Réforme de la gestion publique sous la loupe de l’économie institutionnelle

WEBER et le principe général de l’efficacité administrative

              Suite à la présentation précédente des idéal-type wébériens, il faut ici s’attacher à sa conception de l’organisation bureaucratique standard. Ceci permettra de savoir de quelle manière la hiérarchie se démarque des autres structures organisationnelles sur le plan de l’efficacité. Toute organisation étant constituée d’agents, il sera nécessaire de constater comment WEBER conçoit les « fonctionnaires idéaux ». La gestion publique en tant qu’organisation destinée à remplir un certain nombre de tâches administratives complexes, il est clair que la bureaucratie constitue pour WEBER un idéal organisationnel ultime : elle est fondée sur un agencement hiérarchique encore appelé pyramidal, ce qui va garantir une multitude de capacités opérationnelles pour ce type de structure. En même temps, on devrait se souvenir que l’administration se calque encore sur ce schéma directeur. Néanmoins, la littérature a su faire preuve d’innovations théoriques qui ont eu cependant de grandes difficultés à être appliquées en pratique ailleurs que dans le champ de l’économie ou de la gestion expérimentales. Puisque l’efficacité est le propre de ce type d’institutions, il est temps d’en exposer les fondements pour qualifier l’administration publique selon Max WEBER:
• L’administration publique doit présenter des aires de compétences délimitées: chaque agent ou direction doit par conséquent connaître ses prérogatives et son domaine d’activité, afin d’éviter à tout prix des zones hors contrôle.
• L’administration publique doit reposer sur un système de supervision hiérarchique ; la bonne marche de l’activité administrative est structurée par l’existence de mécanismes de contrôles verticaux, donc de coordination selon WEBER. Aujourd’hui, les instances de coordination (cf. CHIBBER [2002] dans le cas des pays du SUD) sont l’essence de la recherche sur la gestion publique, à cause notamment de la nécessité d’internaliser des effets externes positifs liés à la mise en commun de l’information ; il s’agit aussi de tenir compte de la mise en œuvre de programmes communs à plusieurs ministères.
• Il faut un système de collecte de dossiers, d’archivage et de gestion de la paperasserie. Cet argument fondateur d’un des critères de l’efficacité bureaucratique amène à penser à l’organisation du système d’information interne aux organisations administratives. La circulation de l’information repose traditionnellement sur un axe vertical, les subordonnés transmettant à leurs supérieurs les informations qu’ils ont traitées, et les supérieurs prenant les décisions et les imposant aux subordonnés.
• L’organisation des tâches en interne doit être parcellisée, à la manière du taylorisme en économie industrielle, et ce, afin de promouvoir la spécialisation des agents publics. Chacun devient responsable d’une fraction minime de l’activité de l’organisation. Le but de cette procédure est la spécialisation dans un domaine de petite taille.
• La phase d’administration proprement dite, donc de gestion des dossiers en première approximation, prend beaucoup plus de temps que la phase d’exécution de l’activité de la bureaucratie. Ou encore, il est plus long de mettre en place une bureaucratie centralisatrice d’informations que de gérer la partie opérationnelle, au contact du public. L’efficacité de traitement des dossiers a un coût en temps, mais qui reste inférieur à celui que l’on supporterait en l’absence d’institutions administratives hiérarchiques.
• Enfin, l’organisation administrative « moderne » doit obéir à un ensemble de règles destinées à encadrer l’ensemble des opérations des agents. Les fonctionnaires abandonnent toute marge de manœuvre et toute flexibilité décisionnelle au profit de la règle assurant la vie de l’organisation.
La recherche de rentes et l’opportunisme égoïste des agents échappe à cette conception scientifique de l’administration publique de WEBER : « L’auteur se distingue également de cette dernière par sa conception de la rationalité limitée et sa thèse de l’opportunisme : l’« homme contractuel » diffère de l’Homo oeconomicus en ce qu’il est prêt à mentir ou à tricher pour défendre ses intérêts. » Si l’on s’en tient pourtant aux points essentiels de l’idée wébérienne d’efficacité administrative, il est inutile de chercher à implémenter des structures plus efficaces que l’optimum bureaucratique. Néanmoins, des auteurs, dont ceux déjà mentionnés, vont pointer les défaillances de l’institution hiérarchique et lui préfèreront des alternatives plus flexibles et « participatives ». Il est complexe pour des administrations publiques de gérer des territoires vastes et qui ont des pratiques différentes de se constituer en structures purement participatives et centralisées éloignées de la logique se référant à un modèle unique puisque selon l’ouvrage de BERNARD Chavance : « la sphère de la coutume déborde toujours et excède celle du droit formel, bien qu’elle n’ait pas d’exécuteur déterm iné, contrairement à celui-ci .» Il est doncplus facile de se raccrocher à l’idéal wébérien, même si un peu de coordination horizontale est susceptible de s’insérer dans le projet institutionnel.

