L’esthétique de l’alcool et de la misère humaine

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Typologie de l’usage de l’alcool

Dans cette première partie, nous allons donc tenter de répertorier la présence de l’alcool et de l’alcoolisme chez les principaux personnages du livre et aussi des anonymes qui font le décor et le cadre de l’histoire. Nous aborderons aussi le vocabulaire de l’alcool.

Le quartier de la Goutte d’Or

Le tableau de l’alcoolisme dans le quartier de la Goutte d’Or commence avec Gervaise, à la fenêtre de sa chambre, cherchant du regard M. Lantier qui a découché. Il est encore tôt le matin et pourtant déjà elle aperçoit : « à la porte des deux marchands de vin qui enlevaient leurs volets, des hommes [qui] ralentissaient le pas (…) avant d’entrer » (Zola, 1996 : 53). Puis quelques minutes plus tard, « devant les comptoirs, des groupes s’offraient des tournées, s’oubliaient là, debout, emplissant les salles » (idem). Nous avons déjà ici un tableau ahurissant des ouvriers du quartier plongés au plus malsain degré de l’alcoolisme, celui qui commence au lever du soleil. Ensuite, cet abus alcool se poursuit à l‘heure du déjeuner, quand « au loin, des cloches d’usine sonnaient ; et les ouvriers ne se pressaient pas (…) puis, après s’être appelés d’un marchand de vin à l’autre, ils se décidaient à reprendre le chemin de l’atelier, en traînant les pieds. » (ibid. : 87). En même temps, « L’Assommoir s’était empli (…) les buveurs formaient des petits groupes ; il y avait des sociétés près des tonneaux, qui devaient attendre un quart d’heure, avant de pouvoir commander leur tournée » (Ibid.). L’image construite par Zola chez le lecteur est que tout le quartier est au bistrot. C’est le milieu de L’Assommoir qu’on plante. Puis, on assiste à une description d’un alcoolisme généralisé par cette description de la collation au lavoir : « la moitié des laveuses (…) avec un litre de vin débouché à leurs pieds » (ibid. : 66), qui montre que les femmes aussi sont touchées par cette maladie. Cette idée que l’alcoolisme touche également les femmes est confirmé quand Gervaise raconte son passé d’alcoolique avec sa mère dans le chapitre 2 (ibid. : 88). Plus tard, nous serons régulièrement rappelés à cet alcoolisme de masse comme lorsqu’un jour de grande chaleur, un rire éclate dans la boutique de Gervaise après que Coupeau, pour se dédouaner de son propre état, raconte une scène comique et pathétique à laquelle il vient d’assister : « Dans la rue, le monde est malade. Vrai ! Le monde festonne » (ibid. : 192). Tout le monde titube en effet dans la rue quand le soleil tape fort sur les têtes, parce qu’ils sont tous imbibés, ce qui est très révélateur.

La richesse du vocabulaire de l’alcool

Le brûlot (eau de vie sucrée et flambée), le casse-poitrine (alcool de médiocre qualité), se cocarder (s’enivrer), se mettre dans les brindezingues (être complètement ivre), alambics (appareils à distiller l’alcool), vitriol (eau de vie), cheulards (ivrognes), licheuse (femme qui aime manger et boire), licher (boire sans modération), le cric (eau de vie de mauvaise qualité), fil en quatre (eau de vie très forte). Cette liste, non exhaustive, de mots présents dans L’Assommoir et ayant rapport soit avec les alcools forts, soit avec les grandes ébriétés est révélatrice pour deux raisons. D’abord, parce que la variété et la richesse d’un vocabulaire spécifique dans une langue sont révélatrices de l’importance de sa présence quotidienne pour la population et ce que l’auteur cherche à montrer. Mais aussi parce que la plupart de ces mots ne sont plus fréquents aujourd’hui, ce qui tend à démontrer le fossé du rapport à l’alcool entre le dix-neuvième siècle et le vingt-et-unième siècles.

Les deux catégories d’alcooliques

La noirceur du tableau dépeint dans cette description du monde ouvrier et du quartier de la Goutte d’Or en particulier, justifie de dégager deux catégories de personnages concernant l’alcoolisme. Il y a une première catégorie, à laquelle appartient la grande majorité des habitants du quartier et du milieu ouvrier. Ceux-ci ne boivent que des alcools légers comme la bière et le vin, mais en très grande quantité. Ils ne sont pas des alcooliques aux yeux des autres protagonistes parce qu’ils sont toujours fonctionnels, et arrivent encore à prendre soin d’eux-mêmes, à se laver, à s’arranger et à travailler. Et puis il y a cette deuxième catégorie, ceux qui boivent tout, tout le temps. Du vin aux liqueurs et surtout l’eau de vie : ce sont les ivrognes. Ils ne sont plus vraiment fonctionnels en ce sens qu’ils se négligent physiquement et ne vont plus travailler tous les jours. Cette catégorie est composée de ceux qui vraiment touchent le fond de la médiocrité et de la misère humaine.

Les personnages principaux

Dans les sous-parties 2.4 et 2.5, mous présenterons les personnages principaux et secondaires en soulignant aussi leur rapport à l’alcool et la catégorie à laquelle ils appartiennent.

