Role des différents facteurs sur l’HbA1C
MÉTHODE
Population
Nous avons réalisé une étude monocentrique prospective observationnelle portant sur les patients suivis pour diabète à l’hôpital privé de Trappes.
Les patients se voyaient proposer la participation à cette étude. S’ils acceptaient, ils étaient inclus à partir du moment où ils remplissaient les questionnaires comportent l’AAQ2 (questionnaire d’acceptation et d’action) et l’EQ-5D-3L (questionnaire de qualité de vie).
Pour plus de faisabilité et pour éviter un biais d’opérateur, les questionnaires ont été remplis avec leur médecin endocrinologue lors d’une consultation individuelle, ce dernier étant coordinateur de l’équipe d’ETP Diabète sur l’hôpital de Trappes. Lors de cette consultation étaient recueillies leurs informations personnelles comportant l’âge, le sexe, le type et la durée du diabète, le type de traitement antidiabétique (insuline en stylo, pompe à insuline, anti diabétiques oraux, antidiabétiques oraux et insuline), l’existence de complications, l’HbA1C du moment, l’IMC, le cursus scolaire (aucun, primaire, équivalent brevet des collèges, baccalauréat, études supérieures) et l’activité professionnelle (en activité, retraité, en recherche d’emploi, en invalidité, étudiant, sans emploi ni recherche d’emploi).
Les critères d’inclusion étaient : Être diabétique de type 1 ou de type 2, avoir plus de 18 ans, être consentant à remplir les questionnaires.
Les critères d’exclusion étaient de ne pas comprendre le français (niveau B1 de la classification européenne requis), n’avoir participé à aucun groupe d’ETP diabète.
La période d’inclusion s’étendait de novembre 2015 à février 2016.
Intervention
Dans le cadre de leur suivi avec leur endocrinologue, les patients avaient accès aux ateliers d’ETP (éducation thérapeutique du patient) tout au long de l’année, de façon libre et gratuite, sans obligation d’inscription.
Les patients inclus dans l’étude n’étaient pas davantage encouragés à participer aux ateliers d’ETP par rapport aux autres patients non inclus. En effet, l’objectif était de sélectionner les patients motivés à partir de leur participation aux ateliers de groupe en ETP.
De novembre 2015 à décembre 2016, les ateliers mis à disposition étaient de 101 séances d’ETP hors gestion du stress et de 15 séances d’ETP sur la gestion des émotions par l’ACT. Les différents sujets des séances d’ETP sont relatés dans l’Annexe 1.
L’intervention étudiée constituait la participation à au moins une séance d’ETP sur la gestion des émotions par l’ACT.
Groupes de comparaison
Deux groupes étaient comparés. Le groupe étudié était composé des patients ayant participé à au moins un atelier d’ETP dont au moins un atelier sur la gestion des émotions par l’ACT (« groupe ACT »). Le groupe témoin était composé des patients ayant participé à au moins un atelier d’ETP, mais aucun sur la gestion des émotions par l’ACT (« groupe contrôle »).
Critères de jugement
Lors d’une consultation individuelle un an après l’inclusion, les patients remplissaient à nouveau avec leur endocrinologue les questionnaires AAQ2 sur la gestion des émotions et EQ-5D-3L sur la qualité de vie, et l’HbA1C du moment était recueillie.
Le critère de jugement principal était l’équilibre du diabète, évalué par le taux d’HbA1C.
Les critères de jugement secondaire étaient l’impact des émotions sur le patient et la qualité de vie.
La gestion des émotions était mesurée à l’aide du questionnaire AAQ2 (questionnaire d’acceptation et d’action), questionnaire validé dans l’ACT qui donnait un score sur la gestion des émotions du patient. Ce questionnaire présentait de bonnes propriétés psychométriques avec une bonne consistance interne (alpha de Cronbach : 0.76-0.82). Sa validité concourante comme sa validité de construit semblaient solides. Le questionnaire français était fiable dans une évaluation en test-retest. La structure factorielle à un facteur de la version francophone de l’AAQ2 était la même que celle de la version originale (36).
L’AAQ2 avait initialement 10 items, mais après l’analyse psychométrique finale, il fut réduit à 7 items (alpha : 0.78-0.88 pour la version anglophone) (37). Le score global pouvait s’étendre de 7 (bonne gestion des émotions) à 49 (mauvaise gestion des émotions).
La qualité de vie était mesuré à l’aide du questionnaire EQ-5D-3L, qui était une échelle de qualité de vie standardisée, développée dans les années 1990 par un groupe européen l’EuroQol group. Il était validé dans un grand nombre de pays, dont la France, avec plus de 170 versions linguistiques. D’abord conçu pour être complémentaire à d’autres mesures de la qualité de vie liée à la santé, il était finalement de plus en plus utilisé comme un instrument indépendant (38).