Les grandes lignes d’A. DOWNS

           A. DOWNS renouvelle les méthodes de la science politique en s’inspirant de l’économie. Il initie l’application de la théorie du choix rationnel à la modélisation du régime démocratique, saisi comme un marché dans lequel les partis politiques agissent comme des courtiers, c’est-à-dire des intermédiaires entre citoyens et gouvernants. « En politique démocratique, les partis sont analogues aux entrepreneurs dans une économie tournée vers le profit : c’est là notre thèse centrale ». Selon DOWNS, le critère théorique de progression dans la fonction publique devrait être celui du mérite. En fait, il est beaucoup plus facile de gérer les hiérarchies publiques au moyen d’une grille salariale standard destinée à sauvegarder l’impersonnalité des relations entre les pôles de l’organisation : rémunérer les titulaires au mérite complique lourdement la gestion publique. Le problème du contrôle, déjà délicat à gérer, se révèle encore plus ardu si l’on développe des barèmes complexes : il faudrait pour cela indiquer une grille de performance standard de façon à ne pas faire de ces ajustements salariaux au mérite, un système où règnent la cooptation et le pouvoir discrétionnaire des supérieurs hiérarchiques. Les réformes actuellement menées se destinent à essayer de juxtaposer les avantages de l’ancienneté et du mérite afin d’automatiser la rémunération par des règles intangibles tout en offrant une certaine marge de manœuvre aux gestionnaires publics. Pour DOWNS [1967], il est donc possible de formuler un certain nombre de lois régissant le fonctionnement habituel de l’administration publique.
• DOWNS parle d’abord de la loi de croissance du conservatisme : plus l’ancienneté du service administratif est importante, plus il abandonne une partie des projets innovants qui avaient pu justifier sa création, et se cantonne aux projets déjà amortis et connus de la population. Ceci revient à dire que la propension aux réformes est relativement limitée au fil du temps, ce qui justifie une intervention politique afin de restaurer une certaine créativité des services.
• DOWNS évoque aussi la loi de la hiérarchie : c’est le mode traditionnel de fonctionnement institutionnel de l’administration publique, sur lequel il n’est pas nécessaire de revenir.
• En référence au fonctionnement pyramidal des administrations, DOWNS aborde le problème du contrôle des agents – ce qui inspirera les approches en termes d’agence, sur un plan théorique, de même que les mesures destinées à impulser une prise en compte des performances des fonctionnaires – avec d’abord la loi du contrôle imparfait : personne ne contrôle intégralement l’organisation bureaucratique du fait de sa taille et de l’impossibilité de coordonner pleinement l’ensemble des pôles de contrôle de façon centralisée.
• La loi du contrôle décroissant constitue un corollaire de la loi précédente. Elle montre que l’intensité de l’autorité des supérieurs hiérarchiques diminue à mesure que le nombre d’échelons les séparant de leurs subordonnés augmente, ou encore à mesure que l’on rajoute des échelons inférieurs à l’organisation. Les réformes dites de « Nouvelle Gestion Publique », au centre des tentatives actuelles pour moderniser les administrations, ont notamment pour objectif de contourner cet obstacle en développant ce que l’on appelle la « déconcentration managériale », à savoir une plus grande « décentralisation » de la prise de décision dans les GRH publiques.
• Un autre corollaire des problèmes de contrôle dans les administrations est constitué par la loi de l’anti-contrôle : à mesure que les mécanismes de contrôle sont mis en place dans l’administration, il existe une tendance des agents à chercher à se prémunir contre ces mesures. Ainsi donc, alors même que les procédures de contrôle sont coûteuses en termes de budgets publics, DOWNS signale que les agents vont utiliser leurs ressources en temps pour dissimuler leurs éventuels manquements dans leur travail. Le contrôle provoque une réaction inverse qui ajoute un nouveau coût de fonctionnement, à la fois financier et non financier, pour l’organisation.

