Impact de la présence de chlorures dans les matrices cimentaires

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Impact de la présence de chlorures dans les matrices cimentaires

Les chlorures peuvent être présents depuis deux origines au sein des bétons. Du fait d’une exposition extérieure (environnement marin, sel de déverglaçage), les chlorures vont pénétrer progressivement depuis la surface du béton jusqu’à atteindre l’armature. Le déplacement des chlorures au sein de la matrice cimentaire peut se faire par diffusion, migration ou convection selon l’exposition, la nature et la saturation du béton.
Les chlorures peuvent également être intégrés directement au moment du gâchage et donc se retrouver uniformément au sein de la matrice dès le jeune âge. Dans la littérature, la présence de chlorures est généralement abordée du point de vue d’une exposition extérieure car c’est la situation habituellement rencontrée. Or dans le cadre de cette thèse les chlorures sont internes et présents dès le gâchage. Il existe un risque de corrosion lié à la présence de chlorures au contact d’armatures dans le béton armé. Avant d’étudier les interactions possibles avec la matrice cimentaire, les aspects normatifs liés à la présence de chlorures sont rappelés.

Aspects normatifs liés à la présence de chlorures

L’utilisation des chlorures dans les matériaux cimentaires est soumise à une norme. Comme le présente le Tableau 3, la teneur maximale autorisée en chlorures pour des bétons armés est de 0,4% par rapport à la masse de ciment. Si le ciment utilisé contient des laitiers de haut fourneau (CEM III), la teneur est augmentée jusqu’à 0,65% de chlorures par rapport à la masse de ciment [Afnor – EN 206/CN, 2012].