Gervaise

Au début, Gervaise s’esclaffe : « c’est vilain de boire » (ibid. : 88), alors qu’elle et Coupeau n’ont pas de problème à s’arrêter au beau milieu de la journée manger une prune à l’Assommoir du père Colombe. À ce moment, Gervaise fait partie de la première catégorie d’alcoolique. Cependant, on comprend vite qu’elle a déjà été ivrogne et qu’elle est sage, parce qu’elle en est revenue, « qu’autrefois, avec sa mère, elle buvait de l’anisette (…) mais elle avait failli en mourir un jour, et ça l’avait dégoûtée » (ibid.). Gervaise est courageuse, positive, travailleuse, et ne sombrera dans la déchéance et le pire alcoolisme que très tard, après de nombreux revers qui auront finalement eu raison d’elle et de sa détermination. On la verra s’enfoncer dans le confort de la paresse et du renoncement.

Coupeau

Surnommé « Cadet-Cassis », Coupeau dit d’abord qu’il ne « boit jamais » (ibid. : 90). Il est alors travailleur, honnête et droit. Après son accident, il devient aigri : « s’il y a un bon dieu il arrange drôlement les choses, jamais je n’avalerai ça » (ibid. : 172) et va lentement mais sûrement s’enfoncer dans l’ivrognerie. Puis son état éclate pour une première fois au grand jour : « c’était la première fois qu’il prenait une cuite, jusque-là il était rentré pompette, rien de plus. Mais cette fois il avait un gnon à l’oeil (…) Ses cheveux frisés (…) devaient avoir épousseté une encoignure de quelque salle louche de marchand de vin, car une toile d’araignée pendait à une mèche, sur la nuque (…) Il restait rigolo d’ailleurs, les traits un peu tirés et vieillis » (ibid. : 192). Coupeau s’enfoncera plus tard irrémédiablement dans la déchéance, l’alcoolisme en y étant en partie poussé par Lantier.

Lantier

Lantier est le premier mari de Gervaise et le troisième et dernier personnage principal. C’est un charmeur, une sorte de gigolo, un parasite, un calculateur et un égoïste de premier ordre. On nous apprend d’abord qu’il mange l’argent du couple quand Gervaise lui dit : « depuis que tu m’as fait mettre toutes mes robes au mont-de piété » (ibid. : 57). On sait aussi qu’il est paresseux quand elle lui jette à la figure : « on sait que l’amour du travail ne t’étouffe guère » (ibid. :57). Et enfin on sait qu’il la bat. Nous aurons la confirmation plus tard de sa grande paresse quand il entrera à nouveau dans la vie de Gervaise. C’est un ivrogne, mais il a cependant un respect pour lui-même qui l’éloigne des marchands de vin quand tout le monde devient sale : « Vers cinq heures ça commençait à devenir dégoûtant, si bien que Lantier se taisait et songeait à filer (…) Les camarades ne s’aperçurent même pas de son départ » ( ibid. : 322) Cette idée que Lantier ne finit pas ses soirées dans le même état de répugnance que d’autres est confirmé plus tard, quand il est expliqué pourquoi Gervaise le rejoint souvent la nuit : « ce n’était pas qu’elle éprouvât plus d’amitié pour le chapelier. Non, elle le trouvait seulement plus propre » ( ibid. : 332). Il est donc, s’il est ivrogne, dans une catégorie tout à fait à part.

Les personnages secondaires

Les Lorilleux

Ce sont des jaloux, des envieux, des médisants et des radins. Ils ne sont pas vraiment présentés comme des alcooliques, l’auteur préférant appuyer d’autres traits de leurs personnalités, mais ils sont tout de même « des gens qui cachaient leur litre, quand on montait, pour ne pas offrir un verre de vin » (ibid. : 184). Ils sont donc aussi dépendants à l’alcool et font partie de la première catégorie d’alcooliques, les fonctionnels. Cependant, le fait qu’ils soient physiquement « vieux » (ibid. : 104) à 30 ans peut laisser penser qu’ils se trouvent quelque part entre l’alcoolisme et l’ivrognerie.

Goujet

Puis il y a Goujet, très sérieux, ouvrier modèle qui n’est pas un alcoolique. Il va prendre un verre avec Coupeau après le travail, au début quand ils sont voisins et que Coupeau est encore travailleur. Surtout il restera décent envers Gervaise jusqu’à la fin. Il sert à Zola d’exemple de la façon dont un homme peut se comporter quand il garde les idées claires, qu’il reste à l’écart de l’eau de vie. Il s’enivre seulement une fois, lors du grand dîner organisé par Gervaise dans sa boutique. Il est aussi fou amoureux d’elle.

Les amis de Coupeau

Pied-De-Céleri, Mes-Bottes, Bibi-La-Grillade sont les amis de Coupeau et sont tous des ivrognes. Il  s’agit d’une camaraderie de la boisson, aucunement des amis sur qui on peut compter quand on est dans le besoin. Ils aiment manger et boire. Ces personnages n’ont pas d’autre profondeur que celle d’être des ivrognes immondes, sans aucune décence. On ne peut que constater leur mauvaise influence sur Coupeau, qu’ils invectivent régulièrement, à les rejoindre et qu’ils raillent quand il parle d’aller travailler.

