Géographie sociale : du « renversement de l’ordre des facteurs » à l’approche dimensionnelle

Géographie sociale : du « renversement de l’ordre des facteurs » à l’approche dimensionnelle 

Si on se place du point de vue de la géographie sociale, trois axes paraissent structurants : un double mouvement (épistémologique et théorique ou conceptuel) tout d’abord et l’évolution de l’approche « dimensionnelle » ensuite. Quelques rappels doivent permettre de montrer l’évolution de la géographie humaine, sociale en l’occurrence, depuis les lendemains de la Seconde Guerre mondiale jusqu’à aujourd’hui, afin de tracer les contours de la géographie dans laquelle s’inscrivent ces travaux de recherche.

Renverser l’ordre des facteurs, espace vécu et représentations 

Avant de parler de l’espace vécu à proprement parler, un premier mouvement d’ordre épistémologique amorcé au milieu des années 1960 est à analyser. L’expression, « le renversement de l’ordre des facteurs » (Rochefort R., 1964) en symbolise la portée. Il s’agit d’un « changement d’optique » , « [une] nécessité scientifique, mais également [un] état d’esprit et [un] devoir de conscience » (Frémont A., et al., 1984, p. 89). Cette rupture épistémologique donne lieu à un renouvellement des approches en géographie, notamment en géographie sociale. Ce n’est plus l’espace d’abord puis la société, mais l’inverse. R. Rochefort est l’une des premières géographes à réaffirmer, après d’autres comme E. Reclus ou P. Georges, l’empreinte de la géographie sociale dans son travail de doctorat et dans différents articles entre 1961 et 1964. Dans le prolongement de ces travaux et articles, d’autres géographes comme A. Frémont, R. Hérin, J. Chevalier contribuent à l’essor de la géographie sociale. C’est le cas lors du colloque de géographie de Lyon en 1964, et par la suite au cours des années 1970-80, jusqu’à la publication du livre, Géographie sociale en 1984.

Dans ce livre, les auteurs expliquent et justifient, entre autres choses, cette nécessité du renversement de l’ordre des facteurs.

L’autonomie croissante des faits sociaux par rapport aux faits géographiques impose ce changement d’optique , ce boule versement des habitudes.(A.Frémontetal.,1984,p.70).

De ce postulat découle un « état d’esprit » qui n’est pas tant un parti pris qu’une «sensibilité militante aux problèmes sociaux » (A. Frémont et al., 1984, p. 70). Cet état d’esprit engendre quelques réticences qui prennent le ton de la critique au sein même de la géographie. Le recours à l’argument du manque d’« objectivité » est alors bien souvent mis en avant pour tenter de contrer cette approche et la posture militante des géographes se réclamant de la géographie sociale. Pour autant, la géographie sociale n’est pas plus subjective – ni moins – que les autres approches ou courants.

L’idée majeure est de donner au « social » toute la place qu’il mérite dans l’étude et la compréhension de la production, de la transformation et de l’organisation des espaces.

Les géographes ont, à partir de cette posture, un rôle social clair pour expliciter les transformations des sociétés et plus largement, pour étudier et comprendre les problèmes sociaux. Le renversement de l’ordre des facteurs est : « [une] nécessité scientifique, mais également [un] état d’esprit et [un] devoir de conscience (…) » (A. Frémont et al., 1984, p. 89). Insister sur cette dimension de la géographie sociale, c’est insister sur la nécessité d’inscrire la recherche scientifique dans une démarche militante au sens où elle se doit d’apporter des éléments concrets pour l’étude et la compréhension par le plus grand nombre, des processus et phénomènes sociaux qui sont (re)produits dans le monde. Mais c’est aussi construire l’approche de géographie sociale dans une position critique envers elle-même tout d’abord et aussi envers ce qui se fait non seulement dans le champ scientifique de la géographie et des sciences sociales. Au niveau social, l’idée d’une posture militante et critique permet d’aborder des questions et des problématiques que les géographes ont longtemps délaissées : inégalités sociales, pouvoirs et enjeux politiques notamment. La géographie sociale militante et critique étudie les évolutions des systèmes socio-économiques, politiques et culturels à partir d’une entrée spatiale. Tout ceci constitue en soi un combat scientifique, une posture qui bouscule les idées et habitudes de l’époque.

Dans le prolongement de ce premier mouvement, émergent aussi les notions d’espace vécu et de représentations qui constituent des axes structurants. La notion d’espace vécu est déjà bien ancienne et remonte au début des années 1970 où A. Frémont et d’autres chercheurs se sont inscrits dans une démarche géographique renouvelée. L’espace vécu renvoie à la prise en compte par quelques géographes aux thématiques de recherches diverses et parfois lointaines les unes des autres , de nouvelles réalités jusquelà peu abordées dans la recherche géographique : les représentations, le vécu des populations, les relations sociales entre les individus et les groupes, le rapport aux lieux et la prise en considération de données psychologiques, etc. L’influence d’autres disciplines permet aussi d’expliquer l’essor de ce courant de pensée, notamment au travers de contacts entre des ethnologues, des sociologues et des géographes. C’est ainsi que l’espace vécu traduit « une nouvelle vision du territoire plus psychologique et plus « culturelle », beaucoup plus centrée sur les hommes vivant en société, que sur l’espace considéré comme objet d’étude en soi  ».

