Définition et pratique de la gamification
Afin de définir ce qu’est la gamification, concept parfois francisé par “ludification”, il faut d’abord comprendre ce qu’est un jeu. Kapp (12, p.9) propose cette définition du jeu dans sa globalité, s’appliquant au jeu de société comme au jeu vidéo : « [le jeu est] un système défini par des règles, des interactions et des feedbacks, dans lequel des joueurs se soumettent à un défi abstrait résultant en un aboutissement quantifiable qui provoque souvent une réponse émotionnelle8. » Toujours, selon Kapp (12, p.10), la gamification peut se définir par l’inclusion des caractéristiques de game design9 mentionnées dans la définition précédente, des esthétiques et univers ludiques et vidéoludiques, le tout dans un contexte non-ludique. Les buts de la gamification sont les suivants : attirer des utilisateur-trice-s, inciter à une action, résoudre des problèmes et promouvoir un apprentissage. Si le concept inhérent à la gamification n’est pas neuf, il connaît aujourd’hui une grande popularité. Elle touche de plus en plus aux domaines de l’entreprise, de l’éducation et du web social (13, p.1). Cette situation n’est pas près de changer, le jeu vidéo étant profondément ancré dans la culture occidentale (12, pp.18-19).
Cependant, une autre raison importante est à la base d’un tel accroissement de la pratique et de la consommation : l’avènement des smartphones . Comme ces appareils offrent un accès instantané à tous types d’information – compte en banque, réseaux sociaux, contacts, e-mails, etc. – les mécaniques de jeu peuvent facilement s’insinuer dans la réalité de leurs détenteur-trice-s, d’autant plus que les applications mobiles et le web social ont offert une nouvelle façon de consommer et de jouer, dans laquelle la gamification s’inscrit naturellement (14, pp.7-8). Si mettre en place un système gamifié est une pratique en hausse, elle n’est pas toujours appliquée de manière optimale. La gamification est souvent critiquée à cause de l’une de ses représentations les plus négatives, l’acronyme PBL (points, badges, leaderboard). Il s’agit de greffer sur un système préexistant, sans définir d’objectif pédagogique ou marketing, les mécaniques de points et scores (Mécanique 30), de badges (Mécanique 31) et de classement des utilisateur-trice-s (Mécanique 7). L’intérêt et l’amusement suscités chez les joueur-euse-s10 ne résultent pas forcément de systèmes gamifiés conçus de cette manière.
Et pourtant comme le souligne Folmar (14, pp.11-12), si l’utilisateur-trice n’est ni intéressé-e ni amusé-e, le système gamifié est un échec. Il est important de créer un système dont la conception est basée sur des objectifs bénéfiques à ses utilisateurs cibles (15, p.7). D’un autre côté, si un tel processus est mis en place uniquement pour que les joueur-euse-s atteignent des objectifs pédagogiques fixés pour eux-elles, le système gamifié aura de grandes chances de rejoindre les échecs de dizaines de jeux éducatifs mal conçus (16, p.22-23). Le facteur d’amusement à donc autant d’importance que les objectifs fixés par le game designer, car il est au coeur de la motivation de l’utilisateur-trice. Les mécaniques regroupées sous l’acronyme PBL ne sont pas inutiles pour autant, il faut juste trouver le bon moyen de les intégrer dans le système et de les rendre efficaces (14, p.7). Nous verrons plus tard qu’elles peuvent se révéler extrêmement puissantes, mais qu’elles ne sont qu’une fraction d’une large palette de mécaniques liées à la gamification, et de manière plus générale au game design. En résumé, un système gamifié est constitué de mécaniques de game design et doit être conçu à la façon d’un-e game designer, avec les outils qu’il-elle emploie. Il faut chercher à satisfaire son public dès la base de la conception, en fixant des objectifs pédagogiques adaptés, le tout de manière créative et inspirée : « Le game design est un art, pas une science11. » (16, p.20)
Raisons de la gamification en bibliothèque
Avant d’aborder les principes primordiaux de la gamification et de définir ses mécaniques les plus pertinentes, penchons-nous sur les raisons du déploiement d’un tel processus en bibliothèque académique. Le jeu vidéo est ancré dans la culture occidentale, et outre les nombreuses références populaires qu’il a créées, il est également couramment pratiqué : pour ne prendre qu’un exemple, le célèbre MMORPG12 World Of Warcraft compte plus de 8 millions de joueurs à travers le monde, consacrant chacun une moyenne de 20 heures de jeu par semaine. Si une bibliothèque pouvait bénéficier ne serait-ce que d’une fraction d’un tel engagement, le nombre d’interactions entre l’institution et ses utilisateur-trice-s augmenterait significativement (16, p.20). Dans le même ordre d’idée, la gamification dans une bibliothèque peut également avoir une facette semi-business, ce qui correspond à la promotion de ses différents services, de ses différents types de ressources (Boyhun p.23). Si les services de la bibliothèque sont plus employés grâce à l’engagement qu’un système gamifié peut provoquer chez les utilisateur-trice-s, ces derniers pourront inciter d’autres joueur-euse-s à l’employer et, par extension, à employer les services de la bibliothèque. En outre, la formation des usager-ère-s à la culture informationnelle inhérente aux bibliothèques – et tout particulièrement aux bibliothèques académiques – est tout à fait gamifiable (14 p.23), comme en témoignent les différents cas présentés dans l’état de l’art13. Quand la connaissance est présentée dans un cadre contextualisé et que les utilisateur-trice-s prennent part activement à la formation, l’apprentissage est plus efficace, ce que la gamification, et de manière plus générale les jeux, peuvent permettre. Les bibliothèques académiques ont pour mission d’inculquer à leurs utilisateur-trice-s les bases et principes de l’information literacy, et grâce à la gamification elles peuvent proposer un apprentissage plus amusant et plus profond de ce domaine (14, p.20).
