LA VERACITE DE LA RELIGION CHRETIENNE

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Les deux états de l’homme

Comme la plupart de ses prédécesseurs, Pascal s’intéresse aussi à la question de l’homme. Une question à laquelle Socrate nous invitait déjà avec son fameux « connais-toi toi-même ». Pour participer à ce débat Pascal part d’une constatation pour tenter de saisir la nature humaine. Il entend montrer à l’homme qu’il est un « monstre incompréhensible1». Pour y arriver il pose comme postulat de départ que la quête de tout homme est le bonheur. Il écrit : « Tous les hommes recherchent d’être heureux. Cela est sans exception, quelques différents moyens qu’ils y emploient. Ils tendent tous à ce but. Ce qui fait que les uns vont à la guerre et que les autres n’y vont pas est ce même désir qui est dans tous les deux accompagné de différentes vues. La volonté ne fait jamais la moindre démarche que vers cet objet. C’est le motif de toutes les actions de tous les hommes, jusqu’à ceux qui vont se pendre2. »
Le désir de béatitude est le fondement de tout mouvement humain et la volonté fait tout pour y arriver. Une telle idée est nettement augustéenne. Pour saint Augustin le désir d’être heureux représente l’élément fondamental qui définit l’agir humain. Il souligne que : « Tous les hommes, quels qu’ils soient, veulent être heureux. Il n’est personne qui ne le veuille […] Les hommes sont entraînés par différentes convoitises, et l’un désire ceci, l’autre cela […] Ainsi, le désir du bonheur est le commun de tous : mais par quels moyens y parvenir, par où tendre à ce but, quel chemin suivre pour y accéder ? Ici commence les discussions. L’un dit : heureux ceux qui sont à la guerre. L’autre dit non, et affirme : Heureux seulement ceux qui cultivent le soi […] Que signifie cette diversité de sentiments sur chaque type de vie, alors que tous désirent le bonheur3 ? »
Toutefois, Pascal note que ce mouvement s’égare, impuissant : l’homme sans Dieu est laissé à lui-même, il vit dans l’erreur, dans un monde d’illusion. L’idée qu’il a du bonheur demeure inaccessible, car ses puissances trompeuses c’est-à dire l’imagination, la coutume, les impressions anciennes, les charmes de la nouveauté et les maladies, le rendent incapable de connaître la vérité qui l’entoure. Il est dans l’incapacité de saisir le vrai et le bonheur même s’il en a l’idée. Il note : « Nous souhaitons la vérité et ne trouvons en nous qu’incertitude. Nous recherchons le bonheur et ne trouvons que misère et mort. Nous sommes incapables de ne pas souhaiter la vérité et le bonheur et sommes incapables ni de certitude ni de bonheur1. »
De là il est aisé de constater que la nature humaine est une contradiction. L’homme manque d’unité, il s’oppose à lui-même. Pascal s’interroge ainsi à son sujet : « Quelle chimère est-ce donc l’homme ? Quelle nouveauté, quel monstre, quel chaos, quel sujet de contradictions, quel prodige ? Juge de toutes choses, imbécile ver de terre, dépositaire du vrai, cloaque d’incertitude et d’erreur, gloire et rebut de l’univers2. » Et il conclut : « Qui démêlera cet embrouillement3» Pour Répondre à cette question, Pascal s’articule à faire voir que la philosophie, et partant la raison, constitue une impasse pour comprendre la vraie nature de l’homme.
Pour démontrer l’échec des philosophes à saisir la question de l’homme, Pascal va réduire toute la pensée des philosophes à deux grands sages auxquels se ramènent d’après lui toutes les philosophies possibles : Epictète et Montaigne. En ce sens, l’entretien avec M. de Saci est le texte décisif. Ces deux sages sont aux yeux de Pascal : « les deux plus grands défenseurs des deux plus célèbres sectes du monde.4» Epictète est le représentant de la grandeur de l’homme. Il considère que l’homme peut devenir le maître de lui-même en maîtrisant l’illusion et l’erreur. Montaigne, à l’inverse est le témoin de misère de l’homme. Il se plaît à souligner l’incertitude et la fragilité de toutes choses. Il signale la faiblesse de la raison humaine et la puissance de l’imagination, du préjugé, de la croyance.