Nana

Contrairement à ses deux frères, Nana a un rôle important dans L’Assommoir. Elle est le seul enfant que Gervaise et Coupeau ont eu ensemble et restera au domicile familial pendant presque tout le roman. Elle est présentée comme vicieuse, manipulatrice et surtout elle cherchera à fuir la misère de sa famille par le plaisir de la chair, comme d’autres le font dans l’eau de vie. Sa personnalité est à mettre directement en rapport avec la façon dont des parents alcooliques peuvent détruire toute chance pour un enfant de se construire une personnalité saine.

Le père Bazouge

Le père Bagouze est un croque-mort. C’est un grand ivrogne et il représente la mort. Cette mort qui attend les ivrognes et c’est donc une sorte de peur prémonitoire qu’il représente chez Gervaise, car elle en est effrayée. Il est son voisin dans le dernier appartement qu’elle aura : « ça sentait la mort à travers la cloison. On se serait cru logé devant le Père Lachaise » (ibid. : 385), elle va même halluciner une nuit : « elle recula en croyant voir les grosses mains du croque-mort passer au travers du mur pour la saisir par la tignasse » (ibid. : 387). On ne sait pas ce qu’il fait chez lui, le narrateur ne nous le décrivant qu’à travers les impressions de Gervaise.

L’alcoolisme, les causes et les conséquences ?

Nous tenterons donc ici d’établir les causes et les conséquences de l’alcoolisme dans L’Assommoir. Ceci nous permettra de mieux comprendre les rapports qui s’établissent entre celles-ci et ainsi, de faire ressortir la vision de l’auteur.

Les causes

La banalisation de l’alcoolisme et la dureté du travail

Au début, Coupeau et Gervaise considèrent tous les deux comme innocente et négligeable leur propre consommation. Puisque plus ou moins tout le monde est déjà alcoolique, un litron sur la table ou au pied, à chaque pause ou chaque repas, ou une prune, devient l’ordinaire. On se conforte dans ses mauvaise habitudes en voyant que son entourage fait de même. C’est une réaction humaine et rassurante. On se ment : « le vin prolongeait l’existence, n’indisposait pas, ne soûlait pas » (ibid. : 174). La chute dans l’alcoolisme lourd n’en est que facilitée. On se rassure également quand on ne boit que du vin et du cassis ou de la prune : « le vin elle le pardonnait, parce que le vin nourrit l’ouvrier » (ibid. : 244), ou même encore on justifie l’alcoolisme par la dureté du travail : « le papa Noé devait avoir planté la vigne pour les zingueurs, les tailleurs et les forgerons » (ibid. : 270).

La paresse

La paresse est sans cesse mise en parallèle avec l’alcoolisme, dès le début avec ces ivrognes qui dès le matin « les bras mous, déjà gagnés à une journée de flâne » (ibid. : 53), attendent devant les marchands de vin parce qu’ils ont la flemme d’aller au travail. Cette paresse sera mise en avant comme précurseur de la chute de Coupeau, suite à son accident : « et il prenait là (…) une joie à ne rien faire, les membre abandonnés (…) C’était comme une lente conquête de la paresse, qui profitait de sa convalescence » (ibid. : 173). Cela marque un tournant puisque, après ce passage, Coupeau va commencer à « entrer volontiers boire un canon avec les autres » et va continuer à dégringoler. Cette même fainéantise va aussi servir l’auteur à annoncer la chute à venir de Gervaise.

Les déboires et la faiblesse de caractère

C’est un fait que beaucoup sombrent dans l’alcoolisme à la suite de leurs déboires. Certains personnages cependant tombent dans l’ivrognerie plus facilement que d’autres, comme Coupeau, bien qu’il soit au départ soutenu et aidé par sa femme et sa famille. Cela montre qu’il y a une différence entre ceux qui préfèrent rêver à une meilleure vie et s’échapper artificiellement de leur milieu par l’alcool, et ceux qui, comme Gervaise, se battent beaucoup plus, jusqu’à ce que leurs forces les quittent. La faiblesse de caractère de Coupeau est souvent mise en avant, par exemple quand « il se trouvait entrainé (…) bien forcé de faire comme les autres, sous peine de passer pour un mufle » (ibid. : 188). Il ne fait donc preuve d’aucune volonté propre, ce qui se répète plusieurs fois, comme lorsque, en chemin pour le chantier, il se laisse entrainer de tournée en tournée, se justifiant par des expressions comme « on ne lâchait pas des amis comme un pleutre » (ibid. : 316) pour finir par ne pas allez travailler ni rentrer chez lui pendant deux jours. Il sera même intéressant de noter que l’éloignement de Paris, et par la même de ses amis, suffira à le guérir : « À son retour il était frais comme une rose » (ibid. : 370).

Les conséquences

Après nous être intéressés aux causes de l’alcoolisme, nous allons essayer de rendre compte de l’ensemble de ses nombreuses conséquences afin de pouvoir analyser plus tard les rapports de ces causes et conséquences dans notre étude.