Aussi, la gamification permet d’atteindre une part d’autonomie et d’autoformation recherchée par les bibliothèques académiques – dans le but d’atteindre le plus d’étudiant-e-s possible sans augmenter les ressources humaines – et par les utilisateur-trice-s eux-elles-mêmes. Elle leur offre le choix, d’une part, de prendre part à l’apprentissage proposé, d’autre part, de la façon dont ils-elles veulent y participer, au rythme qui leur convient (17, p.41). De ce fait, la gamification remplit le besoin d’autonomie de chaque joueur-euse, ce qui permet d’augmenter sa motivation et par conséquent son engagement (18). Finalement, le cadre des bibliothèques universitaires est tout à fait adéquat pour l’implémentation d’un système gamifié : ces bibliothèques atteignent tous les étudiante- s du campus, les sessions de cours qu’elles donnent sont relativement courtes et interviennent à plusieurs moments du cursus universitaire, ce qui les rend particulièrement propices à l’intégration d’un apprentissage basé sur des éléments de jeu. De plus, elles font appel à plusieurs départements des universités dont elles font partie pour mettre en place un tel processus pédagogique : la gamification est présentée à tous ces services, ce qui pourrait amener à inscrire sa pratique à plusieurs niveaux du cursus académique, pour autant que ces départements voient un intérêt à développer leur propre système gamifié (19, p. 7).
Merit : établir un système de récompenses
Après avoir fait le tour des mécaniques qui facilitent l’état de flow, en déterminant la difficulté de la tâche par rapport au niveau de l’utilisateur-trice, en clarifiant les objectifs et en entretenant la motivation intrinsèque des différents types de joueur-euse-s, il nous reste à étudier les différents principes de l’élaboration d’un système de récompenses. Une récompense offerte à l’utilisateur-trice va le-la motiver à maintenir son effort et à utiliser le système gamifié sur le long terme, encore faut-il choisir la bonne. Pour ce faire, il faut prendre en compte deux facteurs : le type de motivation dont le-la joueureuse fait preuve – intrinsèque ou extrinsèque – en utilisant notre système et son niveau d’expertise (1, p.151). Un-e utilisateur-trice motivé-e intrinsèquement, comme mentionné plus tôt, sera motivé-e à utiliser le système gamifié pour sa conception. Un-e joueur-euse motivé-e extrinsèquement utilisera le système pour gagner une récompense réelle, comme par exemple perdre du poids en courant ou gagner un café gratuit (1, p.152). Le désavantage de la motivation extrinsèque, c’est qu’elle n’est pas durable et n’est pas aussi puissante que la motivation intrinsèque (31). Les trois niveaux d’expertise sont les suivants : débutant, confirmé et expert.
En concevant un système de récompenses efficace, le-la game designer réussira à attirer les joueur-euse-s débutant-euse-s, à renforcer leur engagement en leur offrant plus d’objectifs à réaliser et à les rendre experts en maintenant leur motivation à long terme (1, p.153). Il est souhaitable d’amener les joueur-euse-s débutant-e-s motivé-e-s extrinsèquement à devenir motivé-e-s de manière intrinsèque et à atteindre le niveau d’expertise maximal. Cependant, comme les motivateurs intrinsèques sont peu stables et difficilement définissables, le-la game designer devra utiliser habilement les motivateurs extrinsèques pour qu’ils soient ressentis comme étant intrinsèques par les joueur-euse-s, et qui seront intériorisés en tant que tels (32).