Tous deux nous dit Pascal ont parfaitement vu et décrit ce qu’ils ont pu voir, mais chacun n’a vu qu’une partie de la réalité et de ce fait n’atteint donc qu’une vérité partielle. Au lieu d’unir, ils ont cherché à garder l’un et à rejeter l’autre. Et de là, l’homme demeure toujours inchangé.
Pour Pascal l’homme est à la fois grand et misérable, c’est une chimère. La grandeur et la misère sont la double facette d’une même nature. Il est donc nécessaire qu’elles soient affirmées en même temps pour bien saisir et comprendre la complexité de l’homme. L’homme est la somme de deux états et son explication vient de Dieu, elle demeure dans la double nature de l’homme, créé sain et corrompu par le péché.
Le fragment 131 nous fait part de ces deux états de l’homme: « Il y a deux vérités de foi également constantes. L’une que l’homme dans l’état de la création, ou dans celui de la grâce, est élevé au-dessus de toute la nature, rendu comme semblable à Dieu et participant de la divinité. L’autre qu’en l’état de la corruption, et du péché, il est déchu de cet état et rendu semblable aux bêtes1. » Nous retrouvons cette idée d’une nature ambivalente de l’homme dans les Ecritures : « Vous êtes des dieux2» ; « J’épandrai mon esprit sur toute chair3» ; « J’ai dit en mon cœur, au sujet des fils de l’homme, que Dieu les éprouverait, et qu’eux-mêmes verront qu’ils ne sont que des bêtes4» où encore « L’homme s’est assimilé aux bêtes brutes5. »
L’homme tient le milieu entre l’ange et la bête. L’ange se rapporte incontestablement à sa nature intellectuelle et divine, car il a été crée à l’image de Dieu. Cette image, il l’a perdu lors de la chute. Et la bête renvoie à son état misérable. Et de là quiconque « fait l’ange6» et se fonde uniquement sur la grandeur, fait en même temps « la bête7», par excès de prétention. Pascal doit cette conception de l’homme comme milieu entre ange et bête à saint Augustin et à saint Thomas. Saint Augustin montre dans la Cité de Dieu que l’homme est à la fois doué de raison et mortel. Il écrit : « Puisque la bête est un animal sans raison et mortel, et l’ange un animal raisonnable et immortel, on peut dire que l’homme est entre les deux, mortel comme les bêtes, raisonnable comme les anges; en un mot, animal raisonnable et mortel8» Saint Thomas s’inscrit aussi dans cette perspective et situe l’homme à cheval entre l’ange et la bête: de l’ange, il a l’esprit, l’intelligence, la volonté et l’immortalité. De l’animal, il a les passions, l’instinct, les sentiments9. En l’homme coexistent donc deux états. De ce fait, on ne peut plus parler d’une essence unique de l’homme.
Mais à quoi renvoie le terme « état » ? Le mot « état » est à comprendre chez Pascal dans son sens historique, c’est-à-dire l’état de l’homme avant le péché, et après le péché. Généralement on distingue trois états: l’état de la nature innocente, l’état de la nature déchue et l’état de la nature pure. Ce dernier état Pascal l’exclut. Les deux états qui restent sont des « états réels10», des états de fait, et c’est en cela qu’ils sont différents de l’état hypothétique de pure nature. C’est ainsi d’ailleurs que le fragment 241 parle de « deux états de la nature de l’homme. » Vincent Carraud remarque dans ce sens que le concept d’état suppose deux sens.