La violence conjugale

Quand Coupeau s’esclaffe gaiement : « Mais je ne vous battrais pas, moi, si vous vouliez, madame Gervaise (…) Il n’y a pas de craintes, je ne bois jamais » (ibid. : 90), le message est très clair, la violence conjugale et l’alcool sont intimement liés. C’est une confirmation de ce qui est suggéré à de nombreuses reprises, comme quand on apprend à propos de la mère de Gervaise : « les nuits où le père, rentrant soûl, se montrait d’une galanterie si brutale, qu’il lui cassait les membres » (ibid. : 96), ou lorsque Mme Lorilleux demandait à son frère « s’il n’avait pas entendu en montant les gens du quatrième se battre. Ces bénards s’assommaient tous les jours, le mari rentrait soûl comme un cochon » (ibid. : 106). Ce rapport étroit entre la consommation d’alcool et la violence dans un ménage est sans cesse notifié ou au moins suggéré dans L’Assommoir. Un autre exemple très symbolique est celui de Mme Bijard « que son soulard de mari, un serrurier, tuait chaque soir de coup en rentrant » (ibid. : 195). Bijard finira par littéralement tuer sa femme : « ça venait d’un coup de pied que lui avait allongé Bijard (…) il lui avait cassé quelque chose à l’intérieur. Mon Dieu ! En trois jours, elle a été tortillée » (ibid. : 307). Puis tout comme l’ivrognerie est monnaie courante, ce type de malheur semble ainsi l’être aussi : « la justice aurait trop de besogne, si elle s’occupait des femmes crevées par leurs maris » (ibid. : 307). Nous pouvons enfin remarquer que la première fois où Coupeau « leva le poing » (ibid. : 246) sur Gervaise correspond à la première fois où il rentre « le sang empoisonné (…) par le vitriol de l’Assommoir » (ibid.).

La méchanceté et le plaisir de la violence

Si la violence conjugale est liée à l’ivrognerie, elle n’est qu’une part du problème. L’ivrognerie rend violent et méchant, et pas seulement envers son conjoint mais aussi envers ses enfants. Cette violence envers les enfants se manifeste chez Coupeau et Gervaise qui s’en donnent à coeur joie sur Nana qui « chaque soir recevait sa raclée. Quand le père était las de la battre, la mère lui envoyait des torgnoles » (ibid. : 428). Mais le comble de cette méchanceté, de cette cruauté d’ivrogne est Bijard, qui a tué sa femme, et finit par tuer sa fille. Ses cruautés à l’égard de la gamine de huit ans font froid dans le dos. Il la bat tous les jours. Mais aussi, il la torture en l’attachant à un pied du lit avant de sortir, la laissant au poteau des journées entières « sans doute histoire de tyranniser la petite, même lorsqu’il n’était plus là » (ibid. : 389), ou en mettant « des sous à rougir dans un poêle » pour que la petite se brûle quand il lui demande de prendre l’argent pour aller aux commissions, la frappant si elle fait tomber l’argent : « Non, jamais on ne se douterait des idées de férocité qui peuvent pousser au fond d’une cervelle de pochard » (ibid. : 390). Zola explicite alors l’idée que l’ivrognerie peut faire d’un homme un vrai psychopathe.

La déchéance physique

On peut noter que dans le milieu ouvrier de l’époque, on est vieux à 30 ans, comme nous l’avons souligné plus tôt à propos des Lorilleux. L’une des causes est nécessairement l’abus d’alcool. Ceci est communiqué au lecteur par les descriptions de la transformation de Coupeau, qui était un zingueur vif et habile, plein de vie, et dont la santé et l’apparence se désagrègent tout au long du roman : « Le pichenet et le vitriol l’engraissaient » (ibid. : 342) dans un premier temps, puis « sa vilaine graisse jaune des premières années avait fondu, et il tournait au sécot, il se plombait, avec des tons verts de macchabée pourrissant dans une mare » (ibid. : 393). Enfin, vers la fin quand il finit à l’hôpital et que Gervaise lui rend visite, « elle l’avait mal vu en entrant tant il se disloquait. Dans sa danse de chicard enragé, on comprenait tout de même qu’il n’était pas à son aise, la tête lourde, avec des douleurs dans les membres » (ibid. : 489). Par opposition, Goujet est présenté plein de vie et de force, comme lorsqu’il démontre son talent après s’être lancé un défi avec Bec-Salé : « ce n’était pas de l’eau de vie que la Gueule d’Or avait dans les veines, c’était du sang pur qui battait puissamment dans son marteau » (ibid. : 220). Lui est et reste en pleine possession de ses moyens parce qu’il n’est pas alcoolique. C’est ici un parfait contre-exemple.

