Environnements numériques de travail et pratiques communicationnelles des familles de collégiens

Initiée dès 2001 et généralisée en 2004, l’introduction des Espaces et des Environnements Numériques de Travail (ENT) dans l’enseignement secondaire pose de nombreuses questions, notamment au sujet de leur diffusion et de leur acceptation. Ces réseaux éducatifs, s’ils sont encore relativement jeunes, viennent s’inscrire dans un contexte historique, politique et social, complexe. L’introduction de technologies dans le milieu éducatif n’est pas une chose neuve, et de nombreux auteurs ont montré que sans forcément relever de l’échec, cette aventure menait souvent à la déception quant aux apports, aux usages ou à la diffusion. À une échelle plus proche, les ENT viennent aussi s’insérer dans la lignée des réseaux numériques éducatifs qui, là encore, sans être délaissés ou méprisés, ont souvent vu leur déploiement s’accompagner de désillusions quant aux réels apports pédagogiques ou à leur utilisation effective.

Ne faisant pas exception, les ENT sont aussi portés par des discours politiques forts, qui oscillent entre une importante prescription institutionnelle  (au déploiement comme à l’usage ) et enthousiasme fondé sur des cas d’usages triés et des statistiques d’utilisations qui, comme le souligne Éric Bruillard, sont fluctuantes et discutables (Bruillard, 2012). Ils apparaissent même, avec Internet, comme le seul réseau éducatif réellement concerné par un déploiement généralisé, et le seul dont le déploiement ne concerne que le monde éducatif – le projet de déploiement d’Internet sur le territoire dépassant largement l’institution éducative. Aussi, aujourd’hui, toutes les académies sont concernées par un projet de déploiement sur leur territoire, et les ENT tendent désormais à se déployer dans l’enseignement primaire.

E-lyco, l’ENT des Pays de la Loire 

« Accéder d’un simple clic au cahier de textes en ligne de son enfant pour mieux accompagner sa scolarité, prolonger et diversifier la relation élève-professeur via une plate-forme d’échanges, utiliser un forum pour travailler à distance avec ses camarades de classe… Toutes ces possibilités seront bientôt offertes à tous les collégiens et lycéens de l’académie, ainsi qu’à leurs parents et à leurs professeurs, dans le cadre du projet d’Environnement Numérique de Travail (ENT) des lycées et collèges, dénommé E-LYCO. » .

Depuis janvier 2010, la région des Pays de la Loire et les conseils généraux des cinq départements qui la composent déploient progressivement l’ENT e-lyco sur l’ensemble des collèges et lycées de son territoire. Ce projet, qui s’inscrit dans le cadre d’une directive nationale (et européenne), a la particularité d’être issu d’un assez large partenariat entre l’académie de Nantes, le conseil régional des Pays de la Loire et ses cinq conseils généraux, rejoints depuis par l’URADEL (Union régionale des associations diocésaines de l’enseignement libre) et la DRAAF des Pays de la Loire (Direction régionale de l’alimentation de l’agriculture et de la forêt, qui a la charge de l’enseignement agricole). Ce partenariat étendu, qui fait figure de « bon élève » à l’échelle nationale, permet de proposer aux élèves de la région une continuité de plate-forme et d’identifiant, du début à la fin de leur enseignement secondaire.

Le déploiement d’e-lyco sur l’ensemble des établissements du territoire s’est opéré par phases successives, suivant cinq vagues de déploiement, depuis mars 2010 jusqu’à la rentrée 2013-2014. Il concerne donc désormais la quasi-totalité des établissements secondaires ligériens. Au sein même de chacune de ces phases, chaque établissement a la main sur les modalités de son déploiement. Il peut choisir quand et comment ouvrir les accès aux services pour les différentes catégories d’usagers (parents, élèves, profs, etc.) et former et informer les usagers. Ainsi, certains établissements choisissent-ils d’ouvrir progressivement l’ENT à chaque catégorie d’usagers (d’abord les enseignants, ensuite les élèves et enfin les parents) quand d’autres choisiront de l’ouvrir directement à tous.

Cet ENT est fondé sur la solution propriétaire K-d’école de Kosmos, un éditeur de « solutions numériques pour l’éducation » , mais aussi plus généralement pour les institutions. Cette solution, adoptée par 18 collectivités est en avril 2015 la solution la plus répandue au sein des différents projets d’ENT dans le secondaire. Il se présente dans la lignée des recommandations des dernières versions du SDET (Schéma directeur des espaces numériques de travail), sous la forme d’une plate-forme minimale sur laquelle peuvent se greffer une multitude de services. E-Lyco est donc modulable et cette modularité permet aux établissements scolaires de choisir d’y intégrer les services de leurs choix.

