Logique causale et raisonnement de l’entrepreneur causationniste

Logique causale et raisonnement de l’entrepreneur causationniste

Quels sont les processus et les étapes de raisonnement qui caractérisent la logique causationniste ? Un approfondissement plus philosophique montre que cette description qui part de la réflexion pour aboutir à l’acte d’agir, en passant par des processus de décisions (par ailleurs complexes, modèles mentaux) évoque l’homme rationnel décrit par Platon. D’où notre interrogation l’entrepreneur causationniste serait-il un entrepreneur platonicien (qui raisonne en suivant un modèle mental bien précis) ? Le schéma ci-dessous (inspiré des travaux de Sarasvathy) illustre le raisonnement linéaire et fixé sur objectifs de l’entrepreneur causationniste.

Cependant, quels que soient les moyens disponibles, quelles que soient les qualités dont dispose l’entrepreneur causationniste, quel que soit l’objectif fixé, il n’est jamais sûr de soi que l’objectif fixé soit atteint comme montre ce schéma. Par illustration, on peut remarquer dans ce schéma que la ressource (M1) est mobilisée pour ce (O) bjectif mais que cette ressource ne permet pas d’atteindre l’(O)bjectif que l’entrepreneur s’est fixé. De ce fait, l’on peut supposer, en restant dans les propos de l’auteur que la ressource M1 s’avère inefficace puisque sa mobilisation n’a donné aucun effet. Et comme ce tireur d’arc, M1 ne permet pas d’atteindre la cible fixée ou l’(O)bjectif à atteindre. Silberzahn (2014) affirme dans ce sens que ce qui est problématique dans la logique causale c’est en fixant un (O)bjectif donné, l’entrepreneur causationnistes mobilise des postes de dépense (ou ressources) compte tenu des représentations sur la base de principes généraux ( logique causale, démarche par prédiction ou par prévision ), alors qu’en réalité rien n’est sûr qu’il atteindra l’(O)bjectif.

Une des faiblesses de la démarche réside, selon l’auteur (2012) par le fait que ce type de raisonnement repose sur une logique de causes à effets. C’est le cas lorsque l’entrepreneur fixe comme un seul (O)bjectif : pénétrer un marché étranger supposé probablement potentiel. Dans ce cas de figure, celui-ci déploie à cet effet un poste de dépenses, soit pour commander une étude de marché qui peut lui éclairer sur le marché ciblé ou le secteur ciblé, soit il se rend lui même sur place (frais de voyage, frais de séjour pour son hôtel ,l es frais de transport et autres frais annexes) pour étudier et analyser le marché cible en question, ensuite négocie avec des futurs fournisseurs. De ce fait, si on reprend le schéma ci-dessus, celui-ci montre d’une part, qu’en suivant le raisonnement de cet entrepreneur, rien ne lui garantit que les résultats, compte tenu de la conjoncture de son marché étranger, correspondent à ses attentes. Et d’autre part, rien ne lui garantit que les informations qu’on lui fournisse dans son étude de marché reflètent à ce qu’il attendait au départ, alors même des ressources (ou moyens) sont utilisées, voire engagées (cf. aux coûts du voyage et du séjour). Tandis que dans le cas de l’effectuation, l’entrepreneur effectuationniste fixe des (O)bjectifs à atteindre sur la base de pré-engagement et d’engagement (commitment, Read et Sarasvathy, 2005) sur des ressources potentiellement mobilisable.

