Flux énergétiques et échanges thermiques
Le régime thennique d’un système fluvial est géré par les différents modes de transfert d’énergie entre les composantes du système. L’énonne quantité de chaleur échangée entre la masse d’eau et son environnement se produit majoritairement à la surface de l’eau (Michel et Drouin, 1970; Ashton, 1986; Beltaos, 2013). Les mélanges verticaux sont provoqués par les écoulements turbulents. L’homogénéisation des températures dans la colonne d’eau est ainsi possible par les échanges verticaux de chaleur. Les échanges thermiques à la surface varient en fonction des flux de chaleur. Ces flux thermiques varient dans le temps et l’espace dépendamment des paramètres météorologiques (c.-à-d. température et humidité de l’air, vitesse du vent, pression atmosphérique, conditions d’ensoleillement et précipitations). Le rayonnement solaire de courtes longueurs d’onde constitue le facteur exogène prépondérant dans les transferts d’énergie pendant le jour. Plusieurs facteurs influencent l’intensité du rayonnement à différentes échell es spatio-temporelles (Ashton, 1986; BeItaos,2013) : (i) Les changements dans la distance entre le Soleil et la Terre (environ 3% du rayonnement dans l’ hémisphère nord) causés par l’orbite elliptique de cette dernière; (ii) l’angle d’ incidence du rayonnement qui altère l’intensité du rayonnement sur une surface plane. Les radiations atteignent la Terre avec l’angle d’incidence le plus élevé au solstice d’hiver; (iii) la présence de molécules dans l’atmosphère (p.ex. ozone, oxygène, dioxyde de carbone, vapeur d’eau) provoquant la diffusion, la réflexion et l’absorption des ondes. Lorsque le ciel est nuageux, une plus grande quantité de radiations sera atténuée; (iv) l’albédo qui varie selon la réflectivité du matériel présent dans le corridor fluvial et de l’angle d’incidence du soleil. La présence de neige et de glace dans le système fluvial augmente considérablement l’albédo, ce qui diminue considérablement la quantité d’énergie absorbée dans le système fluvial. Le rayonnement à ondes longues (c.-à-d. infrarouge thermique) van e selon l’émissivité du matériel et, particulièrement, la température de l’eau. Les radiations peuvent à la fois être émises vers l’atmosphère (p.ex. rayonnement du substrat de la rivière) et vers le sol, et ce même si la couverture nuageuse est absente. Le phénomène d’effet de serre assure la perpétuité des transferts de chaleurs à l’eau pendant la nuit en réduisant les pertes d’énergie du système dans l’atmosphère. La chaleur sensible influence également les transferts d’énergie dans le système. Ce mode d’échange de chaleur est causé par les mouvements de convection dans l’atmosphère. Par conséquent, les transferts de chaleur sensible varient en fonction de l’écart de températures entre la surface terrestre et l’air. Ce transfert d’énergie est ainsi dépendant des conditions météorologiques. Il influencera également les échanges thermiques à l’interface air-eau. Le transfert de chaleur latente à la masse d’eau provoqué par les changements de phase de l’eau (p.ex. évaporation, sublimation, condensation) n’est pas négligeable dans le budget thermique. Ce type de transfert est également dépendant des paramètres météorologiques.
Formation du couvert glaciel
Le couvert glaciel présent dans les environnements fluviaux nordiques se forme selon trois mécanismes distincts: (i) La formation statique se définit par le recouvrement progressif de la glace de rive vers le talweg. La progression latérale s’effectue selon deux processus, soit par la progression de la glace thermique vers le centre du chenal, soit par l’adhésion des particules de frasil aux bordures du chenal ouvert (Ashton, 1986; Dubé, 2009; Beltaos, 2013). La juxtaposition du frasil le long de la berge survient essentiellement dans des écoulements lents favorisant l’accumulation de cristaux transportés à la surface (figure l.2a). Ces deux processus de formation peuvent interagir ensemble formant généralement un couvert mince tôt dans la saison hivernale; (ii) la formation dynamique résulte de l’ action des forces hydrodynamiques et de l’évolution du frasil de rivière transporté en aval des zones de production. Lors de son transport, les agglomérats de frasil s’accroissent, s’agglomèrent et se condensent selon les conditions hydrauliques de l’écoulement jusqu’à atteindre des dimensions similaires à la largeur du chenal (Daly, 1994). L’obstruction complète à la surface du chenal survient dans les zones propices à l’accumulation (p.ex. méandres, constrictions, confluences, à l’amont d’obstacles) (figure 1.1 c). Ces embâcles de formation, généralement entremêlés de fragments de glace thermique à la dérive, forment des couverts plus épais dont la rugosité sous le couvert est plus élevée (Ashton, 1986) ; (iii) la mise en place du couvert issue de précipitations solides consiste à l’engorgement du chenal par la gadoue de neige. Ce type de mise en place survient généralement lorsque les précipitations sont substantielles et dans les environnements plutôt calmes (Michel et Drouin, 1970; Michel, 1971; Turcotte, Morse et Anctil, 2012). Le rétrécissement du chenal actif par la croissance latérale (c.