Ce questionnaire évaluait la qualité de vie au travers de 5 dimensions (mobilité, auto soin, activités de la vie quotidienne, douleur, anxiété/dépression) avec trois niveaux de réponse, donnant un score de 1 (pas de problème), 2 (problème modéré), ou 3 (problème extrême), et ce pour chaque dimension. Le score global pouvait donc s’étendre de 5 (bonne qualité de vie) à 15 (mauvaise qualité de vie).
L’équilibre du diabète était mesuré à l’aide de l’HbA1C. Le taux d’HbA1C est corrélé au taux moyen de glycémie et dépend de la durée pendant laquelle l’HbA est exposée à ce taux de glucose. Cette durée dépend de la durée de vie moyenne des globules rouges qui est d’environ trois mois mais avec une décroissance non linéaire : l’HbA1C reflète surtout la glycémie des deux derniers mois (9).
Mesures
L’HbA1C était comparée en début et fin d’étude entre les deux groupes par un test de Student.
Etait également comparé le nombre de patients dans chaque groupe étant dans leurs objectifs d’HbA1C définis par leur médecin référent, au début et à la fin de l’étude, par test de Fisher.
L’HbA1C était évaluée en fonction des différents facteurs associés par une régression linéaire multiple.
L’impact des émotions sur le patient était évalué avec l’AAQ2 et la qualité de vie était évaluée avec l’EQ-5D-3L.
Les scores globaux de l’AAQ2 et de l’EQ-5D-3L étaient comparées en début et fin d’étude entre les deux groupes, par un test de Student.
Si les conditions d’application du test de Student n’étaient pas remplies, une correction de Welch était utilisée en cas de variances inégales des deux groupes à comparer, et un test des rangs de Wilcoxon était utilisé dans le cas où les deux groupes à comparer n’étaient pas distribués selon une loi normale.
RÉSULTATS
Description de la population étudiée
167 patients étaient inclus dans l’étude après avoir rempli les questionnaires AAQ2 et EQ-5D-3L.
79 patients furent exclus de l’étude car ils n’avaient participé à aucun atelier proposé.
Les caractéristiques de la population étudiée sont présentées dans le tableau I et les figures 1, 2, 3, 4 et 5.
DISCUSSION
Interprétation des résultats et hypothèses explicatives
Dans notre étude, les patients ayant participé à l’ACT présentent une diminution significative de l’HbA1C finale ainsi qu’une augmentation de la fréquence d’HbA1C dans l’objectif préconisé par le médecin référent, suggérant ainsi un apport positif de l’ACT dans la régulation de l’équilibre glycémique. Les patients ayant participé à l’ACT présentent également une amélioration de la gestion des émotions, mais pas nécessairement de la qualité de vie.
Par ailleurs, l’ACT était pratiquée par des patients ayant des scores initiaux plus élevés aux questionnaires d’AAQ2 et d’EQ-5D-3L, indiquant une moins bonne gestion des émotions et une moins bonne qualité de vie chez ces patients avant l’intervention, que chez les patients n’ayant pas pratiqué l’ACT.
Cela peut s’expliquer par le fait que les patients avec une moins bonne gestion des émotions et une moins bonne qualité de vie perçoivent davantage un besoin de participer à des ateliers axés sur la gestion du stress, et que les patients n’ayant pas participé aux ateliers d’ACT n’en avaient pas besoin – ou n’en ressentaient pas le besoin.
Il était surprenant de ne retrouver aucun rôle des différents facteurs sur l’HbA1C initiale, alors que de nombreuses études montrent que de nombreux facteurs pouvaient influencer l’équilibre glycémique, comme le type de diabète, le traitement antidiabétique, et le niveau socioéconomique. Une étude tunisienne en 2016 montrait que l’HbA1C était plus basse avec un diabète de type 2, un traitement par antidiabétiques oraux, et un niveau socio-économique moyen ou bon (39). Cependant, les patients de la présente étude ont été recrutés en fonction de leur présence à l’éducation thérapeutique collective, ce qui suggère une population particulière, notamment dans son organisation pour venir aux ateliers et dans sa motivation, elle-même probablement corrélée au degré de sévérité du diabète.
Le chômage, le traitement par insuline seule et l’IMC avaient un rôle sur l’HbA1C après l’intervention.
Alors que les facteurs « scolarité » et « existence de complications liées au diabète » n’avaient pas de rôle significatif sur l’HbA1C, ils étaient interdépendants avec les autres facteurs. Il est probable que le niveau d’étude soit corrélé au chômage, et que les complications liées au diabète aient un impact sur le traitement, ou qu’elles soient corrélées à l’IMC.
