Structure urbaine et congestion

L’émergence de la congestion urbaine 

Le phénomène urbain est aujourd’hui majeur : si le nombre de citadins ne représentait que 29,2 % de la population mondiale en 1950, la population urbaine forme aujourd’hui 50 % d’une population mondiale qui a presque triplé et représentera en 2030 environ 60 % d’une population encore augmentée de plus d’un milliard d’individus (United Nations, 2010). La tendance est encore plus marquée pour les régions moins développées du monde, où le taux d’urbanisation est passé de 18 % en 1950, à près de 45 % aujourd’hui, avec une prévision de 56 % d’ici 2030. Ce mouvement massif d’urbanisation s’accompagne tout naturellement d’une augmentation spectaculaire du nombre de villes dépassant les 10 millions d’habitants : alors qu’il n’y en avait que deux dans le monde jusqu’en 1970, on en compte aujourd’hui vingt, et elles seront probablement près de trente en 2030. On commence même à parler de « métapoles » pour les villes de plus de 20 millions d’habitants (Huriot et Bourdeau-Lepage, 2009) : une seule ville dépassait ce seuil en 2007, Tokyo, mais huit nouvelles agglomérations devraient la rejoindre d’ici 2020, la plupart situées dans des pays en développement.

En Europe comme en Amérique du Nord, la croissance rapide de la population urbaine depuis les années 1950, associée à l’augmentation tout aussi rapide du taux de motorisation des ménages et à la périurbanisation, ont conduit à une forte hausse du besoin de transport de passagers et de fret dans les zones urbaines (Mills et Hamilton, 1994). De plus, le partage modal, entre transport public et voiture particulière, déjà favorable à cette dernière, a continué à évoluer dans le même sens. Ainsi, en 2001, la distance totale parcourue en Île-de-France par les usagers en voiture particulière atteignait presque le double de celle parcourue en transport collectif  .

Cette hausse très importante des trafics, sur l’ensemble des réseaux urbains, et tout particulièrement sur les réseaux routiers, est à l’origine de problèmes aigus de congestion. La croissance, en termes de population, explique une partie de l’augmentation des trafics, mais l’extension spatiale des villes et la modification des localisations des ménages et des activités, est également à mettre au rang des causes d’un tel phénomène. Ce sont de ces problèmes de congestion, dans l’ensemble de ses dimensions, dont nous allons traiter dans cette thèse, car si la ville est notre objet d’étude, c’est en réalité surtout la ville congestionnée qui nous intéresse.

Du processus d’agglomération à la structure urbaine : le rôle de l’espace 

Ce mémoire vise une meilleure compréhension des interactions entre les localisations urbaines et les coûts de transport, et du rôle de la congestion dans ces interactions. Pour commencer à appréhender ces liens, le présent chapitre propose de dresser un tableau des processus à l’œuvre dans l’existence et la croissance des villes, afin de mettre en évidence comment l’organisation interne des villes émerge de ces processus. Ainsi, l’objectif de ce chapitre est de montrer que le phénomène d’agglomération relève de multiples mécanismes imbriqués, se manifestant généralement sous la forme d’externalités positives, et que les transports y jouent un rôle essentiel. Nous chercherons également à comprendre comment la nécessité, pour les agents soumis à ces forces d’agglomération, de se localiser dans l’espace fait émerger une structure urbaine.