Cette notion d’espace vécu permet bien souvent de concevoir les différences entre les pratiques et les représentations des individus par rapport aux espaces qu’ils occupent et produisent, sur lesquels ils vivent. L’espace vécu est aussi une réalité subjective qu’il appartient à chaque individu et groupe de construire et à laquelle on se réfère, qu’on pratique et se représente.

L‘intérêt pour les questions d’inégalités sociales, de discriminations, de pouvoirs… se développe également tout au long des années 1970-80. L’espace vécu a en quelque sorte redynamisé l’approche de la géographie sociale qui se développe tant d’un point vue rural qu’urbain . Plus largement, ce mouvement est aussi à replacer dans le contexte de la « nouvelle géographie », aux méthodes renouvelées, moins monographique que l’ancienne géographie régionale par exemple. Ainsi, l’espace est envisagé aussi bien dans le cadre de ce renversement épistémologique que dans son rapport au « vécu » des populations. Ce double mouvement autorise l’essor de concepts, méthodes et postures de recherche où les données empiriques permettent d’asseoir une approche théorique renouvelée consistant à placer la géographie beaucoup plus clairement dans le champ des sciences humaines. Enfin, lors du colloque de Lyon en 1982, Renée Rochefort résumait et réaffirmait une certaine posture et approche de la géographie sociale, entérinant d’une certaine façon le renouveau impulsé dans la géographie par les chercheurs en géographie sociale.

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Table des matières

INTRODUCTION GÉNÉRALE
Un autre monde
Dépasser les frontières (spatiales) et traiter des asymétries (sociales) : la dimension spatiale de rapports sociaux
L’objet et la problématique à l’épreuve de la complexité du réel
Démarche de recherche : une grille de lecture dialectique
Le cheminement de la recherche SUR LE DEVELOPPEMENT D’UNE APPROCHE DE GEOGRAPHIE SOCIALE ET POLITIQUE
CHAPITRE 1. REFLEXION SUR LE DEVELOPPEMENT D’UNE APPROCHE DE GEOGRAPHIE SOCIALE ET POLITIQUE 
1. Géographie sociale : du « renversement de l’ordre des facteurs » à l’approche dimensionnelle
1.1. Renverser l’ordre des facteurs, espace vécu et représentations
1.2. L’approche dimensionnelle de l’espace
2. L’approche de géographie politique
2.1. Géographie politique ou géopolitique ?
2.2. Évolution de la géographie politique et de la géopolitique
2.2.1. De la géographie politique de Ratzel à la Geopolitik d’Haushofer : les dérives d’une pensée
2.2.2. La réflexion géopolitique anglo-saxonne
2.2.3. La réflexion géopolitique française
2.3. Pourquoi associer à la géopolitique une approche de géographie sociale ?
CHAPITRE 2. PROBLEMATIQUE ET BUTS, HYPOTHESES DE RECHERCHE ET QUESTIONNEMENTS
1. La problématique de recherche
1.1. Retour sur la notion de frontière
1.1.1. Frontière, ligne et zone : quelques éléments d’un débat ancien
1.1.2. Frontière, État et souveraineté : géographie et politique
1.1.3. Frontière et pouvoirs : géographie et politique
1.1.4. La frontière un objet géographique et politique, donc social
1.2. Asymétrie et asymétrie frontalière
1.3. Le concept de rapport social
1.3.1. Quelques éléments de cadrage sur la notion de rapport social
1.3.2. Rapports sociaux et pratiques sociales : Intérêt pour l’étude des relations frontalières
1.3.3. Quelle approche globale des rapports sociaux ?
2. Les hypothèses et questions de recherche
2.1. Les hypothèses de recherche
2.1.1. Le compromis social
2.1.2. La matérialisation de rapports sociaux
2.1.3. Les effets de la mondialisation
2.2. Les questions de recherche
CHAPITRE 3. APPROCHE METHODOLOGIQUE, CHOIX DES ECHELLES D’ANALYSE ET DES TERRAINS DE RECHERCHE
1. Méthodes de recherche : quelques éléments de cadrage généraux
1.1. Approches hypothético-déductive et dialectique : démarches d’analyse de la réalité
1.2. La question de la complexité
1.3. De la comparaison comme mode de connaissance
1.4. Construction d’une grille de lecture et d’analyse
2. Axes méthodologiques de terrain
2.1. L’analyse statistique
2.2. L’observation compréhensive
2.3. Des entretiens
3. Échelles d’analyse et « terrains laboratoires »
3.1. La question des échelles spatiales et sociales
3.2. Les terrains de recherche
3.2.1. Liban / Israël : le sud du Liban
3.2.2. Israël et les Territoires palestiniens : la Cisjordanie
3.2.3. Espagne / Maroc : Le Sud-est espagnol et l’enclave de Ceuta
3.2.4. Mexique / États-Unis : Le Texas
CONCLUSION GÉNÉRALE

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