La déchéance sociale

Nous avons vu que la paresse était un facteur favorisant l’alcoolisme. Evidemment, l’alcoolisme ne va rien arranger non plus à la paresse. Comme on le voit avec Coupeau d’abord, qui « les lendemains de culotte (…) se levait tard (…) trainaillait (…) ne se décidait pas à partir pour le chantier. » (ibid. : 202). Cette aggravation de la paresse va avoir des conséquences sociales puisque lorsque l’on ne travaille pas, on n’a pas de rentrée d’argent, et que donc la misère guette. Ceci vient s’ajouter au fait que l’ivrognerie n’est pas gratuite, elle coûte cher. Toute la bonne volonté de Gervaise ne suffira pas, elle qui « nourrissait deux hommes à ne rien faire » (ibid. : 303). Coupeau et Lantier mangent et boivent autant qu’il est humainement possible. Ils ne travaillent pas, ils ne font rien et ne payent rien. Gervaise accumule les dettes à cause d’eux et bientôt, se met à boire plus, elle aussi, pour oublier ses dettes. Lorsqu’elle fête un énième prêt d’argent « elle renvoya tout de suite la vieille femme chercher quatre sous de gouttes dans un verre, à la seule fin de fêter la pièce de cent sous (…) Souvent maintenant (…) elles lichaient la goutte ensemble (…) Elle bouffait tout et aurait bientôt fait d’achever sa baraque » (ibid. : 341-342). Sa propre chute dans la paresse et l’ivrognerie auront raison des derniers revenus de Gervaise, la qualité de son travail s’en faisant ressentir, et lui faisant ainsi perdre ses honnêtes pratiques : « elle gardait seulement les mauvaises paies (…) dont pas une blanchisseuse de la rue ne voulait (…) la boutique était perdue » (ibid. : 339).

La perte de décence et du respect de soi

Le peu de décence affichée par le couple, qui s’embrassent goulument sur le lieu de travail de Gervaise, sans gêne pour les ouvrières ou les clients. C’était aussi sans respect pour eux-mêmes, de s’embrasser aux milieux des ordures, un environnement si peu romantique : « elle s’abandonnait (…) sans dégoût pour l’haleine vineuse de Coupeau. Et le gros baiser qu’ils échangèrent à pleine bouche, au milieu des saletés du métier, était comme une première chute, dans le lent avachissement de leur vie. » (ibid. : 195). Cet évènement est dû à l’ivresse de Coupeau au moment des faits mais aussi à un abandon de Gervaise. En acceptant cette situation, elle montre qu’elle ne la trouve pas si repoussante, et également qu’elle n’a pas tant de respect que cela pour elle-même. C’est donc un évènement annonciateur. Coupeau illustre encore cette perte de décence quand il « poussa Lantier et le força à traverser la rue, pour entrer dans la boutique » (ibid. : 282), alors que la présence de Lantier, qui s’est si mal comporté vis-à-vis de Gervaise et des enfants, est une insulte à toute la famille. On notera aussi ce jour-là le manque de respect de Gervaise pour elle-même, qui reput de son festin et de l’alcool qui lui coule dans les veines ne fera ni ne dira rien : « une paresse heureuse l’engourdissait (…) avec le seul besoin de ne pas être embêtée » (ibid. : 283). Coupeau se montrera toujours plus régulièrement indécent par la suite, en même temps que son état s’empire avec « des mots dégoûtants qui n’étaient pas à dire » (ibid. : 376), à l’égard de sa femme, mais aussi de sa fille. Une fois encore, le contraste semble souligné par Zola avec Goujet, lui qui n’est pas alcoolique, et qui sera le seul à témoigner de la pudeur et un grand respect pour Gervaise, jusqu’à la fin, même quand elle sera tombée dans la prostitution.

La perte de la dignité et l’allégorie animale

Souvent cette chute, la perte de décence et du respect de soi, est suivie d’une perte totale de dignité, d’une déshumanisation. Celle-ci est soulignée chez Mes-Bottes « qui roulait des yeux de maîtres dans l’Assommoir. Il venait d’être proclamé empereur des pochards et roi des cochons, pour avoir mangé une salade de hannetons vivants et mordus dans un chat crevé » (ibid. : 315). Gervaise tombera à la toute fin dans la même indignité : « on avait parié qu’elle ne mangerait pas quelque chose de dégoûtant ; et elle l’avait mangé, pour gagner dix sous ». Cette déshumanisation est aussi représentée par des allégories animales dans L’Assommoir. Elle est mise en évidence une première fois quand Coupeau rentre après avoir découché deux jours, dans un état abominable, et Gervaise le trouve « vautré comme un porc (…) le cochon ! le cochon !… Un chien n’aurait pas fait ça, un chien crevé est plus propre » (ibid. : 326). D’ailleurs les désarticulations de pantin de Coupeau à sa toute fin confirment le dernier stade de sa déshumanisation. Plus tard, nous rencontrons à nouveau une allégorie animale à propos du père Bru : « Gervaise (…) lui jetait des croûtes (…) si elle détestait les hommes (…) elle plaignait toujours sincèrement les animaux (…) Et le père Bru était comme un chien pour elle » (Idem : 384).
Gervaise finira elle-même par dormir et mourir dans « la niche du père Bru » (ibid. : 503), après qu’il est mort, ce qui évidemment prend une valeur symbolique très forte.