Limite de l’étude
Le critère de jugement principal, l’équilibre glycémique, était évalué par la mesure de l’HbA1C, qui présente une variabilité biologique, analytique et clinique. En effet, un raccourcissement de la durée de vie des globules rouges (anémie hémolytique, hypersplénisme, saignement chronique ou aigu, etc.) entraîne une baisse de l’HbA1C (remplacement par des réticulocytes «vierges» de contact avec le glucose). Dans l’urémie, la formation d’hémoglobine carbamylée peut interférer avec le dosage de l’HbA1C : selon certaines méthodes, l’hémoglobine carbamylée peut être reconnue à tort comme de l’HbA1C (HbA1C faussement élevée). Certaines hémoglobinopathies (drépanocytaire, falciforme, thalassémies …) rendent impossible l’utilisation de l’HbA1C quelle que soit la méthode utilisée (résultats soit faussement bas, soit faussement élevés). L’HBA1C présente également une variabilité au niveau intra-individuel et inter-individuel, ainsi qu’une variabilité clinique. L’étude DCCT montrait que, à taux égal, les diabétiques du groupe traité intensivement avaient moins de risque de progression de rétinopathie que ceux du groupe traité conventionnellement et faisait l’hypothèse de la contribution respective des glycémies postprandiales et de la glycémie à jeun sur l’HbA1C lors de complications diabétiques (9).
De plus, la pertinence d’utiliser l’HbA1C pour évaluer l’équilibre glycémique peut être critiquée, puisque son intérêt est remis en cause devant des divergences et manques de corrélation entre ce critère intermédiaire et la réduction de la morbi-mortalité cardiovasculaire. Par exemple, l’essai de non infériorité EMPA-REG9 (comparant l’empagliflozine, un inhibiteur de la SGLT2, au placebo) conclut à une réduction de la mortalité cardiovasculaire et de la mortalité totale à 3 ans, réduction de la mortalité qui n’est pas attribuable à la différence modeste d’HbA1C observée entre les groupes (46,47).
Malgré ces limites, ce marqueur a été utilisé devant son utilisation en routine lui donnant un caractère pratique, et surtout pour permettre la comparaison de cette étude aux autres études sur le diabète, souvent évaluées au moyen de l’HbA1C. (48,20).
L’évaluation de l’ACT était faite sur l’ACT en atelier de groupe et non en individuel, car la faisabilité de l’étude observationnelle n’était possible que dans ce contexte. Malgré certains avantages du groupe (partage d’expérience, possibilité de participer sans s’exprimer), les ateliers de groupe avaient leurs limites, car le patient s’impliquait parfois moins qu’en individuel et certaines souffrances touchant à l’intimité du patient n’étaient pas abordées, laissant le soin au patient de pratiquer l’ACT sur ces domaines en privé avec les outils reçus en groupe.
Un critère de jugement secondaire était l’évaluation de la gestion des émotions par le questionnaire AAQ2, qui présentait des limites lorsque le patient était en situation d’évitement, et le second score du questionnaire AAQ2 était moins bon car le patient prenait conscience de certaines choses qu’il « niait » auparavant. Par exemple, un patient restait toujours chez lui à cause d’une phobie et ne pensait pas souffrir de son comportement puisqu’il ne rencontrait pas l’objet de sa phobie. Plus tard, il prit conscience que s’enfermer chez lui l’empêchait de faire certaines choses qui lui tenaient à coeur. Cela paraissait comme un progrès, mais donnait un score plus mauvais sur le questionnaire.
Un autre critère de jugement secondaire était l’évaluation de la qualité de vie par le questionnaire EQ-5D-3L. L’échelle analogique visuelle qui peut aussi faire partie de l’EQ-5D-3L n’a pas été inclue dans cette analyse, de la même façon que pour de nombreuses études évaluant la qualité de vie liée à la santé, dans le diabète, la douleur chronique, par exemple (49, 50). Cette décision fut prise pour limiter le temps imparti à répondre aux questionnaires, qui était un temps pris sur la consultation individuelle spécialisée du patient avec son endocrinologue.
Notre étude était observationnelle, sur un suivi de cohorte, lui conférant ainsi un plus faible niveau de preuve. L’investigateur de cette étude n’avait pas eu la possibilité de mettre en place une étude interventionnelle, n’ayant pas l’accord de l’équipe d’ETP qui pratiquait l’ACT dans le diabète. Egalement, cette étude manquait de puissance, car elle est de petite envergure, avec un suivi sur un an, et un petit nombre de patients (88 patients inclus). L’aspect non interventionnel de l’étude occasionnait une inhomogénéité dans les deux groupes, tant en nombre qu’en résultats de questionnaires initiaux.