La localisation initiale des villes dépend vraisemblablement de facteurs naturels, ainsi que de circonstances historiques (Rosenthal et Strange, 2004 ; Huriot et Bourdeau-Lepage, 2009). L’émergence des villes que nous connaissons est, du moins initialement, le résultat d’un subtil mélange entre hasard et nécessité. Toutefois, le phénomène d’agglomération ne peut se résumer à cela, et de puissantes forces en sont à l’origine. La ville, agglomération de personnes et d’équipements, est le résultat d’un jeu complexe de forces d’attraction — centripètes — et de répulsion — centrifuges (Fujita et Thisse, 1996). Elle est, de ce fait, un exemple typique d’autoorganisation, c’est-à-dire une organisation globale émergeant spontanément à partir d’un état presque homogène ou aléatoire. Plus précisément, selon Krugman (1998) l’auto-organisation se caractérise par trois aspects. Tout d’abord, la configuration globale d’un système auto-organisé est déterminée par les interactions entre ses éléments. Ce premier trait souligne l’importance des interactions, qui sont en partie déterminées par la structure interne du système que constitue la ville. Autrement dit, étudier la structure interne des villes, c’est également donner des informations sur la manière dont elles se développent. Ensuite, dans un système auto-organisé, la formation d’un ordre global résulte de l’effet cumulatif des interactions individuelles. Enfin, l’auto-organisation engendre elle-même ses propres limites sous la forme d’un processus auto-limitatif qui freine le mouvement vers un ordre extrême.

Les mécanismes à l’origine de ces forces ont été largement étudiées dans le cadre de la nouvelle économie géographique (NEG) et de la nouvelle économie urbaine (NEU) (Fujita et al., 2001), mais restent, encore aujourd’hui, un des enjeux majeurs de la recherche en économie spatiale. Comprendre ce qui régit la formation, puis l’évolution des villes est en effet crucial si l’on souhaite pouvoir orienter leur développement.

La croissance des villes soulève en effet de nombreuses questions. Comment les villes émergent-elles ? Quels sont les phénomènes qui font croître leur population ? Quels sont ceux qui les font s’étendre ? Pourquoi ne finissent-elles pas par recouvrir l’ensemble de l’espace ? Les deux premières de ces questions font référence à la question de l’agglomération, tandis que les deux suivantes à celle de la dispersion. Les quatre questions sont en lien direct avec la structure interne des villes, leur organisation spatiale, à travers les localisations des activités, entreprises et ménages, et le rôle des transports. Si les deux premières questions sont surtout l’objet d’étude de la NEG, qui s’est focalisée sur le phénomène d’agglomération, les deux autres ont été surtout étudiées dans le cadre de la NEU (Fujita et al., 2001). Ce sont elles qui guideront donc, dans ce chapitre, notre réflexion.

Une agglomération aux multiples sources

Les villes attirent, comme l’illustre la croissance ininterrompue du taux d’urbanisation dans le monde, passé de 28 % en 1950 à plus de 50 % en 2010 (United Nations, 2010). C’est pourquoi elles sont ce regroupement d’individus et d’activités que l’on connait. Au-delà de ce simple constat surgit la question des causes d’une telle attirance des individus pour la ville. Si on a pu évoquer une tendance naturelle à se rassembler, un instinct grégaire (Huriot et Bourdeau-Lepage, 2009, chap. 1), il nous semble que cela reviendrait à expliquer l’agglomération par une inclination naturelle à s’agglomérer. Comme nous l’avons évoqué dans l’introduction générale de ce mémoire, la nouvelle économie géographique s’est attachée à mieux comprendre le phénomène d’agglomération économique. Néanmoins, cette approche est restée essentiellement macroscopique au sens où les échelles en jeu sont de l’ordre de la région plutôt que de la ville. Or, comme le rappellent Fujita et Thisse (2009), l’agglomération économique est un terme vague : il peut désigner aussi bien la concentration des richesses dans les pays du Nord, que le rassemblement de plusieurs restaurants dans un même quartier, voire une même rue. La question de l’échelle spatiale des phénomènes étudiés est donc ici essentielle. Des travaux ont visé à identifier les fondements microéconomiques des forces d’agglomération, dans un cadre spécifiquement urbain. Ainsi, Duranton et Puga (2004) et Rosenthal et Strange (2004) proposent des revues de ces travaux, pour les aspects théoriques et empiriques respectivement. Nous cherchons, pour notre part dans cette section, à souligner le caractère multi-échelle des mécanismes en jeu, afin de mieux comprendre comment ils peuvent faire émerger les structures urbaines actuelles.