Le premier sens dit-il « recouvre des concepts théologiques différents qui sont autant de médiations entre la notion d’état et celle de nature1. » Le second sens renvoi à « un usage anhistorique » c’est-à dire « une pensée simultanée des états, qui a cependant leur pensée successive pour origine. […] Une pensée anhistorique du successif qui explique les deux états que constituent la grandeur et la misère de l’homme2. »
L’acception du terme d’ « état » est un héritage même de saint Augustin. En effet dans ses Objections contre Julien, il montre que la condition humaine reflète deux états : « le premier homme a été créé dans un état tel qu’il n’était en aucune manière assujetti à la nécessité de mourir; mais cette condition de la nature a été changée par le péché, et la mort est devenue pour l’homme une nécessité tellement inévitable3 ». L’homme n’est plus dans son état angélique, mais il est affligé d’une « nature viciée ». Notre vraie nature nous rappelle le vrai bonheur. Mais la réalité de notre seconde nature nous condamne à l’égarement et à la convoitise. Dans le Deuxième écrit sur la grâce Pascal résume la doctrine de son maître sur la double nature de l’homme en ses termes : « Saint Augustin distingue les deux états des hommes avant et après le péché et a deux sentiments convenables à ces deux états.» Avant le péché, l’homme était « juste, sain, fort. Sans aucune concupiscence. Avec le libre arbitre également flexible au bien et au mal 4». Mais après le péché, l’homme a été abandonné à l’amour pour la créature, « sa volonté, […] s’est retrouvée remplie de concupiscence que le Diable y a semée, et non pas Dieu5. »
Remarquons que cette conception des deux états était présente chez Pascal dés avant octobre 1651. La lettre sur la mort d’Etienne Pascal nous en donne une large idée. On la retrouve également dans l’Entretien avec M.de Sacy qui montre l’usage qu’on pourrait en faire dans une apologie. Nous pouvons lire ici : « Il me semble que la source des erreurs de ces deux sectes est de n’avoir pas su que l’état de l’homme à présent diffère de celui de sa création ; de sorte que l’un, remarquant quelques traces de sa première grandeur et ignorant sa corruption a traité la nature comme saine et sans besoin de réparateur, ce qui le mène au comble de la superbe ; au lieu que l’autre, éprouvant la misère présente et ignorant la première dignité, traite la nature comme nécessairement infirme et irréparable, ce qui le précipite dans le désespoir d’arriver à un véritable bien, et de là dans une extrême lâcheté.
Ainsi ces deux états, qu’il fallait connaître ensemble pour voir toute la vérité, étant connus séparément, conduisent nécessairement à l’un de ces deux vices, d’orgueil et de paresse, où sont infailliblement tous les hommes avant la grâce, puisque, s’ils ne demeurent dans leurs désordres par lâcheté, ils en sortent par vanité.1. »
C’est là que réside l’échec des philosophes à saisir la question de l’homme. Leur discours est un discours partiel. Il ne rend pas compte de la double réalité de l’homme. Pascal écrit : «les philosophes ne prescrivaient point des sentiments proportionnés aux deux états. Ils inspiraient des mouvements de grandeur pure et ce n’est pas l’état de l’homme. Ils inspiraient des mouvements de bassesse pure et ce n’est pas l’état de l’homme2.» Le véritable état de l’homme est double. Ainsi, dire et penser l’homme c’est le dire dans une unité disjointe, c’est dire ces contrariétés, c’est « rendre manifeste les deux états simultanés et contradictoires de l’homme3. » écrit Vincent Carraud. Et c’est ce que fait d’ailleurs Pascal dans le fragment 149 :« Ces deux états étant ouverts il est impossible que vous le ne les reconnaissiez pas. Suivez vos mouvements, observez-vous vous-mêmes, et voyez si vous n’y trouverez pas les caractères vivants de ces deux natures.» Cette sollicitation a pour objectif d’inviter l’homme à chercher au fond de son expérience propre, pour apercevoir les empreintes de l’enseignement scripturaire sur les deux états de sa nature. L’expérience humaine suffit pour nous faire voir que la nature humaine est tirée entre la misère et la grandeur. C’est donc une invitation personnelle et non un appel extérieur qui est sollicitée.