Réactions avec les hydrates présents : capacité de fixation des ions chlorures

Les chlorures peuvent être présents sous deux formes au sein de la matrice cimentaire :
– Liés chimiquement ou physiquement à des hydrates ;
– Libres, sous forme d’ions dans la solution interstitielle.
Seuls les chlorures libres peuvent diffuser et jouer un rôle actif dans le processus de dépassivation et de corrosion des armatures [Baron, 1992 ; Kayali, 2012 ; Baroghel-Bouny, 2008]. Il est donc favorable d’optimiser la capacité de fixation physique/chimique des chlorures par les hydrates. Ainsi, la capacité de fixation des ions chlorures est responsable de la meilleure protection contre la corrosion des armatures des mélanges contenant des laitiers [Kayali, 2012].
Dans le cas de liaison chimique, les chlorures se fixent par substitution à d’autres atomes principalement au sein des AFm [Florea, 2012 ; Zibara, 2001] pour former des sels de Friedel (chloroaluminates de calcium, C3A·CaCl2·10H2O) ou sels de Kuzel (C3A·1/2CaCl2·1/2CaSO4·10H2O) [Florea, 2012 ; Zibara, 2001] en fonction de la concentration en chlorures [Zibara 2001 ; Thomas, 2012]. Les AFm possèdent une structure cristalline en feuillets dans lesquels les anions sulfates sont très mobiles et peuvent facilement être substitués par d’autres anions tel que Cl- et également OH- et CO32- [Emanuelson et al., cité par Vu, 2011]. Dans le cas de liaison physique, les chlorures peuvent être adsorbés sur la surface des C-S-H, grâce à leur grande surface spécifique [Florea, 2012], ou sur l’hydrotalcite [Kayali, 2012 ; Luo, 2003]. Les sels de Friedel possèdent également une capacité d’adsorption physique d’autres chlorures [Florea, 2012 ; Elakneswaran, 2009].
Toutefois, il est important de souligner que les chlorures liés le sont à un instant donné et qu’une partie peuvent être libérés en cas de diminution de la concentration en chlorures libres [Tang et Nilsson, 1993], ou encore lors de destructuration partielle ou totale des hydrates telle que la carbonatation [Yuan, 2009 ; Ann, 2007]. Les chlorures liés constituent alors un réservoir à chlorures libres.
La capacité d’un ciment portland à fixer des chlorures par liaison chimique serait déterminée par la concentration en C3A et C4AF du liant [Baroghel-Bouny, 2008]. Or, dans les mélanges contenant des laitiers, la quantité est réduite par effet de dilution. Toutefois, la composition chimique des laitiers contient plus d’aluminium, ce qui contrebalance cette dilution et permet une meilleure fixation des chlorures par liaison chimique [Dhir, 1996, Kayali, 2012 ; Zibara, 2001]. Comme le montre la Figure 7, plusieurs auteurs s’accordent sur le fait que la quantité de chlorures fixés dans les mélanges aux laitiers est plus importante que dans ceux qui n’en contiennent pas [Luo, 2003 ; Arya, 1990 ; Arya, 1995 ;Byfors 1987, Angst, 2009, Dhir 1996]. On peut noter que la fixation des chlorures par les laitiers serait optimale entre 50 et 100% de substitution, dans le cas d’une exposition à des chlorures externes [Zibara, 2001].
La formation d’hydrotalcite durant l’hydratation, du fait de la richesse en magnésium et la formation de sels de Friedel due à la quantité d’aluminium, tend à expliquer la meilleure fixation des chlorures par les laitiers [Thomas, 2012 ; Dhir, 1996, Kayali, 2012 ; Zibara, 2001]. D’autres auteurs comme Arya et al. avancent que c’est la quantité de chlorures adsorbée qui est responsable de la plus grande capacité de fixation des mélanges contenant des laitiers [Arya, 1990].
La plus grande capacité de fixation des mélanges à base de laitier est perceptible dès 4 jours d’hydratation et la concentration en chlorure se stabilise dès 28 jours d’hydratation [Arya et Xu, 1995]. La capacité de fixation des chlorures semble plus importante dans le cas de chlorures internes qu’externes [Arya, 1990]. Enfin, la présence de sulfates semble diminuer la capacité de fixation des chlorures [Yuan, 2009 ; Zibara 2001 ; Luo, 2003 ; Uptaka et al., 2019]. Donc la plus grande capacité de fixation des laitiers pourrait provenir d’un effet de dilution des sulfates [Xu, 1997]. En effet, Xu a montré que lorsque la quantité de sulfates dans un mélange à base de laitier était augmentée à des valeurs équivalentes à celle du ciment Portland, il n’y avait plus de différence dans la capacité de fixation des chlorures [Xu, 1997].
Les sels de Friedel et l’hydrotalcite sont difficiles à distinguer l’un de l’autre par analyse DRX, car leurs pics à 11,5° et 22,9° se chevauchent [Khan, 2016]. Toutefois, Khan avance dans ses travaux que des analyses de 12h ont permis de les différencier. C’est ce que montre la Figure 8, où l’on distingue l’apparition des sels de Friedel en présence de chlorures comme épaulement aux pics d’hydrotalcite. Khan a également observé l’apparition d’un second pic à 22,9° de par l’ajout de chlorures dans le mélange, preuve de l’incorporation de chlorures dans le réseau cristallisé d’hydrates [Khan, 2016].
Tritthart a étudié l’exposition de pâtes de ciment exposées à différents pH et a montré que la capacité de fixation des chlorures augmente lorsque le pH passe de 13,7 à 12,5. Cela pourrait s’expliquer par une compétition entre les ions OH- et Cl- [Tritthart, 1989]. L’adsorption des chlorures à la surface des C-S-H par substitution avec les ions hydroxyles pourrait être la raison des observations menées par Tritthart dans ses travaux. Cette adsorption en surface des C-S-H n’est pas immédiate et il y aurait une certaine cinétique à considérer. Ainsi, un temps caractéristique de 2.104 secondes (5,6h) est avancé dans la littérature [Baroghel-Bouny, 2011].