Pour ces auteurs, la limite du raisonnement causal est dans l’impossibilité de déterminer comme l’on puisse prétendre que l’entrepreneur causationniste va atteindre l’(O)bjectif (but) qu’il s’est fixé puisque les principes généraux sur lesquels il fonde sa démarche ou sa décision, ne sont pas sans limites. L’on peut supposer qu’en arrivant sur le marché étranger l’entrepreneur peut changer d’objectifs compte tenu de l’état du marché étranger et des paramètres économiques que son étude de marché n’a pas fait ressortir par ignorance ou par méconnaissance. De ce fait, l’(O)bjectif à atteindre peut dépendre de la conjonction de plusieurs facteurs:
– La capacité de cet entrepreneur à utiliser et à maitriser des outils ainsi que des méthodes que préconisent les formations universitaires et écoles de commerce d’une part,
– L’agilité en termes de capability au sens de Sen (1993) pour cet entrepreneur à discerner des contingences en évolution et des changements (structurels, politiques ou économiques en cours) de son environnement. Autrement, la capacité d’être vigilant au sens que lui donne Kirzner (1976).

Read et Sarasvathy (2005) affirment par conséquent que cet entrepreneur est dans une logique de contrôle et, de fait ce type de raisonnement fait que celui-ci n’est pas très ouvert aux contingences avantageuses.

Le modèle de réflexion pour cet entrepreneur « étiqueté classique » s’apparente au modèle de réflexion standard du décideur classique notamment le modèle de la RDA : réflexion- décisionaction proche du modèle de réflexion de la philosophie platonicienne. Une approche plutôt réflexive où dans le cas de la causation, ce sont les connaissances et les savoir-faire théoriques qui sont privilégiés plus qu’autres choses. Il est intéressant de comprendre pendant les entretiens si ce modèle est aussi identique chez les profils d’entrepreneur expert dont décrit Sarasvathy (2001a, b). Pour ensuite analyser comment ce modèle se déploie selon les profils ou les figures d’entrepreneur que nous avions rencontrées ? Pour Sarasvathy (2001a, b) une des différences entre les entrepreneurs experts et les entrepreneurs novices (primo-créateurs) résident d’une part :

– dans les stratégies d’action (par exemple plutôt que de faire seul sans être accompagné ou conseillé, je mobilise des partenaires, mon entourage ou des amis proches au regard de ce que je connaisse) ;
– dans la prise de décision (par exemple plutôt que d’appliquer des modèles standards de la prise de décision (je réfléchis, j’analyse et je décide, kalika et alii,2006) je sollicite d’avis d’autres personnes réputées meilleures que moi sur telle ou telle situation ) ;
– dans les principes (par exemple plutôt que de miser uniquement sur mes acquis théoriques et sur ce que j’ai appris de manière transmissive, j’évalue aussi mes chances compte tenu de mes moyens, de mes ressources et mes capacités individuelles et je décide selon mes principes ce que j’accepte de perdre ou pas dans mon projet)
– dans la fixation des objectifs (par exemple plutôt de cibler un seul objectif, je décide de strarifier l’objectif par des buts atteignable où chaque but atteint ouvre une nouvelle perspective pour l’objectif final, autrement je ne fixe pas mon objectif pour une seule ressource, j’intègre aussi des ressources alternatives) .

D’autre part, la différence entre les approches « causation » et « effectuation » se trouve dans les « heuristiques ». Pour Sarasvathy (2001a), là où l’entrepreneur causationniste se concentre par exemple sur le prix du marché résultant de l’équilibre entre l’offre et la demande, approche néoclassique, l’entrepreneur effectuationniste se focalise sur les franges de marchés où l’offre et la demande sont inexistantes, et où les entreprises et les organisations ne prennent pas d’initiative économique. Du point de vue pratique, le raisonnement par effectuation libère l’entrepreneur et le décideur « expert » des prédispositions de la logique causale du fait que celui-ci construit et découvre, au fur et à mesure du processus, de nouvelles réalités qui lui était impossible d’imaginer Sarasvathy (2001a). Dans la même continuité, une autre chercheure notamment Sarrouy-watkins, (2010) affirme que le raisonnement par effectuation permet à l’entrepreneur, contrairement à la causation, à faire face à des réalités que celui-ci est impossible d’envisager, a priori dans son projet. Elle décrit la logique de l’entrepreneur causationniste en tant que démarche dans laquelle le processus entrepreneurial suit un raisonnement où l’entrepreneur est face à des contraintes. Certaines contraintes ont été identifiées à travers l’enquête qu’Abdesslam et alii (2004) ont réalisée. Ce sont des contraintes financières, techniques, informationnelles puisque d’après eux, l’entrepreneur n’anticipe pas tous les aspects de la création d’activité.

