INTRODUCTION
Malgré un traitement multimodal intensif, les enfants atteints de tumeurs solides récidivantes ou réfractaires ont un pronostic variable selon l’histologie, la possibilité de résection et/ou de radiothérapie ainsi que la sensibilité à la chimiothérapie. Globalement, les enfants souffrant de rechute métastatique ont un pronostic sombre. A ce stade, la plupart des patients ont déjà reçu des doses cumulées de chimiothérapies conventionnelles plus ou moins élevées. Pour ces patients, le concept de la chimiothérapie métronomique – administration fréquente de chimiothérapie à faible dose sans interruption prolongée – est particulièrement prometteur. Le faible profil de toxicité est attractif pour ces patients et l’objectif est de moduler le microenvironnement pour obtenir un effet anti-tumoral soutenu :
– en diminuant la pression du liquide interstitiel dans l’environnement tumoral grâce à l’augmentation du transfert in situ du médicament dans les cellules tumorales.
– en ciblant l’angiogenèse tumorale grâce à son action sur les cellules endothéliales tumorales et sur les cellules endothéliales progénitrices circulantes induisant ainsi la dormance tumorale.
– en augmentant la réponse immunitaire anticancéreuse par la maturation des cellules dendritiques et en diminuant les lymphocytes T régulateurs.
– en agissant directement sur les cellules cancéreuses ou sur les cellules souches cancéreuses par une exposition continue à la chimiothérapie pendant le cycle cellulaire.
Plusieurs schémas de chimiothérapie métronomique ont été testés chez des adultes atteints de cancers réfractaires ou métastatiques. Les traitements à base de cyclophosphamide ont par exemple été utilisés dans le cancer du sein [3-4] fréquemment en association avec le méthotrexate et dans le cancer de la prostate. Des combinaisons avec le célécoxib ont également été testées dans le cancer du sein. Ces différents régimes de chimiothérapie métronomique entraînent une stabilisation prolongée de la maladie ou des réponses partielles. En oncologie pédiatrique, plusieurs études ont montré des stabilisations de la maladie et même des réponses, par exemple dans l’étude COMBAT, avec l’association du témozolomide, de l’étoposide, du célécoxib, de l’isotrétinoïne ou du fénofibrate et du cholécalciférol [6]. Dans d’autres études pédiatriques [7-8], des schémas comprenant le célécoxib oral, la thalidomide et des cycles alternés de 21 jours de cyclophosphamide à faible dose et d’étoposide ont été utilisés. Sur cette base, nous avons d’abord réalisé une étude pilote entre 2008 et 2010 [9], montrant la faisabilité d’un schéma métronomique à quatre médicaments dans les tumeurs pédiatriques réfractaires ou récurrentes avec des cycles de 8 semaines de chimiothérapie utilisant le célécoxib, la vinblastine, le cyclophosphamide en alternance avec le méthotrexate. Ces médicaments ont été choisis en raison de leurs effets anti-tumoraux évidents chez les adultes comme le méthotrexate à faible dose alternant avec le cyclophosphamide à faible dose [10] ou comme ayant des propriétés anti-angiogéniques ou immunostimulantes comme la vinblastine. Le célécoxib a été utilisé en raison de ses effets anti-angiogéniques et de son action de sensibilisation des tumeurs à la chimiothérapie [14],et il a déjà été utilisé dans plusieurs régimes de chimiothérapie métronomique en pédiatrie. Nous présentons ici les résultats de ce schéma métronomique à quatre médicaments chez les enfants atteints de tumeurs solides extra-cérébrales récidivantes ou réfractaires. Les résultats pour les tumeurs du système nerveux central ont été rapportés séparément.
TRAITEMENT
Le traitement consistait en des cycles de chimiothérapie métronomique d’une durée de 6 semaines, suivis de 2 semaines de repos, pour un total de 56 jours. Le traitement comprenait du célécoxib oral en 2 prises par jour en continu pendant 56 jours (pas d’arrêt de traitement ), de la vinblastine intraveineuse hebdomadaire à la posologie de 3 mg/m2 (jour 1-8-15-22-29-36- 43), du cyclophosphamide oral à la posologie de 30 mg/m2 /jour pendant 3 semaines (jour 1 à 21) et du méthotrexate oral à raison de 10 mg/m2 deux fois par semaine pendant 3 semaines(jour 22-25-29-32-36-39-43) en alternance. Une durée de traitement d’au moins un an (6 cycles) était prévue et pouvait être poursuivie pendant une année supplémentaire en cas de bénéfice clinique (maladie stable ou réponse partielle). Le choix d’interrompre le traitement pouvait être fait en fonction de la progression de la tumeur, suite à la décision du médecin, selon le souhait des parents et/ou du patient ou en raison d’une toxicité inacceptable.