Le véritable état de l’homme est un état double, qui va constituer les deux natures du mystère de la condition humaine : une nature innocente que les Ecrits sur la grâce désignaient par l’état d’innocence et une nature corrompue appelée état de corruption. D’où cette pensée de Pascal: « La vraie nature étant perdue, tout devient sa nature4. » Le péché a fait perdre à l’homme sa véritable nature, sa nature « prélapsaire »; il l’a soumis à l’inconstance de la concupiscence, de sorte qu’en effet, il est devenu naturel à l’homme de changer avec l’habitude et la coutume. Pascal écrit dans le fragment 149: « Voilà l’état où les hommes sont aujourd’hui. Il leur reste quelque instinct impuissant du bonheur de leur première nature, et ils sont plongés dans les misères de leur aveuglement et de leur concupiscence qui est devenue leur seconde nature5.» Les deux états c’est-à-dire l’état de la nature innocente, et l’état de corruption deviennent dans ce fragment les deux natures qui vont désormais composer la condition humaine. L’homme a donc deux natures. Vincent Carraud note dans ce sens que le « retour à une pensée historique de l’opposition nous fait passer des deux états de la nature à deux natures. La première nature, ou nature d’avant la faute, lieu de la « première grandeur » et la seconde nature qui est la nature présente, lieu de la corruption1. »
Ces deux acceptions du mot nature, Pascal les emprunte à saint Augustin qui dans Du libre arbitre, opère deux sens du mot nature selon qu’il s’agit de l’état natif, c’estŔà-dire de l’état originel où de celui qui est sien de fait, par suite de la chute. Il écrit : « Nous nommons nature ce qui est proprement la nature humaine, la nature où l’homme fut créé d’abord dans l’innocence ; nous appelons aussi nature celle où par suite du châtiment infligé au premier homme devenu coupable, nous naissons sous l’empire de la mort, dans l’ignorance et soumis à la chair2. »
Soulignons cependant que pour saint-Augustin et Pascal ces deux natures ne coexistent pas de la même façon. En effet, de la première nature qui représente la grandeur, il ne reste que des traces qui, sont incapables de mener l’homme vers le bien suprême, alors que la seconde nature elle, nous mène vers la mauvaise pente. Pascal écrit : « Qu’est-ce-que nous crie cette avidité et cette impuissance sinon qu’il ya eu autrefois dans l’homme un vrai, dont il ne lui reste maintenant que la marque et la trace de tout vide[…]3 » Cette idée est reprise dans le fragment 149 « Aujourd’hui l’homme est devenu semblable aux bêtes, et dans un tel éloignement de moi, qu’à peine lui ne reste(t-il) une lumière confuse de son auteur, toutes ses connaissances ont été éteintes ou troublées.[…] Il leur reste quelque instinct impuissant du bonheur de leur première nature, et ils sont plongés dans les misères de leur aveuglement et de leur concupiscence qui est devenue leur seconde nature. » Telle est le mystère de la condition humaine. L’état de grandeur dont-il ne reste que des traces, et la misère. « Voilà notre état véritable » conclut-il.

Le cœur et ses différentes acceptions

Dans son projet apologétique Pascal fait de prime abord du cœur la faculté de l’amour. Il désigne la disposition à aimer. Jean Mesnard affirme que « Le mot désigne en l’homme cette structure primitive qu’est la faculté d’aimer1. » En effet, l’amour est sentiment et il va de soi qu’il ne peut trouver son siège que dans le cœur. Et la source légitime de connaissance religieuse, de la foi, est l’amour. Le cœur est ce qui permet ainsi de connaître Dieu, mais de le connaître pour l’aimer. Dieu a donné à l’homme une inclination naturelle pour l’aimer. Pascal écrit: « Le cœur aime l’être universellement2.» Dieu ne peut être connu que s’il est aimé. Il appartient à l’ordre surnaturel dans le quel on ne peut connaître les choses sans les aimer. Hélène Bouchilloux note dans ce sens: « L’ordre surnaturel est d’emblé contraire à l’ordre naturel, en ce qu’il subordonne toute connaissance et tout amour à la connaissance d’un Dieu qui n’est connu que s’il est aimé3. » On ne peut penser Dieu sans l’aimer, et l’aimer est déjà le connaître. Le Discours sur les Passions de l’amour4 certifie bien cela. Dans celui-ci, Pascal montre que celui qui est dans l’amour a une connaissance de l’objet de son amour, et mieux que s’il ne l’aimait. L’important n’est pas donc de connaître Dieu, mais de l’aimer de tout son cœur.