-à-d. glace de rive, formation dynamique) peut également provoquer l’engorgement du chenal par l’apport en gadoue de frasil ou de neige provenant de l’amont (figure 1.2b). La figure 1.3 montre la formation du couvert glaciel en plusieurs étapes sur deux sites de la rivière Mitis. Les deux séquences illustrent l’interaction entre les trois mécanismes de formation décrits ci-dessus. En amont (PK36.9), l’ apport considérable en frasil, son adhésion aux berges et à la glace de rive ainsi que la croissance thermique de cette dernière dans les zones plus calmes provoquent une progression latérale rapide du couvert vers le talweg. L’amincissement des chenaux réduit la capacité d’évacuation de la glace, jusqu’à ce qu’ils se bouchent pour compléter la formation du couvert glaciel. En aval (PKI6.4), la croissance thermique de la glace de rive entremêlée à la formation dynamique du couvert le long des rives provoque l’amincissement du chenal principal jusqu’à ce que la gadoue de frasil et la glace dérivant à la surface le bloquent pour générer un embâcle de formation à l’amont. Les précipitations solides, l’apport de frasil sous le couvert ainsi que la croissance thermique complètera la formation du couvert par la suite.
INTERACTIONS ENTRE LES CONDITIONS HYDRAULIQUES, LA MORPHOLOGIE DU CHENAL ET LA DYNAMIQUE GLACIELLE
La dynamique fluviale est influencée par la dynamique glacielle pendant la saison hivernale (p.ex. Ahston, 1986; Prowse et ‘ Gridley, 1993; Allard, 2010; Allard, BuffinBélanger et Bergeron, 20 11 ; Dubé, 2009; Turcotte et al., 2011; Bergeron, Buffin-Bélanger et Dubé, 2011). Allard (2010) a conceptualisé la complexité des interactions entre les composantes de ces deux dynamiques dans un modèle (figure 1.6). Les liens étroits entre ces deux dynamiques sont affectés a priori par les conditions hydrométéorologiques. D’une part, les processus glaciels affectent directement les formes du lit (p.ex. érosion des berges, soulèvement, emprisonnement et transport des sédiments par les glaces) ou indirectement, par son influence sur les conditions hydrauliques locales. D’autre part, les conditions hydrauliques sont associées directement au transport sédimentaire et, par conséquent, au développement des formes du lit. La morphologie du lit affecte les conditions hydrauliques locales (p.ex. profondeur d’écoulement, rugosité, vitesse d’écoulement) et, indirectement, les processus glaciels (p.ex. formation, transport, accumulation de la glace et évolution des formes glacielles). Le modèle conceptuel illustre également une interaction entre les processus de cristallisation et le transport des sédiments. Cette interrelation nécessiterait toutefois davantage d’ approfondissement en milieu naturel selon l’auteure. Néanmoins, plusieurs auteurs ont associé la formation de cristaux de frasil à la diminution de la concentration en sédiments fins (p.ex. Altberg, 1936; Barnes, 1928;Kempema et al. , 1993). De plus, Sui, Wang et Kamey (2000) ont rapporté des concentrations maximales en sédiments contenues dans des barrages suspendus de 25,2 kg-m3, soit une concentration maximale plus élevée que celles enregistrées dans l’écoulement en dessous (7,0 kg-m\ Les auteurs ont également observé une concentration en sédiment plus élevée dans la couche supérieure de frasil. Cependant, la nature des sédiments n’ est pas spécifiée, donc la provenance (c.-à-d. processus de cristallisation, transport éolien, par radeaux ou en suspension) ne peut être confirmée. Malgré la limite des effets de la cristallisation sur le transport des sédiments, l’augmentation de la flottabilité par la glace permettrait un transport sur de plus grandes distances (Ashton, 1986). Le réseau d’interactions dans ce modèle suggère enfin que la variation d’une ou plusieurs composantes affectera, directement ou indirectement, l’entièreté de la dynamique fluvioglacielle. Les interrelations entre la structure de l’écoulement, le transport des glaces, les fonnes glacielles ainsi que leurs variations dans l’espace et dans le temps seront approfondies dans les prochaines sections.