Notion de thermodynamique de la corrosion électrochimique

Les armatures utilisées en béton armé sont en acier, un alliage métallique constitué à plus de 98% de fer (le reste étant du carbone). Un métal s’obtient par fusion de matériaux suivi d’un refroidissement rapide (trempe). Ce violent écart de température fige les molécules dans leur état et est responsable de la non-stabilité thermodynamique des métaux. En effet, l’état stable du fer est sous forme d’oxydes. La corrosion est donc un ensemble de réactions qui permet naturellement au métal de passer à son état thermodynamique stable.

Réactions d’oxydo-réductions appliquées au fer

Les réactions chimiques associées au phénomène de corrosion sont des réactions d’oxydo-réduction. Le sens d’une réaction détermine son appellation. Comme le présente l’équation [Eq. 5], une réaction d’oxydation produit des électrons alors qu’une réaction de réduction consomme des électrons [François, Raoul, Deby, 2018]. La corrosion fait intervenir deux réactions couplées l’une à l’autre. La réaction d’oxydation produit des électrons, qui sont consommés par la réaction de réduction.
Par exemple, si l’on s’intéresse aux couples redox Fe2+/Fe et O2/H2O, la réaction d’oxydation consomme le métal pour former des ions ferreux et des électrons (Equation 6). La réaction de réduction utilise les électrons, du dioxygène et des ions H+ pour former de l’eau (Equation 7).
Oxydation : ⇋ 2+ + 2 − [Eq. 6].
Réduction : + 4 + + 4 −⇋ 2 [Eq. 7].
Dans le cas de la corrosion des armatures en acier dans du béton, la réduction du dioxygène se fait en milieu basique. En effet, le pH de la solution interstitielle d’un béton sain étant basique, il y a donc une quantité importante d’ions OH-.
Il faut donc tenir compte de la présence des ions OH- dans l’écriture de l’équation de réduction (Eq. 8). Cela permet de mettre en évidence que la réaction ne fait plus intervenir d’ions H+ mais bien de l’eau et du dioxygène dans les réactifs pour former des ions hydroxyles.
Si l’on combine l’équation d’oxydation (Equation 6) avec cette équation de réduction (Eq. 8), on obtient l’équation d’oxydoréduction résultante (Equation 9). Elle signifie que du fer solide est consommé en présence de dioxygène et d’eau pour former des ions hydroxyles ainsi que des ions ferreux. Il y a donc bien attaque d’une barre d’armature et production de produit de corrosion.
2Fe + O2 + 2H2O → 4OH- + 2Fe2+ [Eq. 9].
Les ions ferreux (Fe2+) forment ensuite, à leur tour d’autres produits de corrosion (hydroxydes et oxydes de fer), plus volumineux comme évoqué précédemment, selon l’enchaînement réactionnel présenté aux équations 10 à 12. Il se fait par consommation successive des produits de corrosion précédemment formés dans un milieu basique (présence ions OH-), d’eau et de dioxygène :
Fe2+ + 2OH- → Fe(OH)2 [Eq. 10].
4Fe(OH)2 + 2H2O + O2 → 4Fe(OH)3 [Eq. 11].
2 Fe(OH)3 → Fe2O3 + 3H2O [Eq. 12].
Il faut noter que les ions OH- produits lors de la réaction de réduction sont consommés dans cet enchaînement réactionnel conduisant à la formation de produits de corrosion.