Pascal tire cette idée de la Bible qui montre que le cœur est la faculté de l’amour divin : « Quel avantage celui qui travaille retire-t-il de sa peine ? J’ai vu à quelle occupation Dieu soumet les fils de l’homme. Il fait toute chose bonne en son temps ; même il a mis dans leur cœur la pensée de l’éternité 5». Le désir de Dieu est inscrit dans le cœur de l’homme, car l’homme est créé par Dieu et pour Dieu. Dit autrement, le cœur de l’homme est prédisposé à aimer Dieu, car Dieu l’habite dès qu’il vient au monde. Ainsi, nous connaissons Dieu parce que nous l’aimons et nous l’aimons par ce que nous le connaissons. Celui qui n’est pas dans l’amour n’est pas en Dieu. Autrement dit, celui qui n’aime pas ne connaît pas Dieu qui est par essence Amour. Les deux pôles sont nécessaires, amour et connaissance. La première épître de saint Jean exprime cela clairement: « Quiconque aime Dieu est né de Dieu et connaît Dieu. Celui qui n’aime pas n’a pas connu Dieu, car Dieu est Amour1. » Ce n’est donc qu’enraciné dans l’amour que l’on connaît Dieu, que l’on reçoit comme le montre l’épître aux Ephésiens « la force de comprendre, avec tous les saints, ce qu’est la Largeur, la Longueur, la Hauteur et la Profondeur, et connaître l’amour du christ, qui surpasse toute connaissance, en sorte que vous soyez remplis jusqu’à toute la plénitude de Dieu2 » C’est là une connaissance qui surpasse toutes les autres: connaître son Amour. Le Dieu d’amour est un Dieu avec qui l’homme entre en relation par le cœur qui est l’organe de la charité. Et cette charité est la pierre angulaire da la foi. On peut comprendre dés lors l’interdépendance qui existe dans les Ecritures entre foi et amour. Aimer, c’est réveiller la foi qui sommeille en nous. En Galates 5-6 nous lisons que ce qui importe «c’est la foi qui est agissante par l’amour », c’est montrer sa foi en aimant. Amour et foi sont indissociables : la foi, par le cœur nous communique l’amour, et l’amour entretient la foi (Corinthiens 1, 13).3 C’est pour cette raison que Jean Chrysostome considère qu’ils sont « ce merveilleux » attelage qui emporte l’âme au ciel.
Mais, c’est en rapport avec la raison que Pascal parle souvent du cœur dans la connaissance religieuse, qu’il le distingue de la raison. Et cela dans le but de donner une leçon d’humilité à tous ceux qui veulent se satisfaire de la seule raison. Cette distinction note Philippe Sellier : « permet à Pascal de s’attaquer sans cesse à la raison sans cependant saper l’activité de connaissance de l’homme, auquel il reste le cœur4. » Le cœur n’est pas à comprendre dans une dimension exclusivement affective et émotionnelle, il est l’organe de connaissance. A cet effet, Jacques Chevalier écrit que le cœur pascalien « n’est pas seulement l’organe de sentiment et de la vie morale, mais encore un des organes de connaissance5 », de pensée, de sagesse, qui perçoit l’inspiration par laquelle l’être humain fait connaissance avec son Dieu. Il est le lieu exceptionnel, unique de la rencontre avec le « Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac, Dieu de Jacob, non des philosophes et des savants6. » Le chemin d’intériorité qui nous mène à Dieu, qui nous oriente, vers une plénitude d’être. Et pour Pascal, tout homme possède cet élan de grandeur qui le dirige toujours vers le haut. Il écrit dans le fragment 633 : « Malgré la vue de toutes nos misères qui nous touchent et qui nous tiennent à la gorge, nous avons un instinct que nous ne pouvons réprimer et qui nous élève.»
Mieux que la raison donc, le cœur comprend les Ecritures, car c’est lui qui nous rapproche le plus du divin. C’est à juste titre que Pascal affirme que: « C’est le cœur qui sent Dieu et non la raison. Voilà ce que c’est que la foi, Dieu sensible au cœur, non à la raison1. » Le cœur s’identifie ainsi aux vertus théologales comme la foi, l’espérance, la charité, etc. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il relève de l’expérience du troisième ordre, c’est-à-dire la charité qui surpasse de loin tous les autres ordres. L’homme de cœur vit spirituellement dans le troisième ordre, à l’opposé du savant qui s’enferme avec sa raison dans le deuxième ordre2. L’ordre de la charité relève de l’ordre du cœur, qui, rayonne profondément de sagesse. Ainsi, l’expérience du cœur est une expérience de feu, d’embrasement, comme celui du Mémorial. C’est dans le paysage du cœur que se manifeste la présence de Dieu.