Destruction de la famille et de l’éducation des enfants

Nous nous devons de rappeler que si Nana est présenté comme un enfant pourri par le vice, Zola n’essaye pas de nous dire qu’elle est née mauvaise mais fait preuve de déterminisme.
Il nous conte comment un enfant n’a aucune chance d’acquérir de bonnes valeurs quand celui-ci grandit dans la misère, au milieu de la déchéance d’une famille malheureuse : « La bonne chaleur des pères, des mères, et des enfants (…) se retiraient d’eux (…) Tous les trois (…) avec de la haine plein les yeux ; et il semblait que quelque chose avait cassé, le grand ressort de la famille, la mécanique qui chez les gens heureux fait battre les coeurs ensemble » (ibid. : 383). Nous avons déjà à ce point de notre étude fait ressortir les ravages de l’alcoolisme sur Coupeau et Gervaise, et comment celui-ci les a jetés dans la déchéance sociale, physique et a ruiné leur couple. C’est une évidence que toutes les indécences, et toutes les misères qui en ont découlées ont forgé le caractère de Nana, comme de voir sa mère rejoindre Lantier la nuit, ou lorsqu’elle entend son père parler de sa mère sans aucun respect : « Nana elle-même devenait mal embouchée, au milieu des conversations sales qu’elle entendait continuellement. Les jours de dispute elle traitait bien sa mère de chameau ou de vache » (ibid. :376). Mais aussi, en plus de voir et d’entendre toutes sortes d’horreurs, Nana se fait battre et « cette vie-là ne pouvait pas continuer, elle ne voulait pas y laisser sa peau » (ibid. : 428). Alors quand sa mère finit aussi à L’Assommoir, elle n’a plus vraiment d’autre choix que de fuir ce milieu. Dans son étude sur le sujet, Florina Matu soulignera cette idée : « leur innocence est pourrie et corrompue sous le poids écrasant des tares héréditaires et de leur milieu originaire » (Matu, 2009). Cette idée est d’ailleurs renforcée par le fait que la mère de Gervaise et le père de Coupeau étaient également alcooliques. On voit une dégénérescence sur trois générations à cause de l’alcool et de ses conséquences sur le milieu.

L’esthétique de l’alcool et de la misère humaine

Si l’esthétique de L’Assommoir a été vertement critiquée à la sortie du livre, c’est qu’elle se veut un témoignage qui refuse de se limiter à décrire ce qui est beau ou agréable.
Nous nous intéresserons ici à la manière dont cette esthétique sert une cause, celle d’appuyer les idées de l’auteur concernant les causes et conséquences de l’alcoolisme. Nous verrons donc en quoi l’esthétique aide l’auteur à rendre visuelle son expérimentation sur ses personnages. Nous soulignerons également la complexité du rapport à l’alcool à la fois attrayant et repoussant.

Le côté attrayant de l’échappatoire

L’attrait de l’échappatoire est symbolisé par les descriptions faites de l’Assommoir et les regards des ivrognes assis au bar, hypnotisés par cet environnement. En effet, l’introduction de l’Assommoir du père Colombe est soignée par Zola. Elle commence avec « le comptoir énorme, avec ses files de verre, sa fontaine et ses mesures d’étain (…) et la vaste salle (…) était ornée de gros tonneaux peints en jaune clair, miroitants de vernis, dont les cercles et les cannelles de cuivre luisaient » (Zola, 1996 : 80). Puis cette description s’éternise : « La curiosité de la maison était au fonds, dans une cour vitrée, l’appareil à distiller que les consommateurs voyaient fonctionner, des alambics aux longs cols, des serpentins descendant sous terre, une cuisine du diable devant laquelle venait rêver les ouvriers soulards » (idem : 81). L’Assommoir est donc présenté comme un endroit intriguant, suscitant chez le lecteur une envie de voir cet endroit, certainement pour souligner l’attraction malsaine et presque magique que celui-ci exerce sur les ouvriers. Et puis l’idée que les ouvriers choisissent de rêvasser en regardant les alambics plutôt que de retourner au travail marque ce choix de fuir une réalité, celle de l’ennui et de la dureté du travail. La fascination que suscite l’Assommoir chez les pauvres gens est aussi soulignée dans le dernier avachissement de la vie de Gervaise : « la boutique flambait, son gaz allumé, les glaces blanches comme des soleils, les fioles et les bocaux illuminant les murs de leur verre de couleur » (ibid. : 402). On dirait même que son eau de vie est magique : « du casse-gueule qui luisait pareil à de l’or » (ibid. : 403). Cette esthétique appuie donc la démonstration de l’auteur sur la tentation que représente l’eau de vie et l’Assommoir du père Colombe.

L’alcool rend physiquement repoussant

Si l’ivrognerie accélère le processus de vieillissement, cela est mis en évidence par les descriptions des personnages qui les rendent aussi repoussants. Ces descriptions sont pour l’époque inhabituelles, réalistes, presque scientifiques. L’auteur nous permet ainsi d’appréhender en détail la désagrégation physique des individus ivrognes, par exemple au travers des transformations de Coupeau et de Gervaise. Ils sont tous les deux assez beaux au début, Coupeau « très propre (…) montrant ses dents blanches. La mâchoire saillante, le nez légèrement écrasé, il avait de beaux yeux marrons, la face d’un chien joyeux et bon enfant » (Ibid. : 81) et Gervaise « dont le joli visage de blonde avait, ce jour-là, une transparence laiteuse de fine porcelaine » (ibid.). Et puis ils sont un peu moins beaux après qu’ils commencent à boire l’eau de vie, comme ainsi Coupeau : « Sa face d’ivrogne, avec sa mâchoire de singe, se culottait » (ibid. : 342) et Gervaise « ronde, une boule » (ibid. : 344). A la fin, ils sont totalement ignobles, Coupeau d’abord : « était-ce Dieu possible, qu’il eut une figure pareille, avec du sang dans les yeux et des croutes plein les lèvres » (ibid. : 489) et Gervaise finit « laide comme un chien qu’on tirerait d’un égoût ». Dans les descriptions des personnages, on voit que leur apparence est de plus en plus repoussante puis dégoûtante, l’esthétique des descriptions remplit donc cette fonction de narrer la transformation physique entrainée par l’alcoolisme.