Enfin, l’étude était monocentrique et basée sur la ville de Trappes, limitant sa représentativité sur le reste de la population générale, et l’échantillon sélectionné comportait des limites pour représenter la population de la ville de Trappes. En effet, l’inclusion était réalisée au cours d’une consultation spécialisée avec l’endocrinologue, coordinateur de l’équipe d’ETP Diabète-Obésité. Cette consultation était nécessaire pour tout patient participant à l’ETP car c’était lors de celle-ci que le médecin établissait un diagnostic éducatif. Néanmoins, la nécessité de cette consultation spécialisée engendrait un biais de sélection. D’autres études montrent que les patients diabétiques qui consultaient un diabétologue étaient davantage des femmes, et des personnes de niveau socio-économique plus favorable (43).
Autres études sur l’ACT dans le diabète
Peu d’études ont actuellement été réalisées sur l’apport de l’ACT sur la régulation glycémique dans le diabète.
L’étude de Gregg en 2007 à San José, USA (44), était une étude interventionnelle randomisée de 81 patients diabétiques de type 2 montrant que l’association de l’ACT à l’éducation du patient engendrait une amélioration de la gestion autonome du diabète et des taux de glycémie chez les patients de bas statut socio-éducatif souffrant d’un diabète de type 2. La pratique de l’ACT dans cette étude était axée sur les pensées et sensations spécifiquement liées au diabète. Cette étude avait l’avantage de montrer l’impact de l’ACT sur une courte durée de pratique (1 jour) mais le critère de contrôle du diabète était d’avoir une HbA1C inférieure à 7%, objectif retiré des recommandations depuis 2013 en France devant un risque plus important de survenue d’hypoglycémies.
L’étude de Shayeghian en 2016 à Teheran, Iran (45), était une étude interventionnelle randomisée de 106 patients suggérant que les stratégies d’adaptation avaient un rôle dans l’impact de l’ACT sur l’autogestion du diabète de type 2. La pratique de l’ACT dans cette étude était également axée sur les pensées et sensations spécifiquement liées au diabète. Le groupe pratiquant l’ACT (10 séances) avait une HbA1C plus basse, de meilleures activités d’auto-soin et de meilleurs scores d’acceptation que le groupe contrôle, et ce trois mois après la thérapie. Cette étude montrait que les stratégies d’adaptation avaient un rôle dans les effets de l’ACT de groupe sur les activités d’auto-soin. Cette étude présentait des résultats identiques à ceux de Gregg en 2007 en ce qui concernait l’impact de l’ACT (axé sur les pensées et sensations liées au diabète) sur l’HbA1C, se basant plutôt sur la moyenne de l’HbA1C dans chaque groupe et non sur le nombre de patients de chaque groupe ayant une HbA1C inférieure à 7%. Cependant, l’HbA1C était considérée comme critère de jugement principal alors que le but de l’étude était de montrer l’association des stratégies d’adaptation à l’ACT.
Intérêt clinique
Cette étude suggère l’intérêt de la prise en compte de l’aspect psychologique dans le cadre du diabète et l’utilité de certaines psychothérapies dans le traitement du diabète, notamment la Thérapie d’Acceptation et d’Engagement qui est un outil d’utilisation facile, praticable tant en consultation individuelle qu’en ateliers de groupe. Le résultat principal suggérant une amélioration de l’équilibre glycémique par l’ACT met à l’aise le soignant pour stimuler le patient à travailler l’aspect psychologique pour améliorer son diabète.
Elle fait également part de l’intérêt clinique des questionnaires utilisés dans la consultation pour le diabète.
Le questionnaire AAQ2 comme outil de travail du médecin dans sa relation avec le patient, permet de percevoir rapidement les axes de travail, s’il y a lieu de travailler sur le plan psychologique et si c’est possible ou au-delà des compétences d’un médecin non psychiatre.
Le questionnaire EQ-5D-3L permet de déterminer rapidement s’il y a lieu de travailler sur l’équilibre glycémique, ou bien si d’autres enjeux sont plus urgents (notamment avec l’item « douleur et gêne »).
Cette étude pilote suggère fortement que l’ACT de groupe dans la gestion des émotions améliore l’équilibre glycémique des patients diabétiques et pourrait être utilisée en pratique clinique. Nos résultats plaident en faveur de la réalisation d’études randomisées multicentriques visant à les confirmer.
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Table des matières
LISTE DES ABREVIATIONS
RESUME
INTRODUCTION
MÉTHODES
RÉSULTATS
1. Description de la population étudiée
2. Comparaison de l’HbA1C
3. Comparaison du nombre de patients avec l’HbA1C dans l’objectif préconisé par le médecin référent
4. Comparaison de l’AAQ2
5. Comparaison de l’EQ-5D-3L
6. Role des différents facteurs sur l’HbA1C
6.1. Avant l’intervention
6.2. Après l’intervention
DISCUSSION ET CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
LISTE DES FIGURES
LISTE DES TABLEAUX
TABLE DES MATIERES
ANNEXES
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