La « préhension » du latin prehensio, lui-même dérivé de prehendere, se définit comme l’action de prendre ou de saisir un objet à l’aide d’un organe. Selon les espèces, plusieurs organes comme la bouche, la langue, le bec, le pied, la queue ou la trompe peuvent être impliqués dans la saisie de proie, d’outil, de progéniture, de parasite dans l’épouillage ou encore de support pour se déplacer (Iwaniuk & Whishaw, 2000; Schwenk, 2000). La préhension intervient donc dans des activités diverses de prise de nourriture, d’interaction sociale ou de locomotion et constitue ainsi une fonction essentielle dans le quotidien des espèces et leur survie. Cette étude se focalise essentiellement sur la préhension de nourriture avec le membre supérieur, en l’occurrence la main, chez les primates.
La main préhensile des primates actuels à la fois engagée dans la locomotion et la manipulation représente un véritable compromis évolutif. Seule la main humaine a perdu sa fonction locomotrice depuis l’émergence de la bipédie permanente. Dès les premiers primates, les espèces possèdent déjà des capacités préhensiles impliquées dans la locomotion, mais les causes de l’émergence de ces capacités restent mal connues (Wood Jones, 1916; Le Gros Clark, 1934; Cartmill, 1972, 1974a, b, 1992; Rasmussen, 1990; Sussman, 1991). L’hypothèse la plus répandue et la plus ancienne suggère que les mains préhensiles, faisant partie des principaux caractères du morphotype primate (au même titre que les pieds préhensiles, le rapprochement des yeux dans le plan frontal et la vision stéréoscopique, l’accroissement du cerveau et la présence d’ongles à la place de griffes) seraient liés à des adaptations à la vie arboricole (Darwin, 1871; Smith, 1913; Wood Jones, 1916; Le Gros Clark, 1934, 1959).
Cependant Cartmill (1972, 1974a, b) montre que l’arboricolie ne peut expliquer à elle seule l’émergence de ces adaptations. Il relève en effet de nombreux contre-exemples chez des espèces non-primates parfaitement arboricoles mais n’ayant pas évolué vers des adaptations primates. D’après lui, le développement des extrémités préhensiles caractéristiques des primates (longs doigts, pouce opposable, ongles) pourrait constituer une adaptation au milieu arboricole certes, mais plus spécifiquement au milieu de fines branches. Les extrémités auraient ainsi accru leurs forces préhensiles et développé de longs doigts et des ongles en s’enroulant entièrement autour de la branche. De plus, la vision stéréoscopique, autre caractère spécifique aux primates, pourrait, selon l’auteur, s’expliquer davantage par un comportement de prédation visuelle plutôt que par une simple adaptation au milieu arboricole. Il s’inspire des prédateurs non-primates tels que les félidés ou les rapaces possédant une excellente vision stéréoscopique leur permettant de mieux appréhender leur proie. Enfin, la combinaison du comportement de prédation associé au milieu de fines branches pourraient selon lui rassembler un ensemble de facteurs à l’origine du morphotype primate. En effet, la saisie de fines branches par les pieds constituant un facteur de stabilité et libérant ainsi les mains pour la capture de proies repérées au préalable à l’aide de la vision, expliquerait les principaux traits primates: à la fois la vision stéréoscopique, le développement des capacités préhensiles et le remplacement des griffes, devenues gênantes dans la saisie de branches fines et de capture de proies avec la main, par des ongles (Cartmill, 1972). Sur la base de cette hypothèse, soit le milieu de fines branches (Hamrick, 1998, 1999, 2001; Lemelin, 1999, 2000; Schmitt & Lemelin, 2002), soit la prédation (Godinot, 1991, 2007) sont privilégiés l’une par rapport à l’autre pour expliquer l’émergence du morphotype primate. Ces deux tendances considèrent aussi bien l’adaptation à la prédation que l’adaptation au milieu de fines branches comme faisant partie des conditions de l’émergence des primates, mais dans les deux cas l’une apparait secondaire par rapport à l’autre.
Un autre auteur, Sussman (1991) remet l’hypothèse de Cartmill (1972) en question sur la base du constat que tous les primates ne sont pas omnivores ou insectivores alors que tous sont frugivores. Il propose donc une coévolution entre l’émergence des premières angiospermes modernes (plantes à fleurs et à fruits) et celle des premiers primates. L’exploitation des fruits et des fleurs impliquant de se déplacer sur des fines branches terminales pour aller les consommer, et non la prédation visuelle, aurait favorisé l’apparition des caractéristiques proprement primates.
Finalement, Rasmussen (1990) concilie ces trois hypothèses majeures sur l’origine des primates (arboricolie, prédation et frugivorie-folivorie) en s’inspirant du vivant et particulièrement d’un marsupial arboricole (Caluromys derbianus) de petite taille similaire à celle des premiers primates. Sur la base de ce modèle, il propose un « premier primate » adapté à la vie arboricole de fines branches, doté d’un régime alimentaire varié impliquant à la fois la capture de proies avec les mains comme la consommation de fruits et de fleurs. Cette plasticité aurait été un facteur déterminant pour le développement de ces espèces.
Parallèlement aux hypothèses articulées autour de l’arboricolie, de la prédation et de la frugivorie-folivorie, d’autres sont discutées comme celle de Szalay & Dagosto (Szalay & Dagosto, 1980; Dagosto, 1988). Sur la base de caractères morphologiques de fossiles et d’actuels (e.g. ongles, pieds hypertrophiés comparés aux mains, pouce opposable du pied puissant, anatomie pelvienne et du membre inférieur), les auteurs proposent une adaptation aux sauts « explosifs » et arboricoles combinés avec la capacité de saisir des branches fines lors du grimper et de l’atterrissage (« grasp-leaping »).
Les causes de l’émergence des caractères primates sont encore largement débattues (Crompton, 1995; Ross & Martin, 2007; Ravosa & Dagosto, 2007). Il est ainsi suggéré que ces caractères ont pu apparaître successivement. La fonction préhensile de la main est alors souvent proposée comme se développant tardivement ou dans un second temps, bien après le pied préhenseur et l’adaptation locomotrice arboricole (Cartmill, 1972, 1974a, 1992; Szalay & Dagosto, 1988; Gebo, 2004; Sargis et al., 2007). En outre, la main est généralement circonscrite aux activités locomotrices (e.g. atterrissage, grimper de fines branches). De plus, l’hypothèse de la prédation visuelle (Cartmill, 1972, 1974a, b), fait davantage référence à la convergence oculaire favorisant une vision en trois dimensions ou la perte des griffes pour des ongles. Selon l’auteur, l’émergence des mains préhensiles serait originellement liée à la locomotion sur fines branches (rappelé dans Kirk et al., 2003) qu’à une réelle implication de la main dans la capture de proies.
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Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
CHAPITRE 1 ‐ PRISE ET MANIPULATION DE NOURRITURE CHEZ MICROCEBUS MURINUS (PROSIMII, CHEIROGALEIDAE)
Abstract
Introduction
Material and Methods
Results
Discussion
CHAPITRE 2 ‐ POSTURE DE LA MAIN DU MICROCEBUS MURINUS AU COURS DE LA LOCOMOTION ARBORICOLE SUR FINES BRANCHES
Abstract
Introduction
Material and Methods
Results
Discussion
CHAPITRE 3 ‐ ACQUISITION DE NOURRITURE SUR SUBSTRATS ARBORICOLES CHEZ MICROCEBUS MURINUS
Abstract
Introduction
Material and Methods
Results
Discussion
CONCLUSION GENERALE
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