La multiplicité organisée

Les dimensions structurantes de la multiplicité des sources d’agglomération

Les rendements d’échelle croissants sont généralement donnés pour responsables de la distribution géographique des activités économiques (Fujita et Thisse, 1996). Ce constat remonte d’ailleurs aux travaux de Marshall (1890, 1920), pionnier de l’économie industrielle et spatiale, qui distinguait quatre causes principales au phénomène d’agglomération :
– la production de masse ;
– la formation d’une main-d’œuvre hautement spécialisée, fondée sur l’accumulation de capital humain et les communications face-à-face ;
– la disponibilité de services spécialisés d’intrants ;
– l’existence d’infrastructures modernes.

Sous son apparente simplicité, cette classification n’apparaît toutefois pas véritablement opératoire. D’une part, elle distingue certains mécanismes en réalité semblables (la disponibilité d’une main d’œuvre spécialisée et de services spécialisés) et, d’autre part, elle regroupe d’autres mécanismes de nature différente (spécialisation de la main d’œuvre et l’accumulation de capital humain).

Depuis, de nombreuses autres typologies des rendements d’échelle croissants ont été proposées. L’une d’elles distingue les mécanismes selon le niveau de l’organisation productive où ils se manifestent (Huriot et Bourdeau-Lepage, 2009) : la firme, le secteur productif ou la ville dans son ensemble. Toutefois, parler de « rendements d’échelle croissants » dans un contexte plus large que la firme est en toute rigueur un abus de langage. Mais il est courant de l’employer pour les deux autres niveaux d’organisation que sont le secteur productif et la ville. De manière à pouvoir distinguer les échelles lorsque cela est nécessaire, nous emploierons les termes rendements d’échelle croissants internes pour le niveau de la firme et rendements d’échelle croissants externes  pour les niveaux supérieurs. Dans cette dernière expression, externe fait référence à des externalités au sens de Marshall, pour qui externe signifiait externe à la firme. Il ne s’agit donc pas nécessairement d’externalités dans l’acception microéconomie actuelle habituelle, pour laquelle une externalité est un phénomène externe au marché. Il est cependant possible de réconcilier ces deux visions et de désigner ces deux types d’interactions sous le même vocable d’externalité, en distinguant les externalités technologiques des externalités pécuniaires (Scitovsky, 1954). Une externalité technologique, ou effet externe pur, désigne le fait que les actions d’un agent influencent directement les possibilités de choix d’un autre agent, sans contrepartie financière. Formellement, cela revient à ce que les activités d’un agent entrent dans la fonction d’utilité ou de production d’un autre agent. Au contraire, les externalités pécuniaires désignent l’effet sur les autres agents d’une modification, par un agent, des prix auxquels ils peuvent engager une transaction (Small, 1999). Ces externalités pécuniaires ne se manifestent donc que dans des situations de concurrence imparfaite, à la différence des effets externes purs (Krugman, 1991b ; Salanié, 1998, chap. 5). De telles interactions de marché peuvent par exemple émerger du fait de l’existence de liaisons verticales entre deux firmes dont l’une est cliente de l’autre, car la proximité permet d’économiser des coûts de transport et plus généralement des coûts de transaction (Venables, 1996). Dans la suite de ce chapitre, nous emploierons les termes, repris de Marshall (1890, 1920), de rendements croissants internes pour désigner les économies d’agglomération se manifestant au niveau de la firme, d’économies de localisation pour désigner celles prenant place au niveau d’un secteur productif, et d’économies d’urbanisation pour désigner celles qui se manifestent à l’échelle de la ville. Si ces trois types d’économies d’agglomération ne sont pas mutuellement exclusives, elles ont des implications différentes pour la nature de l’activité économique d’une zone urbaine. De plus, certaines sources d’économies d’agglomération peuvent relever des deux dernières catégories en même temps. Ainsi Eberts et McMillen (1999) évoquent le cas d’une zone urbaine bénéficiant de la proximité d’une source d’électricité bon marché. Ce territoire peut attirer une industrie très consommatrice d’énergie, à travers des économies de localisation. Mais il peut également attirer une multitude de petites entreprises sans relation les unes avec les autres, mais pour lesquelles l’électricité représente une part importante de leurs coûts. Il s’agit alors d’économies d’urbanisation.