Considérations relatives à l’essai de polarisation (essai de Tafel)

D’après Sohail, l’utilisation de cet essai doit rester limitée de par sa nature destructive [Sohail, 2013]. En effet, si la tension appliquée est trop importante, ou l’est de façon trop prolongée, l’interface chimique acier/béton sera modifiée de façon trop importante pour permettre de réaliser des essais ultérieurs sur cette éprouvette. Plusieurs auteurs ont travaillé sur la gamme de potentiel à investiguer et ont retenu une polarisation de ±200mV autour de la valeur du potentiel de corrosion [Alonso, 2002 ; Chang, 2008].
De plus, la vitesse de balayage en potentiel est importante. Elle doit être suffisamment rapide pour ne pas trop perturber l’interface et suffisamment lente pour ne pas générer une distorsion de la valeur en courant [Zhang, 2009].
Afin d’éviter ces désagréments, la polarisation doit être effectuée séparément pour la partie cathodique et anodique et en choisissant une vitesse de balayage de 0,3mV/s [Zhang, 2009]. Des écarts entre la valeur de potentiel libre (mesuré avant essai) et la valeur de Ecorr sont observés expérimentalement. Pour la mesure de la branche anodique, le potentiel Ecorr trouvé est plus négatif que le potentiel libre, alors que pour la branche cathodique, le potentiel Ecorr trouvé est plus positif que le potentiel libre [Zhang, 2009].
icorr étant le croisement des 2 droites de Tafel et de la valeur du potentiel de corrosion, on peut en fait utiliser une seule des droites pour le déterminer. Dans ce cas, il faut préférer choisir la droite donnant la plus faible valeur de courant de corrosion car c’est celle-ci qui imposera la vitesse globale au système.

Critères d’amorçage de la corrosion par les chlorures / notion de seuil

Le critère peut avoir plusieurs définitions. On peut le considérer du point de vue chimique comme étant une concentration en chlorures à partir de laquelle l’acier corrode. On peut également établir un état électrochimique correspondant à une situation probable de corrosion ou à une densité de courant suffisamment importante. Enfin, on peut aussi relier l’amorçage à l’état physique de l’interface et notamment la quantité de vides présents.

Concentration seuil en chlorures

Ce critère correspond à la valeur en chlorures à partir de laquelle la corrosion s’amorce (dépassivation des barres d’armatures) comme le montre la Figure 16. La valeur seuil en chlorures qui provoque l’amorçage de la corrosion n’est pas clairement explicite dans la littérature. Angst, au travers de sa large synthèse sur le sujet, n’a clairement pas pu détacher de valeur caractéristique [Angst, 2009]. La valeur de 0,4% de chlorures par rapport à la masse de ciment est toutefois avancée et retenu normativement comme seuil d’utilisation en présence d’armatures [Cyr, 2013 citant Baroghel-Bouny, 2008].

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Table des matières

1. Durabilité des bétons formulés avec CEM III
1.1. Porosité
1.2. Propriétés de transferts
1.2.1. Perméabilité
1.2.2. Diffusion des ions chlorures
1.2. Synthèse sur les indicateurs de durabilité
2. Impact de la présence de chlorures dans les matrices cimentaires
2.1. Aspects normatifs liés à la présence de chlorures
2.2. Réactions avec les hydrates présents : fixation des chlorures
2.3. Isothermes d’adsorption
3. Corrosion en présence de chlorures
3.1. Notions de base sur la corrosion
3.2. Notion de thermodynamique de la corrosion électrochimique
3.2.1. Réactions d’oxydo-réductions appliquées au fer
3.2.2. Mécanismes de la corrosion en présence de chlorures
3.2.3. Equation de Nernst
3.2.4. Diagramme de Pourbaix
3.3. Cinétique de corrosion
3.3.1. Equation de Butler-Volmer
3.3.2 Considérations relatives à l’essai de polarisation (essai de Tafel)
3.4. Critères d’amorçage de la corrosion par les chlorures / notion de seuil
3.4.1. Concentration seuil en chlorures
3.4.2. Seuil électrochimique
3.4.3. Etat physique de l’interface acier/béton
4. Carbonatation des matrices contenant des laitiers
4.1. Généralités sur le CO2 et aspects normatifs
4.2. Mécanismes généraux
4.3. Effet de la présence de laitier sur la carbonatation
4.4. Stabilité des hydrates piégeant des chlorures lors de la carbonatation
Conclusion

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