Morphologie et configuration du chenal
La configuration et de la morphologie du chenal (p.ex. confluence, diffluence,profondeur, bancs d’accumulation, sinuosité) interagissent avec les processus glaciels. Le résultat de ces interactions entre le climat et les propriétés physiques de l’environnement définissent la dynamique fluvio-glacielle (Best, McNamara et Liberty, 2005). D’une part, les changements induits aux conditions hydrauliques en réponse à la présence de glace provoquent l’instabilité du chenal (Ettema et Kempema, 2012). Par exemple, les dynamiques de production, de transport et d’accumulation du frasil et des glaces de rivières ainsi que la mise en place, l’évolution et la destruction du couvert de glace influencent la morphologie du chenal par l’entremise du transport sédimentaire (Sui, Wang et Kamey, 2000; Turcotte et al., 2011). D’autre part, la morphologie du chenal et la granulométrie qui influencent la structure de l’écoulement affectent la dynamique du frasil (Oubé, 2009; Bergeron, Buffin-Bélanger et Dubé, 20 Il). La figure 1.7 illustre la relation entre la morphologie du chenal, le transport des sédiments et la dynamique glacielle. La séquence se fragmente en trois zones associées à des dynamiques de production, de transport et d’accumulation du frasil. Ces zones distinctes peuvent varier longitudinalement d’une échelle à l’autre ainsi qu’au cours de l’hiver en fonction de l’évolution de la dynamique fluvio-glacielle. La présence d’obstacles naturels ou artificiels peut également avoir un impact substantiel sur les composantes affectant les processus glaciels (Michel, 1971).La modification de la structure de l’écoulement, du transport sédimentaire, de la morphologie du lit et de la position du talweg induite par la présence de glace fluviale peut être considérable, et ce particulièrement, lorsque le couvert est statique et dans les rivières alluviales (Prowse et Gridley, 1993). La réduction des conditions hydrauliques engendrée par la présence du couvert diminue significativement la capacité de transport des particules grossières. L’érosion locale est néanmoins possible par la concentration de l’écoulement vers le lit provoquée par la glace fluviale . La présence de glace peut également réduire la sinuosité du talweg et diminuer la longueur d’onde du méandre (Prowse et Gridley, 1993; Dubé, 2009).
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Table des matières
REMERCIEMENTS
RÉSUMÉ
LISTE DES TABLEAUX
LISTE DES FIGURES
INTRODUCTION GÉNÉRALE
CHAPITRE 1 LE FRASIL DE RIVIÈRE: ÉTAT DES CONNAISSANCES, PROBLÉMATIQUE ET ÉTUDE DE CAS SUR LA RIVIÈRE MITIS, EST DU QUÉBEC
1.1 PROCESSUS DE FORMATION ET D’EVOLUTION DE LA GLACE FLUVIALE
1.1.1 Flux énergétiques et échanges thermiques
1.1.2 Cristallisation, formation et évolution des glaces fluviales
1.1.3 Formation, évolution et morphologie du couvert
1.2 INTERACTIONS ENTRE LES CONDITIONS HYDRAULIQUES, LA MORPHOLOGIE DU CHENAL ET LA DYNAMIQUE GLACIELLE
1.2.1 Couvert glaciel
1.2.2 Morphologie et configuration du chenal
1.2.3 Transport sous-glaciel et barrage suspendu
1.3 VARIATIONS SPATIO-TEM PORELLE DE LA DYNAMIQUE DE BARRAGES SUSPENDUS
1.3.1 Variations spatiales à l’échelle à petite échelle
1.3.2 Variations spatiale à l’échelle du tronçon
1.3.3 Variations intra-saisonnière
1.4 PROBLEMATIQUE ET OBJECTIFS DE RECHERCHE
1.4.1 Problématique
1.4.2 Obj ectifs de recherche
1.5 HVPOTHESES DE RECHERCHE ET PERTINENCE SCiENTIFIQUE
1.6 DESCRIPTION GENERALE DU SECTEUR A L’ETUDE
1.6.1 Contexte hydrométéorologique
1.6.2 Contexte hydrogéomorphologique
1.6.3 Description des sites d’études
1.7 CADRE METHODOLOGIQUE
1. 7.1 Granulométrie, segmentation morpho-dynam ique et morphologie du lit
1.7.2 Suivi du régime de frasil
1.7.3 Suivi de la dynamique de barrages suspendus
1.7.4 Stratégie d’analyse
CHAPITRE 2 ÉTUDE DE LA DYNAMIQUE DE BARRAGES SUSPENDUS DANS UNE TRANSITION FLUVIALE, RIVIÈRE MITIS, BAS-SAINTLAURENT
2.1 ABSTRACT
2.2 HANGING DAM DYNAMICS ALONG A FLUVIAL TRANSITION, EASTERN QUEBEC, QUEBEC (CANADA)
2.2.1 INTRODUCTION
2.2.2 MA TERIAL AND METHODS
2.2.3 RESULTS
2.2.4 DISCUSSION
2.2.5 CONCLUSION
CHAPITRE 3 CONCLUSION
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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