DEVENIR DES PATIENTS
Vingt-quatre sujets (54 %) ont terminé deux cycles de chimiothérapie métronomique sans signes cliniques de progression. Le nombre médian de cycles était de 2 (intervalle de 0,5 à 12). Vingt patients (46 %) ont abandonné le traitement avant la fin du deuxième cycle en raison d’une progression évidente. Le taux de bénéfice clinique après deux cycles de traitement était de 16 % (7/44 patients) avec 4 patients dans le groupe neuroblastome, 2 patients dans le groupe sarcome des tissus mous, aucun dans le groupe des tumeurs osseuses et 1 dans le groupe diverse tumeur maligne extra-crânienne (tableau 2). La survie-sans-progression à 1 an de l’ensemble de la cohorte était de 6,8 % et la survie globale à 1 an était de 55,3 %. Dans le groupe neuroblastome, 4 patients sur 18 évaluables (22 %) ont obtenu comme meilleure réponse une maladie stable. Les patients avaient déjà reçu 4, 2 ou 1 lignes de traitement antérieures pour une tumeur réfractaire ou récurrente (première ou deuxième rechute) (TABLEAU 1). Trois patients ont reçu 6 cycles de chimiothérapie métronomique et ont progressé à l’évaluation après le cycle 6. Pour le quatrième patient atteint de neuroblastome, le traitement a été interrompu par le médecin référent du patient après 6 mois de traitements (3 cycles). Quatorze patients (78 %) atteints de neuroblastome ont eu une progression de la maladie au cours des deux premiers cycles de chimiothérapie métronomique. Dans ce groupe de patients atteints de neuroblastome, la survie sans progression à un an était de 5,6 % et la survie globale à un an était de 55,6 %. (FIGURE 1) Parmi les 7 patients atteints de sarcomes des tissus mous, seulement 2 (29%) n’ont pas progressé après les deux premiers cycles de chimiothérapie métronomique. La survie sans progression à un an était de 14,3 % et la survie globale à un an était de 47,6 %. Huit patients (88,9 %) atteints de diverses tumeurs extra-crâniennes évalués ont progressé à l’évaluation après les deux premiers cycles de chimiothérapie métronomique, et un d’entre eux a présenté une maladie stable. Dans ce groupe, la survie sans progression à un an était de 11,1 % et la survie globale à un an était de 55,5 %. Les 10 patients atteints d’une tumeur osseuse (8 ostéosarcomes et 2 sarcomes d’Ewing) ont tous progressé après les deux premiers cycles de chimiothérapie métronomique. La survie sans progression à un an était de 0 % et la survie globale à un an était de 60 %.
CAS INDIVIDUELS
En ce qui concerne le groupe sarcome des tissus mous, deux patients ont eu une maladie stable prolongée. Le premier patient était une fillette de 8,5 ans atteinte d’un angiosarcome thoracique de haut grade avec métastases pulmonaires qui a progressé après 6 cycles de traitement. Après 2 cycles, la réponse a été mixte avec une évolution favorable pour toutes les lésions cibles mais avec l’apparition de nouvelles lésions. La deuxième patiente était une jeune fille de 17 ans atteinte d’un hémangioendothéliome épithélioïde du poignet gauche avec des métastases hépatiques, osseuses et pulmonaires au diagnostic. Auparavant, elle avait reçu une chimiothérapie de première intention avec de l’ifosfamide, de la vincristine, de l’actinomycine D et de la doxorubicine et elle avait rechuté 8 mois après la fin du traitement. Avec la chimiothérapie métronomique, la maladie de la patiente a été stabilisée pendant 12 cycles de traitement (2 ans) et elle est restée stable 10 mois après la fin du traitement. Après une nouvelle progression, elle a ensuite été traitée à nouveau avec le même régime de chimiothérapie métronomique, en dehors de l’étude cette fois-ci, et une maladie stable a été obtenue et a duré encore 1 an et demi. Après une nouvelle progression, 3 autres lignes de chimiothérapie ont été essayées sans succès et la patiente est décédée 5 mois après la fin du traitement par chimiothérapie métronomique. Le patient qui a bénéficié d’une maladie stable dans le groupe diverses tumeurs malignes extracrâniennes était un garçon de 6,5 ans avec un carcinome myoépithélial de la base du crâne. Il avait été traité précédemment avec 3 lignes de chimiothérapie sans aucune réponse. Il a bénéficié d’une excision subtotale de sa tumeur et d’une proton-thérapie. Le patient a présenté une rechute métastatique avec des localisations costale, vertébrale, iliaque et pulmonaire. Il a reçu 6 cycles de chimiothérapie métronomique (un an) avec une réponse métabolique modérée à la scintigraphie FDG-TEP et le patient a été retiré de l’étude à cause d’épisodes fébriles récurrents et de neutropénie. Finalement, la chimiothérapie métronomique a été reprise après une pause mais le patient a rechuté après 2 nouveaux cycles de chimiothérapie métronomique.
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Table des matières
I. INTRODUCTION
II. MÉTHODES
A. Population de l’étude
B. Traitement
C. Évaluation de la réponse
D. Événements indésirables
E. Considérations statistiques
III. RESULTATS
A. Devenir des patients
B. Toxicité
C. Cas individuels
IV. DISCUSSION
V. CONCLUSION
VI. ANNEXE
VII. ARTICLE EN ANGLAIS
VIII. REFERENCES
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