Le cœur comme organe de connaissance est d’inspiration biblique. Jeanne Russier note dans ce sens: « C’est seulement avec les Pensées et à partir sans doute du moment où l’ordre habituel de ses préoccupations et de ses méditations le pousse à adopter la terminologie biblique, que Pascal parle du cœur comme organe de connaissance3. » Selon la Bible, c’est le cœur en tant que centre de la personne vivante qui connaît Dieu. Il le connaît comme une personne avec qui il se découvre en relation. Le psaume, 84-3, précise bien cela : « Mon cœur et ma chair crient de joie dans le Dieu vivant. » Le cœur englobe l’intellect, il est associé à la « pensée » (Mathieu9:4), à « l’intelligence » (Romains3:12 ; Marc 6:52), à la « connaissance » (Proverbes15:14). Ainsi, l’expression « manquer de cœur » signifie manquer de jugement, de discernement (Proverbe 11:12 ; 15:21), dépourvu de sagesse (Proverbe 7 :7; 9:1-9, 16; 10:21). Le cœur est fait pour comprendre, pour connaître. Dans ce but, le cœur écoute. Cœur et oreille sont souvent mis ensemble. L’oreille, organe extérieur
s’articule avec le cœur intérieur et invisible. C’est ainsi qu’on comprend les paroles de Salomon demandant en songe à Dieu de lui donner « un cœur écoutant et intelligent4.» Pour penser comme il faut donc, il faut savoir écouter son cœur, car comme le montre Jean Louis Bischoff: « C’est au cœur qu’il appartient de juger droit et juste5» C’est par l’oreille du cœur que Dieu parle à son peuple. Telle est l’idée que saint Augustin nous montre dans les Confessions: « L’oreille de mon cœur est devant vous, Seigneur. Ouvrez-la et dites à mon âme : « Je suis ton salut. » 1» Et la parole de Dieu reste dès lors graver dans le cœur de celui qui écoute, comme la stèle de pierre que le temps ne peut abîmer : « Mon fils, retiens mes paroles, et garde avec toi mes préceptes. Observe mes préceptes, et tu vivras ; garde mes promesses comme la prunelle de tes yeux. Lie-les sur tes doigts, écris-les sur la table de ton cœur2 » dit le proverbe. Aimer Dieu, c’est aimer profondément sa loi au point de l’avoir au fond du cœur, d’en être totalement imprégné.
Cette idée du cœur qui sent Dieu s’apparente également à celle développée par saint Jean de la croix. André Bord montre dans son ouvrage Pascal et saint Jean de la Croix que, sur ce point « Pascal a lu le docteur mystique.3» Pour saint Jean, c’est le cœur qui sent vivement la pointe d’un amour ardent, celui de Dieu. Il écrit : le cœur, « sent […] une vive pointe qui donne dans la substance de l’esprit comme dans le cœur de l’âme […]; le milieu du cœur de l’esprit est l’endroit où se sent la plus fine délectation4.» Pour les deux donc, seul le cœur peut sentir Dieu. Voilà pourquoi c’est dans le cœur que Dieu se laisse trouver, car c’est là qu’il demeure. Ainsi, connaître Dieu par le cœur, ce n’est pas le connaître par le biais des arguments extérieurs, mais par sentiment intérieur.
En désignant l’organe qui sent Dieu, le cœur se donne chez Pascal comme l’expression d’une unité intérieure. Il a alors pour sens fondamental le centre de l’être, là ou l’homme s’entretient avec lui-même, se donne à Dieu. Il oriente vers l’intériorité. Et cette intériorité que Dieu seul peut sonder, est la source de toute raison, car elle mène au contact immédiat avec la vie divine. Pascal parle à cet effet de « centre », de « milieu du cœur ». Ainsi compris, le terme cœur signifie au-delà de la raison, un niveau plus profond de la vie spirituelle, où se réalise un contact avec le divin.