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Table des matières
Déclaration
Remerciements
Résumé
Liste des tableaux
Liste des figures
1. Introduction
2. Méthodologie
3. Contexte
3.1 Situation de l’EPFL
3.1.1 École Polytechnique Fédérale de Lausanne
3.1.2 Bibliothèque de l’EPFL
3.1.2.1 Formation à la bibliothèque de l’EPFL
3.1.2.1.1 Cours
3.1.2.1.2 Documentation
3.1.2.1.3 Course d’orientation
3.1.2.1.4 Gamification à la bibliothèque de l’EPFL
3.2 Définition et pratique de la gamification
3.3 Raisons de la gamification en bibliothèque
4. Principes et mécaniques de gamification
4.1 Goals : définir les buts et objectifs
4.1.1 Mécanique 1 : buts à court terme et buts à long terme
4.1.2 Mécanique 2 : subdivision des objectifs
4.1.3 Mécanique 3 : visualisation des objectifs
4.1.4 Mécanique 4 : information en cascade
4.1.5 Mécanique 5 : feedback instantané
4.2 Actions : types d’expériences ludiques
4.2.1 La compétition
4.2.1.1 Mécanique 6 : combo
4.2.1.2 Mécanique 7 : classement
4.2.2 Le jeu de rôle
4.2.2.1 Mécanique 8 : avatar
4.2.2.2 Mécanique 9 : valorisation des compétences
4.2.2.3 Mécanique 10 : niveaux
4.2.2.4 Mécanique 11 : quantified self
4.2.3 La coopération
4.2.3.1 Mécanique 12 : asynchronie
4.2.3.2 Mécanique 13 : outils de communication
4.2.4 Le storytelling
4.2.4.1 Mécanique 14 : création d’un univers
4.2.4.2 Mécanique 15 : exploration d’un univers
4.2.4.3 Mécanique 16 : personnalisation de l’univers
4.2.4.4 Mécanique 17 : sens épique
4.2.4.5 Mécanique 18 : périple du héros
4.2.5 Les triggers
4.2.5.1 Mécanique 19 : sérendipité
4.2.5.2 Mécanique 20 : ARG
4.2.5.3 Mécanique 21 : check-in
4.2.5.4 Mécanique 22 : rendez-vous
4.2.5.5 Autres mécaniques
4.3 Merit : établir un système de récompenses
4.3.1 Récompenses externes
4.3.1.1 Mécanique 23 : statut
4.3.1.2 Mécanique 24 : accès
4.3.1.3 Mécanique 25 : pouvoir
4.3.1.4 Mécanique 26 : récompenses réelles
4.3.2 Récompenses internes
4.3.2.1 Mécanique 27 : feedback négatif
4.3.2.2 Mécanique 28 : feedback positif
4.3.2.3 Mécanique 29 : feedback de progression
4.3.2.4 Mécanique 30 : points et scores
4.3.3 Objets virtuels
4.3.3.1 Mécanique 31 : badge
4.3.3.2 Mécanique 32 : punition négative
4.3.4 Distribution des récompenses
4.3.4.1 Mécanique 33 : récompenses aléatoires
4.3.4.2 Mécanique 34 : récompenses certaines
4.3.4.3 Mécanique 35 : récompense-performance
5. État de l’art
5.1 Situation aux Etats-Unis
5.1.1 Badges à l’University of Arizona
5.1.2 Badges à la PSU
5.1.3 Badges à l’University of Montavello
5.1.4 Chasse au trésor à la NCSU
5.1.5 Création d’une application à la GVSU
5.1.6 Création d’une application à l’UMSI
5.1.7 ARG à l’University of Alabama
5.1.8 ARG à l’University of Florida
5.1.9 ARG à l’O’Neill Middle School
5.2 Situation en Europe
5.2.1 Création d’une application à l’University of Huddersfield
5.2.2 ARG et clickers à l’UMPC
5.2.3 ARG à l’Université de Haute-Alsace
5.2.4 ARG à l’INSA
5.2.5 Énigme à l’Université de Montpellier
5.3 Outils
5.3.1 Outils de création de badge
5.3.1.1 Passport
5.3.1.2 Credly
5.3.1.3 Mozilla’s Open Badges
5.3.2 Organisation de chasse aux trésors
5.3.3 Application de gamification
5.3.3.1 Application d’entreprise
5.3.3.2 Application sur CMS
5.3.3.3 Application de bibliothèque
5.3.4 Game design
5.3.4.1 Twine
5.3.4.2 Inform
5.3.4.3 Kiwi.js
5.4 Synthèse
5.4.1 Recommandations préalables
6. Proposition de programme gamifié
6.1 Contenu de la formation
6.1.1 Contenus enseignés à l’EPFL
6.1.2 Référentiel de compétences
6.2 Proposition de programme
6.2.1 Définition des objectifs
6.2.2 Définition des types d’expériences
6.2.2.1 Mécaniques de compétition
6.2.2.2 Mécaniques de jeu de rôle
6.2.2.3 Mécanique de collaboration
6.2.2.4 Mécaniques de storytelling
6.2.2.1 Triggers
6.2.3 Définition d’un système de récompenses
6.2.3.1 Récompenses externes
6.2.3.2 Récompenses internes
6.2.3.3 Objets virtuels
6.2.3.4 Distribution de récompenses
6.3 Réalisation du programme
6.3.1 Développement complet de l’application
6.3.2 Développement partiel de l’application
6.3.3 Utilisation d’outils sans développement
7. Conclusion
Bibliographie
Iconographie
Annexe 1 : Prototype n°1 exercice de composition
Annexe 2 : Vue d’ensemble des fonctionnalités
Annexe 3 : Structure complète des objectifs
Annexe 4 : Prototype n°2 Compétences et Missions
Annexe 5 : Prototype n°3 profil d’utilisateur-trice
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