Incitations à la performance et gestion des asymétries d’information

             Dès que l’on parle d’incitations, on envisage l’occurrence de comportements volontairement ou non inadaptés, c’est-à-dire que l’administration doit se prémunir contre un certain nombre de dérives. Ceci permet d’exclure la vision irénique d’une bureaucratie bienveillante faite par des agents pleinement dévoués aussi bien que celle qui ne serait composée que d’agents purement opportunistes. Pour résorber les biais bureaucratiques, il faut d’abord pallier le problème portant sur l’asymétrie des informations entre la tutelle et son service ou ses agents subordonnés. Profitant d’un avantage informationnel, les subordonnés peuvent contourner les injonctions de la tutelle. Améliorer la connaissance de l’activité des services administratifs pour la tutelle implique de recourir à des méthodes de contrôle coûteuses, ce qui peut parfois conduire à s’accommoder des biais administratifs. Car la quête de l’efficience financière a un coût qu’on ne saurait négliger. La configuration de la relation entre le service administratif et sa tutelle est caractéristique. D’un côté un pouvoir discrétionnaire d’autant plus enclin à se traduire en recherche de rentes que l’information est opaque pour la tutelle. De l’autre, un pouvoir de sanction dans un cadre peu propice à une bonne évaluation des comportements opportunistes, dans la mesure où la tutelle connaît toujours moins bien que ses subordonnés l’état de leurs activités et de leurs efforts, alors même que l’output administratif est en général observable. Pour accroître l’efficacité des incitations de manière à limiter les biais bureaucratiques, donc pour augmenter la performance des administrations, il faut trouver des règles permettant de contrecarrer les asymétries d’information. La solution serait d’accroître l’incertitude ou le risque auxquels fait face le service administratif. En rendant les risques de pénalités, les contrôles, les rémunérations et les budgets aléatoires du point de vue du service, la tutelle peut se ménager une marge pour inciter les fonctionnaires à l’effort ; ce cadre conceptuel suppose des agents qui maximisent leur espérance de budget, et arbitrent entre l’intérêt de respecter les objectifs tutélaires et l’intérêt d’adopter un comportement opportuniste de recherche de rentes. Dans ce domaine, l’apport des articles de BENDOR et MOE [1985] et de BENDOR et al. [1985], bien qu’anciens, reste incontournable pour donner les bases du raisonnement économique qui sous tend les réformes de NGP. En conséquence, puisque l’occurrence des biais bureaucratiques va croissant avec le degré d’asymétrie informationnelle, la solution incitative adéquate est donc souvent de rendre plus aléatoire le comportement de la tutelle, ce qui affectera en général le comportement des services dans le sens d’une réduction des dérives bureaucratiques. A cela, on peut objecter néanmoins l’incidence néfaste de rapports conflictuels entre la tutelle et ses services subordonnés, nuisible à la culture administrative ou à l’esprit de corps, si la question des incitations et des pénalités avive la suspicion ou les tensions entre tutelle et subordonnés. Certains pourraient s’interroger sur l’éventualité d’une telle dégradation de l’environnement institutionnel administratif au nom de l’objectif d’efficience et de la performance. Ici, les règles incitatives sont inspirées des méthodes de gestion d’entreprise, centrées sur l’objectif de rentabilité économique ; au vu de l’exigence de premier ordre de cet argument, on comprend que les entreprises aient appliqué de telles normes. Il est aujourd’hui de plus en plus facilement admis que les règles de management public doivent aussi se plier à ces contraintes, ce qui témoigne notamment de l’essor de la NGP.

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Table des matières

INTRODUCTION
Partie I) Les apports de l’économie institutionnelle à la modernisation des Etats
I-1 L’approche sociologique de l’efficacité administrative selon WEBER
I-1-1 Introduction à la pensée de WEBER
I-1-2 WEBER et le principe général de l’efficacité administrative
I-1-3 Limite de l’efficacité bureaucratique de WEBER
I-2 L’approche économique de la performance publique selon DOWNS
I-2-1 Les grandes lignes d’A. DOWNS
I-2-2 La convergence de la conception de WEBER vers celle de DOWNS
I-2-3 Analyses des caractères spécifiques des comportements administratifs individuels
I-2-4 Critique de Downs vis à vis de l’économie institutionnelle
I-3 Les apports du management privé comme fondement de la NGP
I-3-1 La revue de la littérature sur la NGP
I-3-2 Présentation et analyse de la NGP du point de vue de l’Economie Institutionnelle
Partie II) L’insuffisance prise en compte de l’économie institutionnelle dans la conduite de la réforme de l’administration malgache
II-1 La dynamique socio-historique de l’administration malgache
II-1-1 La fonction publique Malgache au moment de l’indépendance
II-1-2 Présentation globale de la fonction publique malgache de1960-1967
II-2 L’analyse du niveau de performance actuel de l’administration malgache
II-2-1 La gestion de la fonction publique de l’Etat
II-2-2 La gestion des finances publiques
II-3 Les pistes d’amélioration dans la conduite de la réforme de l’Etat et de l’administration
II-3-1 L’émergence de la bonne gouvernance et d’un véritable état de droit
II-3-2Les avantages de la Nouvelle Gestion Publique dans la pratique administrative malgache
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE

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