L’esthétique de la malpropreté et des mauvaises odeurs

Il est souvent fait référence à la crasse dans L’Assommoir, et l’auteur établit une relation étroite entre celle-ci, la paresse et l’alcoolisme. Si le quartier est alcoolique, c’est Gervaise qui en lave le linge, souvent décrit ainsi : « ça sent son fruit, quoi ! (…) Elle n‘en avait aucun dégoût, habituée à l’ordure ; elle enfonçait ses bras au milieu des chemises jaunes de crasses, des chaussettes mangées et pourries de sueur » (ibid. : 191). Puis Zola établit de façon directe ce rapport sournois entre le non dégoût de la crasse et la paresse : « une nonchalance la prenait (…) avec des geste ralentis, comme si elle se grisait de cette puanteur humaine, vaguement souriante, les yeux noyés. Et il semblait que ses premières paresses vinssent de là » (ibid. : 192). On peut aussi noter un rapport suggéré à l’alcoolisme dans le passage cité, avec ce regard et ce sourire qui rappellent ceux d’un ivrogne au comptoir d’un bar. Puis, Zola établit à nouveau le lien entre l’acceptation de la crasse, de la puanteur et la chute de Gervaise dans ce passage clé : « Naturellement, à mesure que la paresse et la misère entrait, la malpropreté aussi » (ibid. : 339). Enfin, l’auteur poursuit avec une description détaillée du délabrement de la boutique, accompagnant l’enfoncement des Coupeau dans l’ivrognerie. L’esthétique n’est pas quelque chose de beau ici mais un sens de l’observation poétique et effrayant : « On n’aurait pas reconnue cette belle boutique (…) Les boiseries et les carreaux de la vitrine (…) restaient du haut en bas éclaboussés par la crotte des voitures (…) Et c’était plus minable encore à l’intérieur (…) la perse pompadour étalait des lambeaux qui pendaient pareils à des toiles d’araignées lourdes de poussières (…) l’établi semblait avoir servi de table à toute un garnison (…) Avec ça, une odeur d’amidon aigre, une puanteur faite de moisi, de graillon et de crasse » (ibid.).

Le roman à thèse

Selon Susan Rubin Suleiman, le roman à thèse n’est « qu’une manifestation particulièrement claire de l’impulsion à la fois réaliste et didactique qui est à l’origine du genre romanesque » (Suleiman, 1983 : 107). Cette idée sied à merveille à Zola et L’Assommoir où il cherche à la fois le réalisme et à instruire le lecteur. Nous allons maintenant le démontrer en mettant à profit les analyses des parties précédentes afin d’atteindre la vision d’ensemble du projet de Zola, en nous intéressant à la manière dont les causes et conséquences de l’alcoolisme, ainsi que son esthétique, servent un but, celui de soutenir les théories et les messages de l’auteur.

Complexité du lien de cause à effet

Les causes et les conséquences s’entrelacent. Nous avons vu plus tôt un lien entre la paresse et l’absence de dégoût pour la crasse et aussi entre la paresse et l’alcoolisme. Nous avons également établi le lien entre la faiblesse de caractère, les déboires et l’ivrognerie. Évidemment, toutes ces causes deviennent également des conséquences. D’abord, l’alcoolisme rend encore plus indifférent à la crasse, comme nous l’avons remarqué par exemple avec l’état de la boutique de Gervaise vers la fin du roman. Et puis l’ivrognerie entraine une déchéance physique qui rend encore plus paresseux, aggravant la déchéance sociale. Même la méchanceté et la violence ne font qu’empirer à mesure que l’on s’enfonce dans l’alcoolisme. En même temps l’alcool annihile tout reste de bon sens, amenuisant encore les forces des ivrognes à lui résister. Il s’établit donc une spirale infernale. Et tout au long du roman, Zola nous donne ainsi l’impression que l’enfoncement pour Gervaise et Coupeau est inévitable. C’est le déterminisme qui est mis en évidence ici.