C’est à l’intérieur de l’homme que se trouve aussi son âme. En conséquence, le cœur se confond pour le penseur de Port-Royal avec l’âme. Le cœur désigne toute la profondeur de l’âme. Ce qui l’amène d’ailleurs à jouer avec indifférence dans ses textes avec ces deux termes, à les utiliser avec équivalence. Henry Gouhier montre dans Conversion et Apologétique que cela est dû au fait que: « Le mot « cœur » est celui qui convient dans tous les cas où l’on veut parler d’un mouvement de l’âme imprimé par Dieu1. » Le cœur a donc un certain dynamisme. Ce qui appartient au cœur c’est ce qui est toujours naissant, ce qui est toujours prêt à agir. On comprend dés lors son utilité dans la Prière. Pascal écrit : « Touchez mon cœur du repentir de mes fautes, […] Faites-moi […] considérer, dans les douleurs que je sens, celle que je ne sentais pas dans mon âme, quoique toute malade et couverte d’ulcères2. » L’écrit Sur la conversion du pécheur devient plus explicite à ce sujet: « Elle [c’est-à dire l’âme] traverse toutes les créatures, et ne peut arrêter son cœur qu’elle ne se soit rendue au trône de Dieu, dans lequel elle commence à trouver son repos3.» Ces propos paraphrasent le premier chapitre des Confessions de Saint-Augustin dans lequel il est écrit : « Notre cœur est inquiet jusqu’à ce qu’il se repose en vous4 » On retrouve aussi cette idée d’un dynamisme de l’âme dans un autre texte de saint Augustin : « Je n’ignore pas, que, quand nous entendons exhorter à aimer Dieu de tout notre cœur, cela ne concerne pas cette petite partie de notre chair qui est cachée sous nos côtes, mais ce dynamisme d’où naissent les pensées. Il porte à bon droit ce nom, car de même que le mouvement ne cesse pas dans le cœur, […], de même, sans repos, notre pensée s’agite toujours5.»
Comme dynamisme de l’âme, le cœur englobe ainsi les domaines de la volonté. Le cœur est l’instance où se situe la volonté. En cela, il est à rapprocher de la volonté. Et c’est ce qui ressort de l’Art de persuader, dans lequel Pascal opère un certain parallélisme entre cœur et volonté : « Personne n’ignore qu’il y a deux entrées par où les opinions sont reçues dans l’âme, qui sont deux principales puissances : l’entendement et la volonté. La plus naturelle est celle de l’entendement, car on ne devrait jamais consentir qu’aux vérités démontrées ; mais la plus ordinaire, quoique contre la nature, est celle de la volonté ; car tout ce qu’il y a des hommes sont presque toujours emportés à croire non pas par la preuve, mais encore par l’agrément6.» On voit donc par là que les hommes ont un penchant à suivre leurs inclinations, leur volonté. Ils ont tendance à croire que ce qu’ils désirent, car le plaisir reste : « la monnaie pour la quelle nous donnons tout ce qu’on veut7.»