Les services natifs correspondent à ceux que nous pourrions qualifier de «classiques » : un cahier de texte numérique (CTN), un agenda, un classeur pédagogique pour les enseignants, un service de réservation des ressources, une messagerie, un porte-documents et des outils de blog, de forum et de chat. Ces services ne sont pas activés par défaut. Ils ne le sont qu’à l’initiative de chaque établissement. Même le cahier de texte numérique, qui est obligatoire depuis la rentrée 2011 (MEN, 2010), peut ne pas être activé et être remplacé par un service externe. L’ENT e-lyco est donc, dans sa réalisation la plus simple, relativement basique, mais peut mener au gré des services natifs activés ou non, des services externes intégrés, et tout simplement des contenus, à de multiples configurations, sensiblement différentes.

Le territoire 

Il importe également de présenter le territoire dans lequel est venue s’inscrire notre recherche. Département le plus oriental de la région des Pays de la Loire, la Sarthe appartient au Bassin parisien. Ce département, plutôt rural et à la population plutôt âgée – la moyenne d’âge est de six ans plus élevée que la moyenne nationale –, a un dynamisme économique et démographique modéré. Il « retient difficilement ses jeunes adultes, qui vont étudier dans les pôles d’enseignement supérieur d’autres départements » (Insee, 2011, p. 6) et attire peu d’actifs des départements voisins puisque la Sarthe crée moins d’emplois qu’eux.

Bien que rurale, la Sarthe est une terre de tradition industrielle, le taux d’emploi ouvrier y est donc élevé tandis que l’emploi agricole y est moins important que dans les autres départements de la région. Si la pauvreté est moins forte qu’au niveau national et au niveau de ses voisins ligériens directs – la Mayenne et le Maine-et-Loire – la grande pauvreté et les inégalités y sont davantage présentes. Enfin, le chômage y est plus fort que dans le reste de la région et la situation des jeunes moins favorable : « ils sont plus souvent qu’ailleurs non insérés et sortent plus nombreux du système scolaire sans diplôme » (Insee, 2011, p. 6).

Située en son centre, la métropole mancelle, seule grande agglomération, regroupe le tiers de la population départementale. Les inégalités y sont globalement plus fortes que dans le reste de la région ou de la Sarthe, et si le revenu médian y est plus élevé que dans la moyenne du département, ce territoire concentre toutefois la moitié des ménages à bas revenus et une « proportion très élevée de ménages pauvres » (2011, p. 7). La métropole compte cinq quartiers classés en zones urbaines sensibles, concentrés dans la ville du Mans et dans deux de ses villes limitrophes. À l’inverse, la couronne périurbaine mancelle proche abrite une population relativement aisée et homogène. Les inégalités y sont rares, on y trouve essentiellement des familles, dans lesquelles en général les parents ont tous deux un travail. Il s’agit surtout de personnes occupant des professions intermédiaires ou de cadres travaillant dans la zone d’emploi du Mans.

La grande couronne périurbaine est moins homogène. Rodolphe Dodier dans ses travaux sur l’habitat périurbain sarthois (Cailly et Dodier, 2007 ; Dodier, 2006) identifie quatre grands types d’habitats périurbains. Le premier, le lotissement, voit sa population de référence évoluer fortement en s’éloignant de la ville. Accueillant d’abord un public plutôt aisé et vivant sur de grandes parcelles ; c’est vers un public de moins en moins favorisé, jusqu’à, pour reprendre l’expression de Dodier, des « catégories populaires solvables » (2006, p. 3) qu’il se tourne au fur et à mesure de son éloignement. La seconde forme d’habitat périurbain, est constituée de fermettes rénovées et de pavillons isolés. Ces habitations, on retrouverait des « bricoleurs » adepte de la rénovation et des populations plutôt aisées appréciant « les aménités environnementales qui lui sont associées tout en restant à une distance raisonnable de la ville-centre » (2006, p. 4). Dans cette configuration comme dans la précédente, à mesure que l’éloignement se fait ressentir les populations sont de moins en moins aisées. La troisième forme, concerne les maisons de bourgs. Dans ces habitations souvent de tailles assez modestes, les familles se font plus rares et laissent place à des personnes âgées, souvent d’origine rurale, et à des célibataires ou de jeunes couples plutôt citadins, mais n’ayant pu trouver un logement plus près du centre. Cette forme d’habitat se caractérise notamment par des situations financières assez délicates (minium vieillesse, RSA, etc.). À ces trois grandes formes d’habitats périurbains, s’ajoute « de plus en plus de logement social, voire très social », construits dans le cadre des récentes lois d’aménagement du territoire et de rénovation urbaine et qui accueillent « des populations très modestes, avec des situations économiques difficiles et des situations familiales complexes » (2006, p. 4).