L’histoire de Gervaise comme dénonciation de la société

Gervaise se bat jusqu’au bout, elle fait montre d’une détermination et d’un courage formidable. Elle est au départ si honnête et travailleuse. Et pourtant, elle tombe parce que si elle peut se battre, elle ne peut pas le faire pour tout le monde, et c’est avant tout la faiblesse et l’ivrognerie de ceux qui l’entourent qui la feront tomber. Elle est victime de son milieu. Zola dénonce ainsi un milieu ouvrier où même les plus héroïques comme Gervaise ne peuvent rien et finissent par sombrer. Qui sont donc les coupables selon l’auteur ? Certainement les gens au pouvoir qui tolèrent, acceptent la présence de débits d’alcool comme L’Assommoir, où l’on sert légalement toutes sortes de boissons fortes de qualité médiocre. Cette dénonciation des responsables, industriels et politiciens, c’est une façon pour l’auteur de déculpabiliser partiellement le milieu ouvrier et de montrer ainsi sa compassion. C’est une grande tentation que « l’air de Paris, où il y a dans les rues une vraie fumée d’eau de vie et de vin » (Zola, 1996 : 370). Seule la morale reste à la porte de ces établissements, où l’on continue de servir les clients bien après qu’ils aient atteint un état d’ébriété avancé. Cette absence de morale est symbolisée par le père Colombe qui sert « une petite fille d’une dizaine d’années, qui lui demandait quatre sous de goutte dans une tasse » (idem : 81). On peut aussi se demander, puisqu’il est régulièrement fait allusion dans le roman à la dureté du travail, et aux modestes salaires journaliers, si des journées plus courtes et de meilleurs salaires n’auraient pas gardé bon nombre d’ouvriers de cette échappatoire qu’est l’alcool, si le dégoût du travail n’est pas aussi une cause de l ‘ivrognerie. Zola souhaite faire réfléchir à ces questions, il l’assume et le dit, nous y reviendrons en détail lorsque nous aborderons les grandes morales de l’histoire.

L’esthétique de l’alcool chez Zola et son but naturaliste

Dans son étude sur Balzac, nous l’avons abordé dans notre introduction, Taine décrit l’écrivain naturaliste comme « intéressé par la description de toute force naturelle, indépendamment du beau ou de l’idéal » (Taine, 1865). Émile Zola lui-même expliquera qu’il est du devoir de la littérature de se faire scientifique. Ces affirmations sont confirmées et soutenues dans L’Assommoir. Comme nous l’avons disséqué dans notre chapitre sur l’esthétique de l’alcool, Zola se sert de ses descriptions pour mettre en évidence, par un sens de l’observation indéniable, que l’alcool peut être attrayant, par le côté échappatoire qui se dégage des établissements qui le servent et que, en même temps, celui-ci entraine des changements physiques qui rendent les individus repoussants. Aussi, il lui associe un rapport direct avec la crasse, la saleté et la paresse. L’esthétique brute de ces descriptions d’ivrognes et de crasse sont une nouvelle forme d’esthétique parce que l’auteur raconte dans le détail, de façon presque scientifique, des choses moches, ignobles qui était habituellement laissés de côté dans la littérature. Il remplit donc par ses descriptions son devoir de naturaliste, parce qu’il ne focalise pas sur le beau ou l’idéal, et ces descriptions trouvent ainsi une esthétique propre au naturaliste. De plus, en établissant de riches descriptions sur la saleté, la crasse et leur rapport à l’alcoolisme, Zola justifie l’influence du milieu sur les individus. Cette influence du milieu, que nous avons abordée dans la typologie du quartier de la Goutte d’Or et dans notre chapitre sur les causes de l’alcoolisme, est aussi rappelé par Zola quand Coupeau quitte Paris pour la campagne et redevient sobre. Il se refait une santé pendant trois mois : « on ne se doute pas combien ça désaltère les pochards de quitter l’air de Paris, où il y a dans les rues une vraie fumée d’eau de vie et de vin » (Zola, 1996 : 370). L’auteur remplit donc par ces descriptions de l’alcool et de la misère la deuxième fonction de l’étude naturaliste, qui est d’établir l’influence du milieu sur l’homme et qui vient s’ajouter à l’influence de la génétique.

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Table des matières

1. Introduction
1.1 L’esthétique
1.2 Objectif de l’étude et méthode
1.3 Recherches antérieures
1.4 Plan
2. Typologie de l’usage de l’alcool
2.1 Le quartier de la Goutte d’Or
2.2 La richesse du vocabulaire de l’alcool
2.3 Les deux catégories d’alcooliques
2.4 Les personnages principaux
2.4.1 Gervaise
2.4.2 Coupeau
2.4.3 Lantier
2.5 Les personnages secondaires
2.5.1 Les Lorilleux
2.5.2 Goujet
2.5.3 Les amis de Coupeau
2.5.4 Nana
2.5.5 Le père Bazouge
3. L’alcoolisme, les causes et les conséquences ?
3.1 Les causes
3.1.1 La banalisation de l’alcoolisme et la dureté du travail
3.1.2 La paresse
3.1.3 Les déboires et la faiblesse de caractère
3.2 Les conséquences
3.2.1 La violence conjugale
3.2.2 La méchanceté et le plaisir de la violence
3.2.3 La déchéance physique
3.2.4 La déchéance sociale
3.2.5 La perte de décence et du respect de soi
3.2.6 La perte de la dignité et l’allégorie animale
3.2.7 Destruction de la famille et de l’éducation des enfants
4. L’esthétique de l’alcool et de la misère humaine
4.1 Le côté attrayant de l’échappatoire
4.2 L’alcool rend physiquement repoussant
4.3 L’esthétique de la malpropreté et des mauvaises odeurs
5. Le roman à thèse
5.1 Complexité du lien de cause à effet
5.2 L’histoire de Gervaise comme dénonciation de la société
5.3 L’esthétique de l’alcool chez Zola et son but naturaliste
5.4 L’absinthisme, une transformation de l’alcoolisme
5.5 Les grandes morales de l’histoire
5.6 Les critiques de l’époque
6. Conclusion
7. Bibliographie

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