Analyses du comportement de corruption

La délégation constitue un mécanisme puissant de coordination, assurant la fluidité des transactions. Le fonctionnement d’une économie repose en effet sur deux piliers: la régulation par le marché et la constitution d’organisations, dans lesquelles la délégation se substitue aux prix pour assurer la coordination des échanges ( «[. . . ] While economists treat the price mechanism as a co-ordinating instrument, they also admit the co-ordinating function of the “entrepreneur” » R.H. Coase, 1937 p.389). En ce sens, la notion de corruption est intimement liée à l’activité économique. Selon un assez large consensus parmi les économistes, la caractéristique centrale d’une situation de corruption est en effet d’organiser le détournement d’un pouvoir discrétionnaire au bénéfice d’un tiers, qui en offre rétribution. En ce sens, la corruption constitue un défi supplémentaire lancé à la théorie des incitations. Leur objectif est de réconcilier les intérêts divergents du délégué et du délégant par l’intermédiaire des dispositions établies par le contrat de délégation. Or la corruption greffe un second accord, sur ce premier contrat, dont l’objectif est d’instaurer un motif additionnel de divergence grâce au versement d’un “pot-de-vin” (bribe). Cet accord illégal, le “pacte de corruption”, créé donc de nouvelles incitations, orientées vers le détournement du pouvoir discrétionnaire.

Le propos de ce chapitre est de montrer que l’analyse micro-économique de la corruption repose sur les propriétés de ces accords et les caractéristiques des joueurs qui y participent. Les situations que recouvre le concept de corruption ont en effet en commun une structure particulière d’interactions. En conséquence, nous retenons une définition “contractuelle” de la corruption, en nous appuyant sur la description proposée par Banfield (1975, p. 587) :

« [. . . ] An agent serves (or fails to serve) the interest of a principal. The agent is a person who has accepted an obligation (as in an employment contract) to act on behalf of his principal in some range of matters and, in doing so, to serve the principal’s interest as if it were his own. The principal may be a person or an entity such as an organization or public. In acting in behalf of his principal an agent must exercise some discretion ; the wider the range (measured in terms of effects on the principal’s interest) among which he may choose, the broader is his discretion. The situation includes third parties (persons or abstract entities) who stand to gain or lose by the action of the agent. There are rules (both laws and generally accepted standards of right conduct) violation of which entails some probability of a penalty (cost) being imposed upon the violator. A rule may be more or less indefinite (vague, ambiguous or both), and there is more or less uncertainty as to whether it will be enforced. An agent is personally corrupt if he knowingly sacrifices his principal’s interest to his own, that is, if he betrays his trust.».

Les mécanismes à l’œuvre peuvent être illustrés par l’exemple, abondamment utilisé dans la littérature (Manion, 1996 ; 1998 ; Yava, 1998 ; Cadot, 1987), de l’attribution de permis de production par un agent public. Dans ce type de situation, un fonctionnaire est chargé par l’État de choisir les entreprises qui se verront autorisées à entrer dans un secteur d’activité réglementé. L’État souhaite que les firmes qui se voient attribuer un permis respectent les réglementations en vigueur, et laisse le soin à l’agent d’apprécier les aptitudes des firmes candidates. Pour chacune d’entre elles, le profit dépend exclusivement de l’attribution d’un permis : il ne saurait être positif sans que la firme se trouve en position de produire. Le principal (l’Etat) et le corrupteur (toute firme candidate qui ne respecte pas les critères d’attribution des permis) ont donc des intérêts opposés. Si l’agent n’a pas de préférences quant à l’identité de l’entreprise sélectionnée, il peut accepter un pot-de-vin et choisir en échange l’entreprise qui le lui a versé. A l’inverse, le système de délégation choisi par l’Etat peut le porter à une conscience professionnelle suffisamment forte pour refuser toute relation de corruption et choisir les firmes qui méritent un permis. Ces deux situations sont à l’évidence incompatibles et l’agent, s’il a accepté un pot-de vin, devra trahir la confiance ou du principal ou du corrupteur.