La recherche sur les ENT

LES TIC DANS L’ÉCOLE, LA ROMANCE INCONSTANTE 

« “Circuits fermés de télévision” (1970), “Enseignement assisté par ordinateur” (1975), “Satellite éducatif” (1978), “Logo” (1979), “Jeunes Téléspectateurs actifs” (1979-1980, “Télématique” (1982), “Informatique pour tous” (1985), “Audiovisuel pour tous” (1987), “Éducâble” (1988), “Câblage audiovisuel des établissements” et “Nanoréseaux” (1990), “Autoroutes de l’information” (1994), “Banque de programmes et de services de la Cinquième” (1998), “Campus numériques” (2000), “Espaces numériques de travail” (2002), “Université numérique en région” (2003), “Université numérique thématique” (2004), jusqu’aux plans d’aujourd’hui concernant les cartables et environnements numériques et tableaux interactifs. » (Mœglin, 2010, p. 19‑20).

Cette énumération de Pierre Mœglin dans son ouvrage sur Les Industries éducatives montre bien que les environnements numériques de travail ne sont pas les premiers – et ne sont déjà plus les derniers – outils et médias que l’on a cherché à faire rentrer dans l’école. Ces outils et médias, rarement éducatifs dans leur nature première, connaissent des destinées incertaines, souvent bien éloignées des discours cadres accompagnant leur lancement dans l’univers scolaire. Pierre Mœglin, dans son ouvrage Outils et médias éducatifs : une approche communicationnelle, considère que l’essentiel est de comprendre « ce qui, de tel outil ou média, fait un outil ou un média éducatif » (Mœglin, 2005, p. 9) ou, en d’autres termes, ce qu’il faut « pour qu’un outil de communication ou un média devienne éducatif et à partir de quand le devient-il ? » (2005, p. 10). Comme il le rappelle dans son ouvrage, la plupart de ces artefacts préexistent à leur statut éducatif, l’éducation n’étant généralement ni le moteur ou le facteur originel, ni même leur seul domaine d’utilisation. Pour lui, si ces outils et médias ne sont pas fondamentalement éducatifs, du moins dans leur conception, «quelques-uns le deviennent lorsque se produit leur intégration dans l’appareil de formation et qu’intervient la reconnaissance sociale de leur légitimité éducative. Ils se caractérisent alors par leurs finalités et usages éducatifs »  (2005, p. 11). Partant de ce constat, il s’interroge ainsi sur ce qui mène à la « scolarisation » d’un outil, et plus largement « Par quelles transformations de l’éducation et par quelles modifications de regard sur lui, un outil de communication (…) en vient-il à être scolarisé ? » (2005, p. 11).

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Table des matières

INTRODUCTION
1. LA RECHERCHE SUR LES ENT
2. PROBLÉMATIQUE
CHAPITRE 1. CADRES THÉORIQUE ET MÉTHODOLOGIQUE
1. CADRE THÉORIQUE
2. MÉTHODOLOGIE
CHAPITRE 2. L’IMAGINAIRE DANS L’APPROPRIATION D’UN ENT
1. ÉLÉMENTS CONCEPTUELS
2. L’IMAGINAIRE DES ENT. UNE REVUE DE LITTÉRATURE CONFRONTÉE AUX OBSERVATIONS DU TERRAIN
3. DES DYNAMIQUES AMBIVALENTES
4. CONCLUSION INTERMÉDIAIRE
CHAPITRE 3. LES PRATIQUES ÉDUCATIVES ET LA RELATION AU SCOLAIRE
1. LES PRATIQUES ÉDUCATIVES FACE À L’ÉCOLE
2. ENGAGEMENT DANS LA SCOLARITÉ
3. LE RÔLE ATTRIBUÉ À L’ÉCOLE
4. LA DIVISION DU TRAVAIL ÉDUCATIF ENTRE LES PARENTS
5. LA PLACE DE L’ENT
6. UN OUTIL D’INFORMATION ?
7. CONCLUSION INTERMÉDIAIRE
CHAPITRE 4. LE RÔLE DE L’ADOLESCENT
1. L’ENFANT DANS LA RELATION PARENTS-ÉCOLE
2. L’ENFANT EN TANT QU’ACTEUR DE LA RELATION PARENT-ÉCOLE
3. L’ENFANT EN TANT QU’ENJEU DE LA RELATION PARENTS-ÉCOLE
4. L’ENFANT MÉDIATEUR DE LA RELATION PARENTS-ÉCOLE
5. CONCLUSION INTERMÉDIAIRE
CHAPITRE 5. L’OFFRE ET LE CONTEXTE LOCAL
1. LES EFFETS DE CONTEXTE
2. LE TERRITOIRE
3. LE PUBLIC
4. L’ÉTABLISSEMENT
5. L’ENT AU SEIN DU DISPOSITIF LOCAL
6. UN IMAGINAIRE LOCAL ?
7. CONCLUSION INTERMÉDIAIRE
CONCLUSION
1. DISCUSSION MÉTHODOLOGIQUE
2. DISCUSSION ÉPISTÉMOLOGIQUE
3. UN CHANGEMENT DANS LA CONTINUITÉ
BIBLIOGRAPHIE

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