Par ailleurs, Duranton et Puga (2004) ont proposé une classification originale des différentes sources d’économies d’agglomération. Elle distingue trois grandes sources microéconomiques : le partage, l’appariement et l’apprentissage. Chacune de ces sources peut être à l’origine d’un phénomène d’agglomération par l’intermédiaire de divers mécanismes détaillés par les auteurs. Cette classification, outre son originalité, met ainsi en évidence la nature profonde des mécanismes à l’œuvre dans le phénomène d’agglomération. Néanmoins, elle présente l’inconvénient, selon nous, de ne pas mettre en valeur la nature des interactions en jeu — par l’intermédiaire du marché ou hors marché — ni l’échelle à laquelle elles ont lieu.

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Table des matières

Introduction générale
I. Structure urbaine et congestion
1. Agglomération et structure urbaine
1.1. Introduction
1.2. Une agglomération aux multiples sources
1.3. La « tyrannie » de l’espace
1.4. Le modèle urbain monocentrique
1.5. Conclusion
2. Les formes de la congestion
2.1. Introduction
2.2. Formes psychologiques de la congestion
2.3. Formes physiques de la congestion
2.4. Les coûts économiques de la congestion
2.5. Conclusion
II. Les manifestations spatiales de la congestion du transport
3. Méthodologie d’analyse de la congestion
3.1. Introduction
3.2. La représentation de l’ingénieur
3.3. Trois perspectives d’évaluation de la congestion
3.4. Évaluation locale de la congestion
3.5. Appréhender la variabilité spatiale de la congestion
3.6. Les indicateurs de congestion : du local au global
3.7. Conclusion
3.A. Annexes
4. Analyse de la congestion routière en Île-de-France
4.1. Introduction
4.2. Présentation du contexte francilien
4.3. La plateforme de simulation employée
4.4. Les états simulés du trafic
4.5. Diagnostic statistique de la congestion
4.6. Diagnostic géographique de la congestion
4.7. Diagnostic économique agrégé
4.8. Conclusion
4.A. Annexes
5. Coût social marginal et aide à la décision
5.1. Introduction
5.2. Concurrence entre modes de transport
5.3. L’évaluation des gains de décongestion routière
5.4. Méthodologies d’évaluation des gains de temps
5.5. Comparaison des méthodes
5.6. Conclusion
5.A. Détail des procédures d’évaluation des gains de décongestion
III. Localisation des ménages et des emplois et usage des transports
6. Modèle d’équilibre urbain
6.1. Introduction
6.2. Décentralisation de l’emploi et modélisation
6.3. Un modèle pour étudier la structure urbaine
6.4. Équilibre du modèle
6.5. Propriétés générales de l’équilibre
6.6. Conclusion
6.A. Annexes mathématiques
7. Résolution analytique et sensibilité du modèle
7.1. Introduction
7.2. Présentation du cadre et résolution
7.3. Analyses de sensibilité à l’équilibre urbain
7.4. Conclusion
7.A. Hypothèses et valeurs numériques choisies
7.B. Annexes mathématiques
8. Étalement urbain et transports
8.1. Introduction
8.2. Étalement urbain et transport : un sujet à débat
8.3. L’approche retenue et le modèle
8.4. L’étalement des emplois, moteur de l’étalement urbain ?
8.5. Un étalement favorisant un usage raisonné des transports ?
8.6. Conclusion
8.A. Annexes
Conclusion générale

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