la loi 1921
3.3.1 Définition négative de l’ASBL
3.3.2 L’interdiction de procurer aux membres un gain matériel ( but de lucre subjectif)
3.3.2.1.1 Avantage patrimonial direct
3.3.2.1.2 Avantage indirect
3.3.2.2 Distinction entre association à titre gratuit et association à titre onéreux
3.3.2.2.1 Association à titre gratuit et intention libérale
3.3.2.2.2 Association à titre onéreux et enrichissement indirect
3.3.3 L’interdiction de se livrer à des opérations industrielles et commerciales (but de lucre objectif)
3.3.3.1 La notion de commerçant
3.3.3.2 L’acte de commerce
3.3.3.3 Interdiction
3.3.3.4 Inapplicabilité de l’interdiction aux activités accessoires
3.3.3.5 Conséquence de l’interdiction : l’ASBL ne peut pas être considérée comme commerçante
3.3.4 Restrictions de certaines activités liées au patrimoine de l’ASBL
3.3.4.1 Limitation du droit de posséder des biens immobiliers
3.3.4.1.1 Ratio legis
3.3.4.1.2 Principe
3.3.4.1.3 Sanction
3.3.4.2 Limitation dans la réception de libéralités
4. 3ème Partie. Les évolutions relatives aux activités de l’ASBL au XXe siècle
4.1 Succès grandissant du phénomène associatif .
4.2 Interprétation extensive de la condition d’absence de but de lucre subjectif de la loi de 1921
4.2.1 L’évolution de la notion d’avantage indirect
4.2.2 L’interdiction d’enrichir les tiers
4.2.2.1 Principe
4.2.2.2 Nuance
4.2.3 Recherche d’un certain profil de l’ASBL pour elle-même
4.2.4 Question de la juste rémunération
4.2.4.1 Travail effectif
4.2.4.2 Conséquence de la rémunération excessive
4.3 L’assouplissement de la condition d’absence de but de lucre commercial
4.3.1 Maintien de l’interdiction d’effectuer des opérations industrielles et commerciales à titre principal
4.3.2 L’activité accessoire
4.3.2.1 Position du problème
4.3.2.2 Thèse restrictive
4.3.2.3 Thèse littérale
4.3.2.4 Thèse téléologique
4.3.2.5 Arrêt Cour de Cassation du 29 avril 1996
4.4 Sanction pour les ASBL qui violent l’article 1er de la loi de 1921
4.4.1 Dissolution judiciaire de l’association
4.4.2 Nullité de l’acte incriminé
4.5 L’abandon de certaines restrictions liées au patrimoine
4.5.1 Suppression de l’interdiction de posséder des biens immeubles
4.5.2 Evolution du régime juridique sur la réception de libéralités
4.6 Autres activités parfois nécessaires au financement des ASBL
4.6.1 Placements
4.6.2 Emprunts obligataires
4.6.3 Droit des marques et propriété intellectuelle
4.6.4 Bail commercial
4.7 Inquiétudes liées au succès grandissant des ASBL
4.7.1 Problèmes liés à leur activité économique de plus en plus importante
4.7.1.1 Question de la soumission des ASBL au droit de la concurrence
4.7.1.2 Aspect fiscal
4.7.1.3 Droit de l’insolvabilité
5. 4ème Partie. Le régime juridique contemporain pour les ASBL
5.1 Nouvelle définition de l’ASBL
5.1.1 Abandon du critère de l’interdiction des opérations industrielles et commerciales
5.1.2 Interdiction de distribuer un avantage patrimonial direct
5.2 Droit de la responsabilité
5.3 Conséquences fiscales de l’adoption du CSA
6. Conclusion
Télécharger le rapport complet