Intrication entre logique causationniste et logique effectuationniste

Filion, Borges et Simard (2006) ont étudié les processus de création d’entreprise. Leur étude fait ressortir les principales difficultés que peuvent rencontrer les entrepreneurs dans le processus entrepreneurial. L’étude a été faite sur des créations de moins de 5 ans. Pour les auteurs, ce choix a permis de recueillir de manière rétrospective des informations fraîches que le créateur garde en mémoire. L’enquête a mobilisé 201 entreprises créées entre 1999 à 2001.

En termes de résultats, l’étude de Filion et Borges (2006, p. 10) montre effectivement dans une logique causationniste que 93 % des personnes consultées disent avoir utilisé un plan d’affaires (business plan) au moment de la création de leur affaire. Une analyse plus fine de leurs résultats indique cependant des logiques de type plutôt effectuationniste, ce qui laisse plutôt penser que la création d’activité suit une combinaison de ces deux logiques. C’est ainsi que les auteurs remarquent que :
– seuls 31 % des plans d’affaires élaborés comportaient une étude de marché complète,
– 49 % des plans d’affaires avaient une étude de marché sommaire, et,
– 20 % n’en avaient pas,
– 50 % des créateurs d’entreprise ont réajusté ce qu’ils avaient prévu dans leur processus entrepreneurial.

Ils expliquent les raisons de ce faible pourcentage d’utilisation d’une étude de marché par des difficultés constatées chez les créateurs d’entreprise à faire eux-mêmes une analyse de marché pourtant préconisée pour la création d’entreprise.

Les raisons du réajustement du plan d’affaires en cours de route seraient dues à des besoins en capital qui ont finalement augmenté, soit à une nouvelle acquisition d’équipement qui s’est avérée incontournable. Il semblerait qu’il y ait une sous- estimation initiale des besoins futurs dans la conception même des plans d’affaires, difficulté récurrente et peut-être structurelle (impossibilité de tout prévoir à l’avance) qui doit être résolue au fil de la création d’activité et de manière relativement flexible. Le plan ne peut s’appliquer mécaniquement. Toujours concernant le plan d’affaires, les auteurs notent que :

– 48 % des entrepreneurs lient leur réussite (Etape.3 Démarrage) au plan d’affaires qu’ils ont réalisé,
– 19 % pensent que le plan d’affaires a été déterminant (plutôt qu’important) dans leur projet,
– 17 % pensent que le plan d’affaires est important, 11 % affirment qu’il est peu important, et,
– 5 % pensent qu’il n’est pas important.

Le rapport de stage ou le pfe est un document d’analyse, de synthèse et d’évaluation de votre apprentissage, c’est pour cela chatpfe.com propose le téléchargement des modèles complet de projet de fin d’étude, rapport de stage, mémoire, pfe, thèse, pour connaître la méthodologie à avoir et savoir comment construire les parties d’un projet de fin d’étude.