Le cœur : lieu de la conversion

Source des passions, des « ordures », le cœur pascalien est toutefois capable de devenir source de lumière. Il peut être racheté, changé, incliné. Et cela par sa grâce qui va transformer le cœur mauvais de l’homme. En effet, Dieu a le pouvoir de transplanter à l’homme un cœur qui se montre soumis, qui se détourne de la puissance du moi pour se tourner vers le seul être aimable. Par sa grâce, Dieu recrée le cœur et le fait participer à l’amour dont il s’aime lui-même. Mais, cette grâce est un don, car même si l’homme choisit l’amour de Dieu, il ne peut s’unir à lui, sans le secours de l’Esprit Saint qui élève ses facultés spirituelles à la vie divine. C’est dans ce sens que Saint Paul disait que : « Vouloir le bien est à ma portée, mais non pas l’accomplir1». Par la grâce, Dieu transforme le cœur de l’homme, par un mouvement de douceur en le détournant de tout autre sentiment. Le cœur, purifié comprend ainsi que l’amour de Dieu est sans égal. L’écrit Sur la Conversion du pécheur va dans ce sens : « Car encore qu’elle ne sente pas ces charmes dont Dieu récompense l’habitude dans la piété, elle comprend néanmoins que les créatures ne peuvent être plus aimables que Dieu, et sa raison aidée de la lumière de la grâce lui fait connaître qu’il n y a rien de plus aimable que Dieu. » Tel est d’ailleurs l’expérience qui habite Pascal dans la soirée du 23 Novembre 1654 : « Certitude, certitude, sentiment, joie, paix. […] Joie, joie, joie, pleurs de joie2. »
Le cœur est capable de paix quand Dieu s’y promène, comme dans le cœur des élus, des saints. Dieu peut l’incliner, le convertir afin qu’il puisse comme l’écrit Jean Louis Bischoff « vivre sa pente vers l’universel3.» Et c’est ce que Pascal trouve dans la prière de David « Incline mon cœur vers tes témoignages4.» Ce verset devient actif sous de nombreux écrits de Pascal, notamment dans les fragments 380 et 382, où nous pouvons lire respectivement : « Il incline leur cœur à croire. On ne croira jamais, d’une créance utile et de foi si Dieu n’incline le cœur et on croira dés qu’il l’inclinera. », « Dieu-imprime-incline véritablement ceux qu’il aime à croire. » Le cœur illuminé par la grâce peut sentir ainsi Dieu, Dieu peut l’habiter, y pénétrer avec force et l’abonder de sa grâce. D’où la prière de Pascal : « Ouvrez mon cœur, Seigneur ; entrez dans cette place rebelle que les vices ont occupée. Ils la tiennent sujette ; entrez-y comme dans la maison du fort ; mais liez auparavant le fort et puissant ennemi qui la maitrise et prenez ensuite les trésors qui y sont _ Seigneur prenez mes affections que le monde avait volées1. » Cette supplication, cette demande montre que c’est Dieu qui est l’initiateur. L’élan vient de Dieu, c’est toujours lui qui prend l’initiative et l’homme ne fait que répondre à son appel. On retrouve cette idée dans la Bible. En effet, Saint Jean souligne dans son premier Epître au chapitre quatre que: « Ce n’est pas que nous avons aimé Dieu » (Jean I, 4, 10), « mais nous avons cru à l’amour » (Jean I, 4,16). « A l’amour dont il nous a aimés le premier » (Jean I, 4, 19), et « à l’amour théologale que lui-même infuse dans notre âme, car l’amour vient de Dieu» (Jean I, 4, 7). Ainsi compris, c’est Dieu qui nous attire en premier vers lui. C’est lui qui quémande, sollicite notre amour. Et c’est là ce que signifie « l’inclination » que David et Pascal, sollicitent, implorent.
C’est la grâce efficace qui opère un changement profond dans le cœur de l’homme. Elle devient le moyen par lequel Dieu incline le cœur, et dévoile la vérité aux hommes en réorientant leur cœur, leur volonté vers le souverain bien. Dans la dix-huitième lettre aux Provinciales Pascal écrit : «L’homme, par sa propre nature, a toujours le pouvoir de pécher et de résister à la grâce, et depuis sa corruption, il porte un fonds malheureux de concupiscence, qui lui augmente infiniment ce pouvoir. Mais néanmoins, quand il plaît à Dieu de le toucher par sa miséricorde, il lui fait faire ce qu’il veut et en la manière qu’il veut, sans que cette infaillibilité de l’opération de Dieu détruise en aucune sorte la liberté naturelle de l’homme, par les secrètes et admirables manières dont Dieu opère ce changement, que saint Augustin a si excellemment expliquées, et qui dissipent toutes les contradictions imaginaires que les ennemis de la grâce efficace se figurent2. »

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Table des matières

INTRODUCTION
CHAPITRE I : L’ANTHROPOLOGIE
1/ LES DEUX ETATS DE L’HOMME
2/LA CHUTE
CHAPITRE II : LES FONDEMENTS DE LA FOI
1/ LE CŒUR
a/ Le cœur et ses différentes acceptions
b/ Le cœur : lieu de la conversion
2/ LE DIEU CACHE
CHAPITRE III : LA VERACITE DE LA RELIGION CHRETIENNE
1/ PROPHETIES OU FIGURES
a/ Les figures
b / Les prophéties
2/ LES MIRACLES
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE

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