Comprise comme l’imbrication de deux accords aux motifs contradictoires, la corruption tire ses spécificités des incitations divergentes qu’elle instaure. La démarche adoptée ici pour en exposer les conséquences comprendra deux temps. Dans un premier temps, nous essaierons de montrer comment l’analyse des relations bipartites a permis à l’analyse microéconomique de comprendre les conditions d’émergence et de mise en œuvre de la corruption. Comme le suggère la définition que nous avons adopté, l’existence d’un contrat de délégation est une condition préalable à son émergence. La Section (i) est consacrée à décrire les propriétés du contrat de délégation et les déterminants du comportement de corruption qui en résultent. La possibilité que s’instaure une relation de corruption repose sur l’existence d’un corrupteur. La position qu’il occupe vis-à-vis du principal et, en particulier, le conflit d’intérêt qui les oppose permet de raffiner la définition contractuelle de la corruption et de comprendre les motivations du corrupteur (Section (ii)). Elles guident son comportement qui, conjointement à celui de l’agent, détermine les propriétés du pacte de corruption et leurs conséquences sur sa mise en œuvre effective (Section (iii)). Cette revue de la littérature récente fera apparaître, en particulier, que les deux accords, quoique radicalement différents, peuvent être amenés à mobiliser des mécanismes identiques au service d’objectifs divergents (Section (iv)). Dans un second temps, nous proposerons une analyse expérimentale qui exploite cette propriété et met en évidence l’influence de la nature de la relation instaurée entre le principal et l’agent sur les propriétés du pacte de corruption.

Contrat de délégation : la relation principal – agent

L’élément de base pour que s’instaure une relation de corruption est l’existence d’un contrat de délégation, assorti de marges discrétionnaires. Ce contrat est conclu entre un principal (délégant) et un agent (délégué). Nous décrivons dans cette section les déterminants du comportements de corruption qui peuvent être déduits des propriétés de ce contrat de délégation.

Si l’usage du pouvoir discrétionnaire était parfaitement observable, toute tentative de corruption (i.e. détournement du pouvoir délégué à des fins contraires aux intérêts du principal) serait immédiatement détectée. Nous supposons donc que le principal et l’agent se trouvent en situation d’aléa moral. Ce type de situation contractuelle a fait l’objet de très nombreuses analyses qui montrent, en particulier, qu’il existe un schéma de rémunérations contingentes capable de résoudre les problèmes liés à l’asymétrie d’information. Si le principal dispose d’une mesure vérifiable de l’usage du pouvoir discrétionnaire, le contrat qui organise sa délégation peut donc contraindre l’agent à servir les intérêts du principal.

Comme le souligne Prendergast (2000b), l’existence de mesures de performance vérifiables est cependant d’autant moins probable que le pouvoir délégué comporte d’importantes marges discrétionnaires. Parallèlement, l’analyse économique de la corruption a, dès ses premiers développements, identifié l’existence de marges discrétionnaires comme l’une des conditions fondamentales permettant l’émergence de la corruption. En conséquence de ces résultats, l’analyse économique de la corruption s’est concentrée sur les relations d’agence dans lesquelles le système de rémunération échoue à réconcilier les intérêts respectifs du principal et de l’agent.

En l’absence d’instruments d’incitation, c’est vers le comportement de l’agent et donc les motivations à adopter un comportement illégal que se tourne l’analyse. En suivant la tradition initiée par Becker (1968), on considère que l’agent adopte un comportement illégal dès lors que la valeur de l’illégalité domine celle de l’honnêteté. La valeur de l’honnêteté est déterminée non seulement par le salaire reçu du principal, w, mais également par la préférence de l’agent pour l’honnêteté, θ, reflétant l’ensemble des bénéfices non monétaires associés à un comportement légal (bonne conscience, estime de l’entourage, etc. . . . ). Cette caractéristique est une information privée de l’agent et le principal n’en connaît, en conséquence, que la distribution au sein de la population, de densité g(θ) et de fonction de répartition G(θ).

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Table des matières

Introduction générale
1 Analyses du comportement de corruption
1.1 Jeu de corruption à trois joueurs
1.2 Protocole de l’expérience
1.3 Déterminants du comportement de corruption
1.4 Conclusion
Annexes
2 Coût et qualité de l’offre de soins, quelle(s) rémunération(s) ?
2.1 Institutions : la contrainte budgétaire des médecins du Québec
2.2 Analyse théorique du passage à la Rémunération Mixte
2.3 Modèle économétrique
2.4 Résultats : les vertus de la flexibilité
2.5 Conclusion
Annexes
3 Demande de travail au noir en environnement concurrentiel
3.1 Demande de travail au noir et concurrence à la Bertrand
3.2 Dénonciation : l’équilibre de silence collusif
3.3 Présentation des marchés expérimentaux
3.4 Malédiction de Bertrand et évasion collusive : résultats empiriques
3.5 Conclusion
Annexes
Conclusion générale
Bibliographie

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