Table des matières

Introduction
Première partie Corpus théorique et cadre conceptuel
1. Création d’entreprise et représentations théoriques ou managériales de l’activité
Introduction
1.1. Logique causale et raisonnement de l’entrepreneur causationniste
1.1.1. Intrication entre logique causationniste et logique effectuationniste
1.1.2. Aux sources du causationnisme : un entrepreneur platonicien ?
1.2. Modèle du processus entrepreneurial
1.2.1. Cas d’application du raisonnement causal en situation de création d’entreprise
2. Création d’entreprise et capacités individuelles rivales pour une effectuation réussie
Introduction
2.1. Cadre théorique et positionnement de la théorie de l’effectuation
2.1.1. Raisonnement de l’entrepreneur effectuationniste
2.1.2. Processus entrepreneurial de l’entrepreneur effectuationniste (Sarasvathy, 2001a)
2.2. Définition de l’opportunité entrepreneuriale
2.3. Logiques d’actions des entrepreneurs experts (Sarasvathy et al, 2009)
2.3.1. Comportements des entrepreneurs experts et situations où l’incertitude domine
2.3.2. Créativité et efficacité de l’entrepreneur expert
2.3.3. Conditions d’une effectuation réussie
3. Création d’entreprise et environnement habilitant: une approche par les ressources et les conditions facilitantes
Introduction
3.1. Définition du territoire
3.2. Proximité territoriale et effets de levier de développement économique en situation d’entrepreneuriat
3.3. Territoire et espace de valorisation des compétences des parties prenantes
3.3.1. Proximité géographique et relation de proximité : deux notions distinctes dans la configuration des réseaux à liens faibles
3.4. Force des réseaux à liens faibles et création d’entreprise: une approche par les réseaux sociaux
3.5. Facteurs d’entrepreneuriabilité du territoire, condition de leur identification et création d’entreprise
3.5.1. Territoire et contingence territoriale
Deuxième partie Méthode des incidents critiques (MIC)
4. Revue de littérature sur la méthode des incidents critiques (MIC)
Introduction
4.1. Rappel de la question de recherche & des trois hypothèses retenues
4.1.1. Revue de littérature sur la méthode des incidents critiques
4.1.2. Qu’entend-on par incident critique ? Les contours d’une définition
4.1.3. Méthode de recherche d’incidents critiques
4.1.4. Ecriture d’incidents critiques
4.1.5. Incidents critiques (IC) et processus de création d’activité (PCA)
4.1.6. Méthode des incidents critiques appliquée dans un contexte entrepreneuriable
4.1.7. Méthodologie d’enquête utilisée pendant les entretiens directs
4.2. Choix du segment territorial et de l’Echantillon
4.2.1. Pourquoi le 10e arrondissement (justification du choix du terrain)
4.2.2. Echantillonnage
4.2.3. Noms des commerces sélectionnés (échantillonnage) lors du deuxième entretien
5. Epistémologie du créateur d’activité et grand moment entrepreneurial
Introduction
5.1. Grand évènement: un élément précurseur du désir de créer une activité ou de posséder une entreprise
5.1.1. Questionnement épistémologique et définitions de l’entrepreneuriat
5.1.2. Figures d’entrepreneurs dans la théorie économique classique
5.1.3. Motivation et intention entrepreneuriale (IE)
5.1.4. Origine des perspectives de la création de nouvelles activités et Opportunité entrepreneuriale
5.2. Epistémologie naissante pour une question de recherche actuelle
5.2.1. Cadre théorique
5.2.2. Position épistémologique
5.2.3. Design de recherche
5.2.4. Critiques épistémologiques des trois hypothèses
Troisième partie Restitution des entretiens et leur croisement aux hypothèses retenues, analyse des contenus qualitatifs, écriture des incidents rencontrés et méthodes de résolution
6. Restitution de contenus qualitatifs, écriture des incidents de création d’activité et analyse thématique
Introduction
6.1. Restitution (retranscription) des entretiens, croisement aux hypothèses retenues et analyse des contenus qualitatifs
6.2. Ecriture d’incidents liés au processus de création d’activité (PCA), méthode de résolution des incidents et analyse des contenus qualitatifs
6.2.1. Ecriture des incidents liés à la création d’activité et méthode de résolution des incidents identifiés par les entrepreneurs
6.2.2. Analyse et interprétation des contenus de l’enquête, conclusion générale de fin de thèse et recommandations
Conclusion générale

Lire le rapport complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *